ITW Pierre Canali 1ère partie : « Sans sponsoring, on a l’instinct de survie »


ITW Pierre Canali 1ère partie : « Sans sponsoring, on a l’instinct de survie »

L'ancien pro Barrière a accordé une longue interview exclusive à  LivePoker.fr.


Depuis la fin de son contrat avec Barrière en décembre dernier, [Pierre Canali] fait partie des joueurs professionnels non sponsorisés. Un nouveau statut qui ne l’a pas empêché de remporter le Deepstack Open de Cannes début mars, et de confirmer qu’il faudra encore compter avec lui sur le circuit des tournois à l’avenir. Première partie d’une interview où Pedro revient sur sa victoire, sa rupture avec Barrière mais aussi sa nouvelle vie de pro sans logo…

Bonjour Pedro ! Tu as bien commencé ton année 2013 avec une victoire au Deepstack Open de Cannes fin mars. Peux-tu revenir rapidement sur ce succès ?

C’est très rare quand tu joues ton meilleur poker avec des tables pas trop difficiles et des bons setups de temps en temps, ça donne un tournoi qui roule tout seul. Le premier jour, il y avait un ou deux bons joueurs maximum à ma table. J’ai repéré les profils des joueurs, ça m’est même arrivé de ne pas faire de continuation bet quand je ratais les flops. J’ai fait des gros overbets pour value contre ceux qui ne foldaient jamais, du coup j’ai monté un gros tapis très vite, même si j’ai perdu un 70/30 pour 60 big blinds en fin de journée contre un joueur fatigué qui était en train de craquer…

Le Jour 2 a été magique : je tombe encore sur une table assez facile donc j’ai monté des jetons. A la bulle, j’ai beaucoup agressé, je gagne un 30/70 cette fois qui me fait passer chipleader de la table, et qui change tout, puisque je suis passé de 1 million à 1,5 million sans showdown. C’est là qu’on prépare le deep run. Sur un tournoi à 500 €, les joueurs sont plus scared money... Une fois entré dans l’argent, j’ai joué tight et attendu les bonnes mains pour finir la journée chipleader.

Au Day 3, la structure s’est accélérée, les paliers étaient serrés et j’étais card dead, donc j’ai joué très tight pour prendre des risques au bon moment. On s’est retrouvé avec une moyenne à 25 blindes mais il fallait jouer le Top 3. J'ai gagné un gros flip et j’arrive chipleader en table finale, c’était important. J’avais trois bons jeunes à ma gauche, et j’ai décidé de ne pas ouvrir light en fin de parole. J'ai gagné ensuite un pot important où j'ai thin value bet, ce qui m'a libéré mon spot d’open en début de parole, et j'ai remonté des jetons jusqu’à quatre left. Anthony Cierco a fait une erreur et a busté très vite, et je sors le troisième avec J-J contre A-9. On s’est retrouvé très deep en heads-up et j’avais un avantage en jetons de deux contre un. Je l’ai grindé jusqu’à ce qu’il tombe à 15 blindes et puis je gagne un dernier flip qui me donne la victoire. C’était dur de perdre ce heads-up...

Pourtant, tu ne comptais pas disputer ce tournoi…


Un pote à moi m’a convaincu de venir au dernier moment. Je ne le remercierai jamais assez. On est partis ensemble, c’était une super expérience. Ça faisait longtemps que je n’avais pas aussi bien joué et été autant focus sur un tournoi, ça fait plaisir.

Finalement, comment choisis-tu tes tournois ?

L’idée c’est de choisir des fields très faibles. Quand on est sponso, l’intérêt est de trouver des tournois médiatiques, c’est ce qui va primer, les tournois où il y a un vrai retour d’image pour la room. On ne va pas faire attention au field et au buy-in. C’est l’intérêt commun, un cercle vertueux. Sinon, c’est la taille du field et le niveau moyen qui vont être très important. C’est pour cela que j’ai fait le DSO alors que je ne faisais plus de tournois à 500 € depuis longtemps, car ma bankroll est largement suffisante pour faire plus. C’est des tournois que je veux privilégier maintenant. Pareil pour le WPT Cannes, le niveau n'était pas aussi bon que l’EPT Copenhague... Après s’il peut y avoir du prestige, c’est génial. Par exemple, le Main Event des WSOP, c’est une grosse erreur de ne pas le faire, sponsorisé ou non. C’est vraiment un tournoi magnifique, il y a 7000 joueurs avec 6000 joueurs pas très bons. L’EPT Monaco est devenu très très dur, alors qu’au début il y avait surtout les riches de la Côte d’Azur.

Il s’agit de ta troisième victoire sur le circuit français. Es-tu fier de ce petit exploit ?

C’est ma troisième victoire majeure sur le circuit national, plus d’autres tournois à plus petits buy-ins. Julien Brécard a dit que j’avais la Triple Crown nationale, la Triple Crown des débutants. C’est assez marrant. C’est très typique de mon jeu. J’ai un jeu agressif pour aller chercher le Top 3 car c’est là où il y a tout l’argent. J’ai beaucoup de busts prématurés à mon actif, par contre mes tables finale c’est 1ère ou 2ème place. J’ai très peu de 7ème, 8ème ou 9ème places. Je joue la gagne, je pense que c’est le jeu optimal.

Justement, quelle est la meilleure façon de jouer lorsqu’on vise le titre ?

Si on est à quatre left et qu’il y a un autre gros palier avant le Top 3, tu sais que ça vaut le coup de courber l’échine si tu n’es pas chipleader de la table, de se soumettre et de passer jusqu’au Top 3 car c’est là qu’il y a plus d’argent et que ça va peut-être dealer. En revanche, si tu es chipleader, il faut vraiment attaquer le deuxième gros tapis. Au DSO, c’est ce que j’ai fait à la bulle, à la bulle de la TF et à quatre joueurs left. Dans ce cas, le joueur qui a le deuxième plus gros tapis n’a aucun intérêt à se battre contre toi…

A Cannes, en demi-finale, les paliers n’augmentaient presque pas jusqu’à la TF. Il y avait 200 ou 400 € d’écart, ce qui ne fait même pas un buy-in. En revanche, dans le Top 3 il y a 80 buy-ins à la gagne, c’est gigantesque. Me laisser mourir à 25 blindes pour gagner trois places et 100 € de plus sur un tournoi à 500 €, ce n’est pas du tout une stratégie optimale. Moi je suis prêt à jouer des 60/40 et des flips pour grimper et écraser la bulle de la TF, car là aussi il y a de l’argent virtuel où les gens vont être weaks. Il faut préparer la gagne, c’est une question d’ICM.

« Je pensais que je serai reconduit chez Barrière »

Tu n’es plus un joueur sponsorisé depuis décembre 2012 et le non-renouvellement de ton contrat avec Barrière. Quel bilan tires-tu de tes trois ans au sein de la Team Pro Barrière Poker ?

Je retiens que ce sont les premiers à m’avoir donné ma chance, c’est un truc gigantesque. Je n’oublie pas d’où je viens. Ça ma permis de jouer pendant trois ans le Main Event des WSOP à Vegas, avec une 70ème place au Main Event 2010. C’était une grosse performance, l’un de mes meilleurs souvenirs. Je ne remercierai jamais assez Barrière. Après, la situation économique du marché français fait qu’ils n’ont pas pu me garder cette année. Je n’ai aucune rancœur vis-à-vis de ça et je comprends la situation. Je suis toujours ami de la marque et j’ai joué l’EPT Deauville sous les couleurs de Barrière Poker. Tout va bien, on a de bonnes relations et je n’ai aucune amertume, je ne garde que des bons souvenirs.

Rémy Biechel et Barbara Martinez ont subi le même sort. Comment vous a-t-on annoncé la nouvelle ?

Il y a eu des discussions en interne. Barrière m’a expliqué qu’économiquement c’était difficile et que même s’ils étaient sur la bonne voie, ils ne pouvaient pas garder une équipe aussi grande, et donc qu’ils devaient réduire la Team Pro à deux joueurs plus le Barrière Poker Player. Et il reste des joueurs compétents comme Adrian Allain, qui fait partie des tous meilleurs joueurs de tournois que je connaisse, et des gens extraordinaires. C’est la Team la plus sympa et abordable du circuit. Estelle Denis, c’est une people qui veut vraiment jouer. Elle est crédible, pas là par hasard, elle a envie d’apprendre et de progresser. C’est une passionnée.

T’attendais-tu à ne pas être renouvelé ?

Je suis tombé de très haut, je ne m’y attendais pas. Autant l’année dernière j’avais des doutes car je savais que le marché français se portait mal et j‘avais un peu stressé, autant cette année je pensais que je serai reconduit. Au niveau des résultats, je n’avais pas été très performant en raison d’un mélange entre malchance et manque d’envie, mais j’avais été très présent dans les vidéos, les blogs, et c’est ce qui importe dans le sponsoring. Je pensais que j’étais favori pour être renouvelé. J’étais très très déçu. Mais ça fait partie des aléas de la vie. J’ai des projets. Ça faisait un an que je n’avais pas de résultats en live, mais j’avais la chance que ça se passe bien online durant cette période. Je jouais en cash-game heads-up 5 €/10 € et en MTT, et ça c’est très bien passé. Ça m’a permis de subir plus facilement la variance en live, de moins prendre à cœur mon badrun en live.

Comme Lucille Cailly l’avait fait peu après la fin de son contrat chez Barrière il y a deux ans, tu n’as pas attendu longtemps avant de gagner un tournoi majeur en France. Le fait de ne plus être sponso influe t-il sur ta manière d’aborder les tournois ?

Assez bizarrement, pendant mon sponsoring chez Barrière, j’étais probablement moins focus, j’avais moins la gniak et l’envie de gagner, et en plus je runnais super bad. Dans des gros tournois que j’ai joués, j’avais au moins 70% d’équité sur des pots gigantesques, et je perdais. C’était très décevant et très dur pour moi et ma confiance. Alors regagner ici, juste après avoir perdu mon sponsoring... Ça me fait penser à une phrase très juste : « Toutes les souffrances liées au joueur de tournoi s’effacent d’un coup quand tu gagnes. » Tu comprends pourquoi tu dois accepter la variance. Tu comprends que ça vaut vraiment le coup au moment où tu gagnes, ça efface les moments difficiles.

As-tu moins de pression quand tu joues ?

Non, je ne crois pas, ça n’a pas vraiment de rapport. Peut-être plus de gniak, d’énergie, plus d’envie d’y arriver. Sans sponsoring, on a l’instinct de survie. Je pense que dans les tournois à 500 € du Sud de la France, je connais vraiment très bien ce type de joueurs plus faibles. La concentration, le niveau faible, arrêter de perdre les 80/20 : c’est ça qui est déterminant dans ce style de tournois. C’est la recette magique. Plus généralement, il y a un mélange de variance et de hasard mais il y a aussi une envie d’y arriver, l’œil du tigre, une revanche sur la vie qu’on a envie de prendre, quelque chose à prouver. Je ne saurai pas l’expliquer exactement, il faudrait faire une étude. L’aspect psychologique y est pour beaucoup. Je n’ai pas pris autant de bonnes décisions sur un tournoi durant mes deux ans et demi de sponsoring avec Barrière.

Si un opérateur ou un casinotier te propose un nouveau contrat de sponsoring, penses-tu accepter ?

J’ai quelques touches, je suis en discussion avec d’autres rooms même si c’est assez flou au niveau de la situation. Mais ce n’est pas impossible que je retrouve quelque chose à un moment donné. En tout cas, je suis toujours passionné par ce jeu, toujours motivé donc c’est certain que ca m’intéresserait.

Tu es maintenant assimilé comme « Ami de Barrière ». Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?

C’est un statut que je partage avec Bruce Toussaint, Bruno Benveniste, ça veut dire qu’ils sont proches de la marque et Barrière nous offre un buy-in de temps en temps. Ce n’est pas très officiel, Barrière m’a dit qu’ils voulaient travailler en pointillé avec moi. C’est au coup par coup. Ils sont sympas avec moi, il n’y pas de raisons que l’on ne puisse pas travailler ensemble de temps en temps.

« Gérer sa bankroll est encore plus important que d’être pointu techniquement »

Comment organises-tu ta vie de joueur pro non sponsorisé depuis la fin de ton contrat avec Barrière ? 


Déjà, je suis obligé de reprendre une gestion de bankroll très très stricte comme je l’avais fait avant d’être sponsorisé. Donc je joue principalement des tournois à 500 €, 1000 € et 2000 € car j’ai toujours été très sérieux. Je pense que gérer sa bankroll est encore plus important que d’être pointu techniquement. Je grinde online de temps en temps, un peu moins qu’avant, je grindais vraiment beaucoup. La fin du contrat ne change pas grand-chose, je continue à faire des articles, à faire de la radio et commenter des émissions de télé, donc je suis quand même assez occupé. J’ai un projet sur lequel je travaille depuis un an maintenant, sur lequel je passais tout mon temps libre. C’était assez difficile mais maintenant j’ai plus de temps.

Joues-tu davantage sur le net ?

Je joue beaucoup moins en cash-game 6-max et en cash-game heads-up. Je me concentre sur les tournois ces derniers temps. Le grind online, c’est quand j’ai des trous dans mon emploi du temps. Si je suis en forme et que je n’ai rien de prévu un soir, je vais jouer. Avant j’avais un rythme plus carré.

Dans une précédente interview, tu te décrivais comme très dépensier dans la vie de tous les jours. Fais-tu désormais plus attention à tes dépenses extérieures au poker ?

Jusqu'à maintenant, avant de jouer au poker, quand j’étais prof de salsa, je dépensais énormément d’argent dans les restos, les voyages, et ça s’est empiré quand j’ai commencé à gagner un peu d’argent au poker. Au niveau de mon capital personnel, je n’ai jamais trop fait attention à tout ce que je sortais de la BR pour les dépenses courantes. J‘aurai pu être beaucoup plus économe. Du coup maintenant, ça fait déjà quelques mois que je fais moins de voyages. J’essaie d’être un peu plus sage et j‘arrive un peu près à m’y tenir… Je n'ai jamais spew mon argent en boite ou dans des bouteilles de vodka, c’était toujours pour des trucs qui en valait la peine, je n’ai donc aucun regret.

J’avais un travail avant, donc je connais bien la valeur de l’argent. J’ai déjà l’expérience de ça et je sais comment m’en sortir dans la vie. Je ne suis pas un jeune joueur qui a gagné une tonne d’argent à 18 ans sans avoir travaillé avant. J’ai tenu une école de salsa pendant dix ans. Je suis certes très dépensier sur les extras mais je n’ai jamais dépensé l’argent dont j’aurais eu besoin pour mon loyer pour m’offrir un voyage. 

Propos recueillis par Maxime Arnou


Retrouvez la seconde partie de l'interview ce mardi 7 mai sur LivePoker.fr. 
 

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