ITW Pierre Canali 2ème partie : « Le fisc est en train de tuer la poule aux œufs d’or »


ITW Pierre Canali 2ème partie : « Le fisc est en train de tuer la poule aux œufs d’or »

Dans cette deuxième partie, Pedro Canali revient sur ses activités annexes, ses objectifs et donne son point de vue sur l'imposition des joueurs de poker français.


Retrouvez également la première partie de l'interview de Pedro Canali publiée lundi 6 mai.

Pierre, tu continues donc à écrire des articles techniques pour différentes publications dont LivePoker. Pourquoi ?

J’ai été prof pendant dix ans, donC j’adore enseigner, j’ai cette passion de transmettre depuis tout petit. A l’école? je voulais devenir prof mais je ne savais pas de quoi. Je n’avais que des bonnes notes en maths, mais comme j’étais en section littéraire, c’était des maths pour les noobs ! Les seules autres matières ou j'avais de bonnes notes, c’était la philo et l’anglais, donc je voulais choisir entre les deux. Ensuite j’ai dû faire un choix et j’ai choisi d’être prof de danse plutôt que de continuer mes études.

Est-ce aussi une façon de conserver une certaine visibilité dans le milieu du poker ?

Ecrire des articles techniques, c’est allier l’utile à l’agréable. Si en plus ça me permet de garder une visibilité pour trouver un sponsoring dans les mois qui viennent, c’est du bonus. C’est mon point fort et c’est sur ça que j’insiste quand je discute avec des rooms potentielles. Je pense ne pas être un mauvais pédagogue par rapport au joueur de poker moyen, qui est un peu geek et ne s’exprime pas toujours bien, qui sait des choses intuitivement mais n'est pas toujours capable de les expliquer. Je suis assez pointu techniquement, mais des joueurs meilleurs encore, il y en a des kilos qui sont arrivés avec la jeune génération. Je pense à Flavien Guenan, Quentin Lecomte, qui sont des excellents joueurs. C’était moi la jeune génération il y a quatre ans ! C’est certain, je ne suis pas le joueur français le plus technique, donc ce n’est pas ça qui va faire la différence. C’est plutôt le fait que je sois un peu plus mature, que je soit capable de bien m’exprimer, de faire de la radio de la télé : j’ai aussi commenté les WSOP Europe avec Lionel Rosso... Je suis passionné par les médias et je serai très heureux de me reconvertir dans la télé ou dans la radio. Continuer à grinder et faire de la télé, c’est quelque chose que j’aimerai faire. Je suis ouvert à toutes propositions, j’étais aussi professionnel du jeu Magic, je fais toujours deux métiers différents en même temps. Je suis prêt à tout essayer.

As-tu pensé à intégrer une agence de joueurs de poker pour faciliter ta carrière ?

Pourquoi pas, ce n’est pas quelque chose qui me dérangerait. Je suis assez pote avec les deux agences principales, Aces Groupe et The Korporation. Je connais bien Julien Di Pace et Olaf Chaignard, j’étais avec lui pour le Méribel Poker Tour. Mais les agences s’adressent peut-être plus à des joueurs qui débutent le circuit, moins habitués du live, qui ont moins d’expérience et de contacts dans le milieu du sponsoring. Ça reste cependant envisageable.

As-tu conservé beaucoup de contacts sur le circuit ?

J’ai joué l’EPT Deauville, j’ai vu tout le monde, je suis allé à Londres pour faire l’EPT, on a même passé des soirées à jouer à Magic. Rien n’a changé. Je ne dis pas que dans six mois, vu que je fais moins de live et de vidéos, ce sera toujours le cas. Mais comme je suis toujours motivé pour faire le circuit, il n’y a pas de raisons que ça change.

Aimerais-tu te remettre sérieusement à Magic ?

J'aimerai beaucoup, car je suis éligible au Hall of Fame de Magic en 2014. Il faut 100 points pros et dix ans de carrière, et moi ça fait 9 ans et j’ai 120 points pro. Mais le problème est que j’ai arrêté le circuit pro depuis 2008 et que je n’ai plus fait de perf’ depuis. Ça va être très difficile, je n’ai quasiment aucune chance. Alors que si je m’y remets sérieusement, et que j’arrive à faire un bon résultat, j’aurai de grandes chances d’intégrer le Hall of Fame. Ça permet d’être invité à tous les plus gros tournois du monde à vie, c’est quand même une reconnaissance fun de pouvoir aller à Hawaï tout frais payés une année sur deux. Mais le niveau est très bon, j’ai perdu des réflexes, ça me demanderai de faire au moins 4 heures de jeu par jour… Et entre mes projets et le poker, c’est assez compliqué. C’est en haut de ma liste des choses que je n’ai pas le temps de faire.

« Je n’ai jamais pris un centime en liquide depuis le début de ma carrière ! Et le fisc considère quand même ce que je fais comme une activité occulte »

Que penses-tu de la situation des joueurs pros français et de leurs démêlés avec le fisc ?

En attendant que la situation se clarifie avec le fisc, c’est assez délicat d’être joueur professionnel et résident français à l’heure actuelle. C’est très difficile de faire des paris sur l’avenir. Il y a plein de réactions contradictoires des différents acteurs. On le voit, il manque 100 Français par tournoi par rapport à l’année dernière. Les étrangers se déplacent un peu plus et les Français un peu moins. Les fields des MTT online diminuent aussi car les grinders ont peur que le fisc s’intéresse aussi au online ensuite. Et il y a de grandes chances que ce soit le cas. Ce n’est pas du tout sain pour l’économie du poker à l’heure actuelle et on espère tous que la situation va se régulariser très vite. Je pense que 99% des joueurs de poker seraient très heureux de payer 30 à 40 % d’impôts tirés de leurs bénéfices à la fin de l’année, de participer à l’économie française. Il n’y aura pas de stress. Mais payer 120% d’impôts comme actuellement, c’est complètement inadmissible. Ils sont en train de tuer la poule aux œufs d’or.

Je ne vois pas comment on pourrait ne pas arriver à terme à la situation des Etats-Unis : chaque joueur pro tient sa comptabilité, staking compris, deals compris. Tout est officiel, chacun fait sa déclaration comme n’importe quelle autre profession et à la fin de l’année, si tu n’as rien gagné, tu ne payes rien et tu as un crédit d’impôt sur les années suivantes si tu es perdant. Si tu es gagnant, tu payes et on en parle plus, comme n’importe quel travailleur. On ne veut pas se faire avoir en payant des indemnités de retard et des amendes pour activité occulte alors que 100% de mes gains ont été payés par chèque ou par virement. Je n’ai jamais pris un centime en liquide depuis le début de ma carrière, justement pour garder une trace au cas où ! Et malgré le fait qu’il n’y a aucune volonté de ma part de cacher quoi que ce soit, on considère quand même ce que je fais comme une activité occulte. J’ai toujours été propre et honnête, je remplit ma feuille d’imposition depuis 13 ans. Pour l’instant, le fisc essaye les coups de bluff et veut faire peur, ce n’est une situation agréable pour personne.

Sur ClubPoker, il y a un super article mathématique sur la variance, qui explique que pour un bon joueur gagnant, la variance est réduite sur 50.000 tournois ! Imposer sur les gains des 35 tournois par an, gains que tu vas peut-être reperdre l’année suivante, ça n’a absolument aucun sens. C’est l’échantillon qui compte et en live, il est trop faible pour pouvoir déterminer que le hasard n’est pas prédominant. C’est ça l’erreur principale du fisc à l’heure actuelle. J’ai essayé de leur expliquer, mais vu que le contrôleur ne sait déjà pas ce qu’est un buy-in... Il n’en a rien à faire, il faudrait en parler à des instances bien plus hautes pour être entendu.

Depuis la fin de ton contrat pro chez Barrière, penses-tu à te reconvertir pour trouver d’autres sources de revenus que le poker ? Cela peut-il te favoriser au moment de payer des impôts sur tes gains au poker ?

Si j’ai une autre activité, ça ne va rien changer, joueur de poker ou pas. Même si je ne joue que 20 tournois live et que je joue moins online, ce sera difficile de dire au fisc que ce n’était pas mon activité professionnelle en 2013.

Peux-tu nous en dire plus sur ton projet hors poker ?

Je pourrai vous tenir au courant très prochainement. Mes actionnaires risquent de m’embêter si je vous en parle pour le moment. Ce n’est plus au stade embryonnaire mais ce n’est pas assez avancé. Mais je serai très heureux de vous recontacter quand ce sera au point, promis. C’est un site web, pas un site de gambling évidemment. Vous verrez bien… Ce n’est pas impossible que je sois associé à des joueurs de poker (rires).  

Quel est ton programme pour le reste de l’année 2013 ?

Je vois vraiment au jour le jour en fonction des tournois et de mon emploi du temps. S’il y a un tournoi avec un field faible, je vais le jouer. Les gros tournois, ce ne sera pas une priorité. Je vais aller à Vegas en avance pour me faire au décalage horaire et me réadapter au jeu des américains qui est très différent du jeu des européens. Je vais sûrement jouer un Bracelet Event à 1000 $ ou 1500 $ avant le Main. Mais je ne pense pas y rester un mois comme les autres années. Je tombe malade systématiquement entre les 40° dehors et les 10° dedans. Les premières années c’est génial car tu découvres, mais là je pense y rester deux semaines. Quant tu y es, tu cherches à t’en sortir par tous les moyens, et quand tu pars tu n’as qu’une envie, c’est d’y retourner. Il y a un vrai problème avec Vegas (rires).

Tu nous parlais du style de jeu américain. Quelles sont les différences avec le style de jeu des européens ?

A Vegas, ils possèdent globalement un amour du beau jeu. Ils vont très rarement floater, ne pas faire de c-bet quand ils ont raté le flop. Les Européens sont plus flambeurs, un jeu plus gamble, ils pratiquent plus du poker de haute voltige. Il faut jouer plus tight contre les Européens alors que les Américains sont beaucoup plus nits, donc quand tu mises ils pensent que tu as touché. Il faut jouer plus agressif. Mais il n’y a pas de règle générale au poker, c’est ça qui est magique. Je dirai qu’on peut plus facilement bluffer les Américains que les Latins.

T’es-tu fixé des objectifs précis en termes de résultats ?

C’est un gros défaut que j’ai. Je ne me suis jamais fixé d’objectifs dans ma vie parce que la variance au poker est tellement grande que je pensais que ce n’était pas une bonne chose. Mais en fait, en parlant avec Stéphane Matheu (le coach du Team Winamax), qui est excellent dans son domaine et en qui j’ai confiance, je me suis rendu compte que c’était super important. Pour ma part, mon objectif a toujours été de jouer du mieux possible. Je vais essayer de me fixer des objectifs de résultats mais ça risque d’être difficile car je ne vais pas jouer beaucoup. J’aimerai faire une TF de l'un des trois circuits majeurs car c’est ce qu’il manque à mon palmarès. Mais j’aimerai arrêter de perdre mes énormes 80-20 dans ces tournois, car c’est épuisant pour le moral. Avoir l’impression d’avoir vraiment bien joué et perdre, c’est vraiment très difficile. Et quand ça t’arrive sur un WSOP à 10.000 $...

Propos exclusifs recueillis par Maxime Arnou/LivePoker

 

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