ITW Brian Benhamou : « Je suis un joueur hybride »
Brian Benhamou s'est confié à LivePoker après sa victoire au Marrakech Poker Open. Interview exclusive d'un pro passionné.
Récent vainqueur du Marrakech Poker Open, [Brian Benhamou] se distingue par une belle régularité sur le circuit live en 2012. Cela ne fait pourtant qu’un an que le Parisien se concentre sur les tournois… La naissance d’un vrai talent ? Pour le savoir, nous avons interrogé ce professionnel multicartes pour qui le poker reste avant tout une passion. Pour LivePoker.fr, Brian Benhamou revient sur sa perf’ marocaine, sa réussite en live mais aussi ses ambitions futures.
Bonjour Brian, pour commencer peux-tu revenir sur ton parcours dans le poker ?
J’ai démarré le poker il y a moins de dix ans, quand j’étais étudiant à l’Université de la Nouvelle-Orléans. J’ai commencé là-bas sur PartyPoker après avoir regardé le World Poker Tour à la télé, un peu comme tout le monde mais avant que ça arrive en France. Pendant un an, j’ai beaucoup joué et je me suis arrêté deux ans quand je suis rentré au pays. Lorsque le WPT a débarqué en France, je m’y suis remis... J’ai fait un premier dépôt de 80 € sur PokerStars et j’ai monté une bankroll petit à petit en jouant en cash-game. Je n’ai jamais redéposé après. J’ai ensuite décidé de m’y mettre sérieusement, j’allais sur les forums, je lisais des bouquins... J’ai progressé comme ça, en montant de limites en cash-game. Puis je me suis au live en sortant de l’argent de temps en temps pour aller faire des tournois.
Tu ne t’es donc jamais broke depuis tes débuts ?
J’ai redéposé depuis ma première fois, mais c’était plus des transferts d’argent. J’ai toujours eu une gestion de bankroll assez stricte. Ces cinq dernières années, j’ai toujours fait attention de ne pas direct buy-in un EPT par exemple. Ça me permet de continuer à faire des tournois aux buy-ins moyens, entre 500 € et 1500 €. Je n’ai jamais buy-in des tournois plus chers que ça. Quand j’ai commencé la première année, je ne comprenais rien, je déposais 50 $ par 50 $ et je monotablait un 33 $ ou un 50 $. Sur les trois premiers mois, j’avais gagné une fois 3000 $ et une fois 5000 $, ça représentait énormément d’argent pour moi. Depuis que je m’y suis mis sérieusement il y a quatre ou cinq ans, je ne me suis jamais broke.
Comment définirais-tu ton jeu ?
J’étais à la base un joueur serré voire très serré. J'ai élargi mon jeu de plus en plus, presque jusqu’à devenir maniaque. Après, mon jeu dépend des différentes phases d’un tournoi, de la structure, du tapis moyen, de mon stack, du style de jeu de mes adversaires.... Je vais clairement m’adapter. Il y a des styles que je maîtrise mieux que d’autres mais je pense être capable de jouer tous les styles. Et c’est plus agréable de jouer large quand on a plus de jetons, même si c’est plus fatiguant.
En 2012, tu as choisi de te concentrer sur les tournois live. Pourquoi cette décision ?
Cette année, je m’étais dit que je ferais tous les tournois entre 500 et 1500 € en France ou pas très loin. J’ai fait la table finale au Supersat PPT à Lyon, un ITM au PPD. Je me suis accroché au classement LivePoker, je trouvais que c’était stimulant (Brian est actuellement 21ème), j’avais des objectifs par rapport au classement. Avant je voulais être dans les 1000, après être dans les 500 il y a 3 ans, puis dans les 200, et l’année dernière dans les 100, avant de viser le Top 50 cette année. Vous nous compliquez la tâche en incrustant nos amis Belges (rires), mais pour l’instant j’y suis et je veux y rester. J’ai fait un pari en début d’année avec Philippe Ktorza comme quoi j’arriverai à finir devant lui au classement LivePoker. On était au coude-à-coude pendant un bout de temps, mais quand j’ai vu qu’il avait fait deuxième du WPT Championship… Il a gagné beaucoup de points et ca va être dur de le rattraper ! Si je ship un autre tournoi comme le MPO, on reviendra à égalité… C’est stimulant.
T’attendais-tu à être aussi performant dès ta première année sur le circuit ?
Clairement, l'un de mes objectifs était de parvenir à gagner un tournoi « moyen ». J’étais arrivé assez souvent en table finale, mais je n’avais jamais réussi à aller jusqu’au bout. Online, j’avais connu un long bad run et je m’étais beaucoup remis en question sur mon jeu. J'espérais que ça se passe bien en live, je voulais faire 50 tournois maximum. La variance, sur 50 tournois, est assez importante mais je suis content, j’ai de la réussite cette année…
A la base, tu es un joueur de cash-game. Comptes-tu te spécialiser dans les tournois à l’avenir ?
Je vais continuer à jouer online car c’est là qu’on affine sa technique et que l'on prend des automatismes. J’aime bien jouer online en MTT, car j’ai des ajustements à faire en tournoi, notamment pour le live. Le live est un point de progression, mais j’ai fait la plupart des adaptations en live, et ça me réussit plutôt bien. Je vais continuer à faire des tournois live régulièrement car ça permet de sortir un peu de la routine classique. Mais il faut dire aussi qu’après une année passée à jouer beaucoup de tournois, je suis un peu fatigué. Quand j’entends les joueurs sponsos qui disent qu’ils ont hâte de rentrer chez eux, je les comprends. Après le Maroc, j’étais content de rentrer chez moi pour deux semaines. Je comprends mieux la fatigue des joueurs de tournoi, mais bon je ne me plains pas du tout. Cette année je suis resté un mois et demi aux WSOP et c’est peut-être un peu long. Un mois et demi à l’hôtel c’est beaucoup, depuis je suis un peu usé.
Te considères-tu maintenant comme un joueur de live ?
Je suis un joueur hybride. Pour avoir discuté avec de très bons joueurs online, je fais encore des moves de joueur live en ligne. Mais j’ai toujours aimé apprendre, j’essaie de progresser depuis le début.
« Les joueurs payent l'image que l'on veut montrer du poker »
Tu reviens d’une victoire au Marrakech Poker Open. As-tu recommencé à jouer où t’accordes-tu une petite pause ?
Pour l’instant je suis à fond dans la compétition Team Poker Championship. Je me concentre sur ça avec tous les soirs des tournois online sur PMU.fr. Après j’enchaîne avec les FPS Paris (Brian s'est qualifié ce lundi pour le Day 2) et les Hold’em Series à l’ACF. Les gros tournois, ça sera pour plus tard.
Comment analyses-tu ta performance dans ce MPO ?
J’ai eu trois moments différents dans ce tournoi sur les trois jours. Au MPO, on est assez deep au début, on peut jouer des coups développés. Lors du Day 1, j’avais une table assez faible mis à part David Jaoui deux crans à ma gauche. En fin de journée, Mike Said (que Brian a battu en heads-up du tournoi) est arrivé pendant les trois dernières heures à notre table. Nous étions trois futurs finalistes à la même table, c’est assez rare pour un Day 1 ! D’ailleurs j‘ai faili bust au bout de deux heures face à David ou j’ai flush draw et lui une double ventrale. Je sais qu’il n’a pas grand-chose et à la fin je me retrouve avec Hauteur As... Il touche une paire de 5 à la river et check back mais je laisse la moitié de mon tapis sur ce coup. Après j’ai réussi à récupérer les jetons perdus et à développer mon jeu tranquillement, je finis la journée avec un stack un peu en-dessous de la moyenne.
Au Day 2, j’ai décidé de vite doubler et de prendre des spots favorables. J’ai la chance de trouver les Rois au bouton et je paye simplement une relance, ce qui me permet d’attraper un Scandinave qui fait tapis avec 20 blindes, puis je monte des jetons en bustant des shorts. Je monte ensuite un stack énorme, et je sentais que je jouais bien. Je n’ai jamais paniqué même quand je suis redescendu à sept blindes. En TF, j’avais la meilleure position à la table : les 2-3 meilleurs joueurs ou ceux avec des gros stacks étaient plutôt sur ma droite, et les joueurs plus tight étaient à ma gauche. J’ai eu la chance d’avoir un énorme set-up avec les Rois contre les Dames et les Valets. Je touche le Roi turn quand Omar Karib touche son Valet river... Après j’étais quasi chipleader et j’ai pu développer mon jeu jusqu’au heads-up, qui a duré longtemps. Je perds trois coups à tapis quand il est couvert et je gagne enfin le 4ème avec J-J contre Q-J. C’était un soulagement de gagner car vers la fin je me disais que je n’arriverai pas à le finir ! J’étais content que ça se finisse. C’est la plus grosse perf’ de ma carrière, ma deuxième victoire après la première sur le 500 € du MPO en avril. C’est sûr que le MPO me réussit plutôt bien…
N’as-tu pas peur d’être la proie du fisc français avec ces gains ?
Je n’ai pas été contacté pour l’instant. Normalement, dans les textes de loi, les gains de jeu sont non imposables. Il y a des majorations dûes à des activités occultes, alors que rien n’est occulte. En plus de ça, tous les joueurs sont trackés sur les sites online avec l’Arjel. Les majorations sont excessives. Je n’ai jamais été contre payer des impôts mais le poker est déjà prélevé à la source. L’année dernière, j’ai donné 80.000 € de rake online alors que j’avais gagné moins de 20.000 € ! Le problème, c’est que l’on paye l’image que l’on veut montrer du poker, les vainqueurs, des montagnes de billets… Tous les gens qui sont dans le poker savent que les grands joueurs ne sont pas tous millionnaires et ne roulent pas en Ferrari.
Tu sembles t’être parfaitement adapté aux fields du Maroc. Quels ajustements faut-il faire pour prendre l’ascendant ?
Il y a vraiment différents profils de joueurs. Les Français arrivent souvent en disant que les Marocains jouent hyper larges et font n’importe quoi, mais c’est vraiment les sous-estimer car il y a de très bons joueurs. En fait il faut s’adapter, il y a des flambeurs mais aussi des joueurs marocains assez serrés. En étant jovial à la table avec eux, on se rend compte qu’ils sont très ouverts, et on peut leur tirer des informations juste en étant sympa. Ça me va, je préfère m’amuser plutôt que de m’ennuyer. L’intérêt du live, c’est aussi d’échanger. Il faut savoir qui est capable de mettre 200 blindes au milieu avec top paire, il faut assez vite "profiler" les joueurs. C’est vraiment important au Maroc plus qu’ailleurs car il faut connaître les plays peu standards que les joueurs sont capables de faire.
Tu es actuellement assez largement en tête du championnat du Maroc 2012. Y a-t-il une petite compétition avec tes potes [Pascal Willemin] (2ème) et [Alexandre Réard] (4ème) pour le titre ?
Je suis en tête devant mon coéquipier chez MyPokerSquad Pascal Willemin. C’est vrai qu’il y a une petite compet’. Avant le MPO, je disais à Pascal : « T’as tellement d’avance, il faudrait que je gagne le Main pour te rattraper. » Avec Alexandre Réard, on avait aussi rigolé là-dessus, il disait : « Moi il faudrait que je gagne le 500… » Finalement, il fait deuxième et moi derrière je gagne le Main ! Cela a un peu stressé Pascal… Mais il est venu me soutenir en TF du Main, ça fait plaisir comme récompense. On s’entend bien et je suis content de jouer le titre contre deux très bons joueurs super sympas.
As-tu eu le temps de jouer en cash-game en marge du MPO ?
J’ai joué un peu lors des FPS à Mazagan, mais après le MPO je n’avais plus trop envie de jouer. J’ai perdu tous les gros pots que j’ai joué en cash à Mazagan, c’était dur…
Est-il facile de se concentrer sur le poker à Marrakech ?
Pour moi ce n’est pas un souci. Quand je suis dans un tournoi, je me considère comme professionnel. On peut me proposer les meilleures soirées du monde, je vais y aller une heure mais je vais vite aller me coucher car je suis là pour jouer au poker. Quand on se fait éliminer, on oublie assez rapidement la frustration de l’élimination avec les piscines ou les soirées. Je ne connais pas trop ça au Maroc car je run assez good mais c’est peut-être aussi pour ça que je perfe… J’ai aussi beaucoup d’amis là-bas, et c’est vrai que c’est mieux de profiter une heure de la piscine plutôt que de la pluie à Paris !
« Le poker est tellement concurrentiel, il faut se consacrer exclusivement à ça pour faire partie des meilleurs »
Passons maintenant à tes objectifs futurs. Online, sur quels domaines vas-tu travailler ?
Avant je me fixais des objectifs, j’ai notamment été Supernova 5 sur PokerStars, un demi Supernova Elite... Depuis un an, j’ai essayé d’autres sites. Je n’ai plus d’objectifs de volume car courir derrière les bonus... Je me fixe des objectifs en terme de qualité de jeu. En MTT, je veux essayer de gagner un major. Je sais que j’ai encore des leaks, je veux travailler mon jeu.
Et plus généralement, quelles sont tes ambitions dans le poker ?
J’augmente mes objectifs tous les ans. L’année prochaine, ce sera de faire au moins aussi bien que cette année, gagner un autre tournoi live, continuer à être performant régulièrement. Je ne me fais plus trop d’illusions sur un éventuel sponsoring, car ça ne se fait plus trop maintenant, mais je serai attentif en cas de proposition. Je pense qu’on peut vivre du poker sans contrat de sponsoring, mais il faut faire très attention à sa bankroll, aux coûts des tournois, aux coûts annexes. Il faut aussi faire attention avec la fiscalité. Il ne faut pas se retrouver « dénudé » si ça te tombe dessus.
Justement, as-tu déjà eu des contacts pour un contrat de sponsoring ?
Je n’ai jamais eu de contacts avec des rooms pour l’instant. Les bons joueurs sponsorisés, il y en a déjà beaucoup. Si un jour j’accumule assez de perfs’… Deux très bons potes à moi, Steven Moreau et Ronan Monfort, ont signé chez Barrière et PokerStars. Quand je vois des nouvelles têtes que je connais qui ont des contrats, je me dis que c’est possible. J’avais déjà fait la Top Shark Academy de Winamax l’année dernière. Je m’étais bien débrouillé pour rentrer, mais aussi pour en sortir vite…. S’il y a ce type de promotions, peut-être que je le referai, mais je ne suis pas spécialement fan des promos pour devenir membre d'une Team Pro. Les agences de joueurs peuvent aussi être une bonne idée, mais ça ne fait qu’un an que je suis dans le monde du live. Maintenant, si j’avais un contact et qu’on me présente un projet intéressant, pourquoi pas… Être sympathique à la table, twitter régulièrement, poster des messages sur Facebook, c’est aussi une manière de rassembler une communauté derrière moi.
Tu fais donc attention à ta communication ?
On ne peut pas dire que je le fais de manière très pointue. Après, j’ai de plus en plus d’amis dans le poker donc j’essaie de la faire. Je l’ai fait en rentrant chez MyPokerSquad pour que mes stakeurs soient informés, c’est pour ça que j’ai ouvert mon compte Twitter. Quand tu stakes quelqu’un, c’est sympa de vibrer avec lui. J’essaie de poster quelques coups sans en dire trop sur mon jeu… J’ai pu partager ma victoire au MPO par exemple.
A 32 ans, as-tu d’autres rêves en dehors du poker ? Penses-tu que tu vas jouer encore longtemps ?
Oui. Un de mes objectifs de vie a toujours été d’essayer d’atteindre le bonheur. J’étais avocat, et j‘ai décidé de tout arrêter pour jouer au poker. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup. Dans la vie, j’ai toujours pensé qu’il fallait prendre des risques. Je considère le poker comme un boulot et une passion. Tant que le poker me plaît et que je me sens bien dans le milieu, je continuerai. Si jamais un jour le poker s’essouffle, je penserai à une reconversion. Le jour où j’irai au poker comme à l’usine… J’arrêterai avant d’en arriver là. Le poker me suffit pour vivre. Je considère que le poker est tellement concurrentiel, qu’il faut se consacrer exclusivement à ça pour faire partie des meilleurs. Le niveau moyen augmente tellement vite. Il y a pas mal de très bons joueurs qui ne font plus trop de résultats car ils sont dépassés par le niveau moyen, ce qui doit être assez dur à vivre. Mais j’aime avoir une vie en dehors du poker, faire des choses simples. A un moment, je voudrais avoir une vie de famille…
Propos recueillis par Maxime Arnou