ITW Kris Pereira 1ère partie : « Si j’ai PokerStars derrière moi, je suis champion du monde ! »
Première partie de notre interview exclusive de Kris Pereira. ll nous parle de ses débuts dans le poker, du sponsoring, des cercles de jeu et de la jeune génération.
Dans l’ombre des pros sponsorisés, [Kris Pereira] est l’un des joueurs français les plus réguliers du circuit depuis 2010. Mais celui qu’on pourrait classer parmi les livetards, au fort caractère parfois décrié, a également un avis bien tranché sur de nombreux sujets touchant au poker actuel tout en gardant les pieds sur terre. Des World Series sur Playstation aux plus grosses tables de cash-game françaises, le récent finaliste du WPT Ile Maurice retrace son passionnant parcours.
Tu es souvent référencé sur les tournois avec le prénom Christopher ou Christophe. Pourquoi souhaites-tu te faire appeler Kris ?
Je suis d’origine portugaise, et en France le Christopher est vite devenu Kris. Il y a aussi des gens qui m’appellent Christophe, mais ça m’énerve car ce n’est pas non prénom. Je m’y suis fait, mais moi c’est Kris ou Christopher.
Comment as-tu débarqué dans le poker ?
A la base, je faisais du tennis à un très bon niveau, j’étais -4/6, le niveau juste avant l’élite. Je n’avais jamais joué à quoi que ce soit, j’avais une vie de sportif, je ne veillais pas toute la nuit, j’étais super actif. Un ami d’enfance, qui tenait un bar, m’a ramené dans les cartes. Il m’a amené au Cercle Wagram. Le temps de faire la route, il m’a expliqué un peu les règles. Etant un très mauvais perdant, ça c’est mal passé le premier soir, j’ai perdu 200 € de l’époque en ayant joué toute la nuit sur une NL 100. J’étais déjà très patient à l’époque, ce qui me caractérise toujours maintenant. Le lendemain, j’ai acheté un jeu de poker sur Playstation, je me suis enfermé quinze jours chez moi et j’ai appris à jouer. Je faisais les World Series sur console... Je jouais ensuite un peu en cercle, plutôt à Wagram j’ai eu un peu de mal à accrocher avec l’ACF. Je n’y vais que quand il y a des gros événements.
« Les cotisations des cercles, c’est du racket »
Tu n’es donc pas de l’avis de plusieurs joueurs qui décrivent l’ACF comme l’un de leurs cercles préférés ?
Je te parle franco, je ne suis pas pour le principe des cotisations, c’est du racket, alors que je joue gratuitement dans tous les casinos du monde. J’ai joué à Macao, aux Aussie Millions, je suis rentré en short et baskets et on ne demande pas un centime de cotisation. 150 € c’est trop. Je sais que la loi française oblige les cercles à la cotisation, mais bon…
Tu sembles plutôt être un adepte du poker en live…
Online, j‘ai beaucoup de mal. C’est le même poker mais j’ai besoin de ressentir et voir les choses à table. Il y a des soirs où ce n’est pas terrible au casino de Bordeaux alors je reste a la maison avec ma femme et mon fils et je fais un petit tournoi, quand il y a des packages à gagner. Une saison sur le circuit c’est 100 ou 150.000 € quand tu n’es pas sponsorisé…
Tu t’es spécialisé dans les tournois depuis quelques années ?
Je suis un joueur de cash-game, ça ne fait que trois ans que je fais des tournois. Aujourd’hui, j’ai une vie de famille et j’ai compris que le vrai poker se fait en tournoi. J’ai commencé les tournois vers 2009. Avant l’offre n’étais pas la même, maintenant il y a un tournoi dans chaque coin du pays. Il n’y a plus de grosses parties de cash-game comme avant, en NL 50/100 et 100/200 à l’époque des Thomas Bichon et Stéphane Albertini. Par rapport à mon volume de jeu, je m’ennuie. En France il n’y a plus de grosses parties. Quand tu as joué en 100/200 et que tu relances à 12 €, ca fait bizarre. Moi je faisais des grosses parties privées notamment au Maroc où j’ai monté une belle bankroll. Quand Wagram a fermé, j’étais déjà parti sur Bordeaux. Pour un grinder de live comme moi, il n’y avait plus rien à faire à Paris, étant donné qu’Haussmann et Wagram étaient fermés. Quant ils ont ouvert le casino de Mazagan au Maroc, j’ai fait trois mois là-bas où j’ai tout gagné, dont le tournoi inaugural du Mazagan Poker Million. C’était vraiment la folie là-bas, tout les joueurs de cash y allaient car c’était plus proche que le casino Es Saadi de Marrakech. Il y a eu du grand n’importe quoi et il fallait être là pour ramasser les morceaux.
Comment as-tu appris à jouer ?
C’est un jeu très compliqué, ce n’est pas comme au tennis. Si un inconnu rentre sur le court face à Nadal, il va se faire défoncer, alors qu’au poker un inconnu peut remporter les World Series. Il y a une grande part de chance. Je reviens sur Antoine Saout, qui normalement doit gagner le titre de champion du monde en 2009 : on a bien vu comment il s’est fait nettoyer en deux coups. C’est frustrant mais c’est comme ça, on aime ou on déteste ce jeu. On se rend compte de la progression du jeu, il faut actualiser notre jeu, il y a des mains qui ne se jouent plus comme avant. Il y a trois ans, c’était la grande mode du As-Roi, nous on se foutait de la gueule des jeunes qui faisaient tapis dès qu’ils voyaient As-Roi, puis il y a eu la polémique avec Ilan Boujenah. Sinon quand il y a Fabrice Soulier en finale de l’EPT Campione, je regarde. Mais les vidéos, à part les World Series… Je préfère passer la nuit sur des vidéos de boxe et de free-fight.
On sait que de nombreux anciens sportifs, comme David Benyamine, Patrick Antonius, Jean-Philippe Rohr, Teddy Sheringham ou encore Vikash Dhorasoo ont ensuite réussi dans le poker. Est-ce que le fait d’avoir pratiqué un sport à haut niveau te sert aux tables ?
Ça m’a forgé un gros mental. A l'Ile Maurice par exemple, il me restait deux blinds et demi et je me suis accroché. Je retrouve dans le poker cet esprit de compétition qu’il y avait dans le tennis. Le poker, c’est la jungle, la guerre. Qu’on soit 20 où qu’on soit 1000, il faut gagner. Si tu prends la pub Winamax, on y voit des armes, non ? C’est le résumé du poker, ils ont tout compris. Quand je rentre dans un EPT avec 800 joueurs, c’est un film, on voit les têtes qui se coupent. Au début tout le monde arrive en forme et à la fin il y a beaucoup de blessés.
Aujourd’hui, te considères-tu comme un joueur professionnel ?
Je ne fais que ça depuis trois ans. Pour moi, un pro c’est un joueur sponsorisé. Je me considère comme un semi-pro. Mais en 4-5 ans au poker j’ai pris beaucoup plus d’argent que durant toute ma carrière dans le tennis. Ils sont peut-être dix en France à vivre du tennis, les autres vivotent. Je ne regrette pas de m’être lancé dans le poker. Je suis resté un an à Los Angeles, j’ai eu mon bac et mes parents m’ont autorisé à faire ce que je voulais.
As-tu de bons amis sur le circuit ?
J’étais régulier du cercle Wagram avec Jean-Paul Pasqulini, celui que j’appelle un peu mon parrain, car c’est avec lui que j’ai commencé sur le circuit. J’ai bien accroché avec Guillaume Darcourt aussi, j’ai sympathisé avec Antoine Saout, sinon le reste des joueurs, les semis-pros un peu comme moi, c’est bonjour-bonjour. C’est un jeu où tu ne peux pas vraiment avoir de bonnes relations avec les gens car on est là pour se déchirer.
« Les sites prennent des lapins savants »
Que penses-tu du marché du sponsoring poker actuel ?
Les joueurs sponsorisés ne sont pas toujours conscient de la chance qu’ils ont. Il y a des joueurs sponsos que tu vois moins sur le circuit que des semis-pro comme moi. Sans parler langue de bois, tu prends les joueurs Barrière : moi leur contrat ne me fais pas rêver. Ils ont 100.000 € à l’année mais tu ne les vois que dans les casinos Barrière. On se demande même si les joueurs Barrière ont un passeport… Mais si tu veux connaître mon vrai coup de gueule, quand je vois des joueurs sponsos qui ont PokerStars derrière eux… Moi aujourd’hui si j’ai PokerStars derrière moi, je ne suis pas champion de France, je suis champion du monde ! Pour moi, quand tu fais 300 tournois par an, et qu’un joueur sponso fait un coup avec Valet Quatre ou 10-5, il y a un moment où la presse va trouver ça fabuleux. Mais un joueur qui paye son tournoi, il ne jouera jamais comme ça. Quand t’as une machine comme PokerStars derrière toi, tu sautes et tu peux aller dans un autre tournoi. Je préfère jouer bien comme il faut et faire un coup de folie de temps en temps. Par exemple, si tu fais 600 flashs par heure, et qu'un joueur joue juste une fois dans l’année le vendredi 13... C’est quand même celui qui joue 600 fois qui a le plus de chances de gagner, non ?
Tu sembles faire très attention à l'actualisation de tes résultats. Est-ce dans le but de décrocher un contrat ?
Ouais, on se casse la tête à faire des tournois, donc on veut que tout soit retranscrit comme il faut. C’est notre vie, la pierre qu’on apporte à l’édifice du poker. Comme je pense que 2012 va être une année charnière pour moi, j’ai envie que la fiche soit propre. C’est vrai qu’un sponsor, c’est un plus dans une carrière. S’il l’un d’eux frappe à la porte, on verra ce qu’il propose. Ça devait déjà se faire il y a trois ans avec Jean-Paul Pasqualini, qui voulait monter une équipe. Il y avait un projet qui était un peu l’ancêtre de Mypokersquad, Jean-Paul voulait lancer quelques jeunes prometteurs après sa victoire au PPT, mais il fallait certaines autorisations. Aujourd’hui, c’est difficile d’être contacté par une room car je ne joue pas beaucoup online, à part sur PokerStars. A part l’image que j’ai à leur proposer en live… Et maintenant que je ne suis plus sur Paris, il faut aller les rencontrer… Je ne te cache pas que je vais souvent sur Internet, et après Le Parisien je regarde LivePoker.fr. Quand je vois des articles sur les agences de joueurs, ça me met l’eau à la bouche. Ils ont réussi à placer des joueurs.
As-tu des contacts ? Penses-tu être bien placé par rapport à d’autres joueurs ?
Je ne sais pas faire de langue de bois, il ya des gens qui sont des imposteurs dans ce milieu. Ils savent très bien ce que je pense d’eux et ils se reconnaitront. Ils ont été là au bon moment et ils n’ont pas le niveau de certains joueurs qui doivent se payer des tournois mais qui sont dix fois plus forts. Des fois, des sites prennent ce que j’appelle des lapins savants, c'est-à-dire qu’ils vont leur dire « lève l’oreille » et ils vont faire ce qu’il leur demande. Je les comprends dans un sens, c’est leur gagne-pain, mais il y a des limites, on n’est pas des cobayes.
Un joueur comme toi a-t-il recours au staking ?
J’en avais déjà entendu parler par Mypokersquad. J’ai découvert qu’il y avait des bons joueurs comme Ronan Monfort. C’est déjà arrivé sur certains événements, par des gens vraiment proches. Dans la région, il y a des sportifs de haut niveau, je trouve le clin d’œil sympa en tant qu’ancien sportif d’être sponsorisé par des sportifs. J’ai Michel Pavon, l’ancien entraineur de Bordeaux qui est un ami proche de ma cousine Isabel Baltazar (également joueuse semi-pro).
« Adrien Garrigues, il est mort »
Que penses-tu de la jeune génération ?
Isabel a de très grosses affaires sur Bordeaux pour garder un cadre de vie, pour ne pas être déconnectée. Parce qu’un beau jour, ce rêve va se terminer, on ne sait pas quand. Quand je vois des jeunes qu’on présente comme des stars, des très bons joueurs, mais qui n’ont jamais travaillé... Pour eux, le réveil va être très compliqué. Un petit jeune de la région, Adrien Garrigues, qui a fait beaucoup de perfs pendant trois quatre mois… (Adrien avait réalisé 6 tables finales durant les six premiers mois de 2011, ndlr) Aujourd’hui, je te le dis, il est mort. Il faut arriver à bien gérer. Pour faire un 500, c’est limite s’il n’est pas stacké par Jean-Jacques Mars, ça fait peur. Si tu dis ensuite au jeune d’aller récolter le raisin pour 800 € par mois, ça va faire bizarre, non ? Ces trois-quatre dernières années, j’en ai rencontré plein des cracks, que ce soit en France ou à l’étranger. J’essaie de leur dire : « Calmez-vous ». Enfin je ne joue pas trop le rôle de Pascal le Grand Frère non plus. S’ils veulent se brûler les ailes… Nous on est allé au charbon.
Retrouvez la seconde partie de l'interview vendredi 25 mai.
Propos recueillis par Maxime Arnou