ITW Kris Pereira 2ème partie : « J’ai fait craquer des mecs à table, ils me suppliaient à la fin »
Deuxième partie de notre interview exclusive de Kris Pereira. Au programme : trashtalk, coups de gueule et objectifs futurs.
Tu as une réputation de grande gueule sur le circuit. Est-elle justifiée selon toi ?
Les gens qui me connaissent en dehors de la table savent que je suis un mec adorable. Mais une fois que je suis à table, je considère ça comme une arène. En cash-game, c’est le seul métier du monde où tu peux te servir dans la poche des autres avec le sourire. En tournoi, il faut arrêter de dire « désolé » quand tu as mis un bad beat. C’est comme Highlander, il ne doit en rester qu’un. Il y a beaucoup d’hypocrisie. Je vois des gens comme Lucien Cohen, on est un peu de la même graine, on est des gagnants, on n’aime pas perdre. On aime ou on n’aime pas, mais on ne laisse pas indifférents.
Le trashtalk est-il une arme que tu utilises à table ?
Bien sûr, j’ai fait craquer des mecs à table, ils me suppliaient à la fin. Tu ne pouvais pas les sortir de leur bulle, ils écoutaient leur musique, je les ai fait craquer totalement et ils finissaient par jouer 7-2 pour m’attraper. Il faut les titiller pour les faire sortir de leur bulle, ce sont des robots. Si tu ne les excites pas un peu, tu ne peux rien leur faire.
Et comment fais-tu pour sortir les joueurs de leur cocon ?
Chaque dossier est différent, tu sens le point faible de chacun, et tu joues là-dessus. Ce n’est pas vraiment du trashtalk, plus du poker trash. Tant que ça reste dans les limites… Ce qu’a fait Darcourt à Evian, tout le monde dit que c’est honteux. Non, ce n’est pas honteux, ça se joue à l’expérience. Mais quelle est la limite? Il a vu le point faible en face, il s’en est servi. Moi ça m’est déjà arrivé dans des tournois à 500 ou 1000 € d’annoncer couleur alors que le mec avait brelan, et il jette ses cartes. Et là je montre mon jeu et j’ai air total. C’est à eux de garder les cartes, les règles sont simples, on les connait tous. Quand tu rencontres des vieux routiers, on se sert des avantages qu’on a. Ça s’acquiert avec l’expérience, les voyages, le fait de jouer à l’étranger. Le poker évolue. Je me souviens d’une interview de Roger Hairabedian qui disait qu’à chaque fois qu’il était à une table de poker, il apprenait quelque chose. Même dans les tournois hebdos à Bordeaux, il y a plein de touristes, je les observe quand même. Je me sers ensuite de leurs erreurs pour les exploiter dans un coup plus tard.
« Les casinos devraient se réunir autour d’une table pour uniformiser les règles »
Y-a-t-il des pokerrooms dans le monde où il est plus difficile d’utiliser ces petites armes ?
C’est encore plus facile à l’étranger. On a le handicap de la langue, on peut encore se servir de certaines feintes à ce niveau-là, comme quoi on ne comprend pas, on ne parle pas très bien, alors qu’on est aussi vifs que nos adversaires. Franchement, c’est en France que les règles sont les plus compliquées. Dans n’importe quel pays, toutes les règles sont identiques. La règle qui dit que lorsque deux joueurs checkent à la river, on ouvre dans l’ordre du bouton, est honteuse. Ce n’est pas normal que tu ouvres tes cartes en premier si tu as payé à la rivière. Les casinos font leurs petites règles à eux, alors que ce serait mieux s’il se réunissaient autour d’une table pour uniformiser les règles.
Une petite anecdote à ce sujet ?
Je me rappelle d’un coup avec Jean-Paul Pasqualini. On était au Main Event des WSOP et on a presque eu une pénalité tous les deux car on était à la table d’un Américain, qui nous reprochait de parler français alors qu’on avait pas de cartes à ce moment-là. Les Tournament Directors sont venus. Ils s’en sont pris à lui car il était très médiatisé, il devait normalement avoir un avertissement où un tour de pénalité. C’est vrai qu’en France ils autorisent des choses qu’on ne verrait pas ailleurs. Imagine que quand je n’ai pas de cartes, je peux parler à un Français, lui dire mon jeu… Ce n’est pas normal.
Quelle est pour l’instant ta plus belle perf’ ?
J’aurai dû faire un gain à six chiffres à l’EPT Monte-Carlo en 2010. Je suis deuxième en jetons et je m’accroche avec le chipleader dans un pot qui fait cinq fois et demi la moyenne. J’ai réussi à tout lui faire mettre avec K-10 sur K-8-5 quand j’ai A-K, et il touche deux paires river. C’est un coup à 100.000 €, c’est un tournant, tu ne les joues pas tous les quinze jours. Ça aurait été un tremplin. C’est le seul K.O que j’ai eu en jouant aux cartes. J’ai eu un voile blanc, je me suis rendu compte que c’était énorme. Je m’étais qualifié par satellite. Je pars du principe que si je ne suis pas qualifié pour un tournoi, je n’y ai pas ma place.
Tu as terminé 5ème lors du WPT Ile Maurice en avril dernier. Peux-tu nous raconter ton tournoi ?
Normalement c’est un tournoi que je dois finir sur le podium. A l’entrée de la table finale, je prends un vrai bad beat avec les Valets contre paire de Trois alors que si je passe ce coup, je prends le chiplead. Fabrice Ricci, qui termine finalement deuxième, fait quinte… Le sort en a décidé autrement. Sinon j’ai été souvent shortstack, mais je me suis accroché. Je suis un éternel insatisfait, mais ce sont des coups qui peuvent tout changer. A neuf joueur left, je suis shortstack et je finis 5ème, j’ai fait ce que j’ai pu. Mais c’était super, on a pu passer des vacances en famille, les familles de joueurs se sont rencontrées, c’était sympa. L’ambiance était détendue, les croupiers n’y connaissaient rien, il y avait des erreurs monumentales, mais avec un sourire ça passe…
Les tournois WPT se multiplient sur le circuit. Ces titres ont-ils toujours le même prestige selon toi ?
A l’Ile Maurice il n’y avait même pas de bracelet. Quand on me dit « super tu as fait une table finale WPT », je réponds « mais parles-moi d’un WPT au Bellagio ! »
Tu ne comptes aucune place payée aux Etats-Unis. Comptes-tu disputer les WSOP ?
Je me suis qualifié il y a deux ans, j’ai fait le Main Event. Quand tu vois que la salle fait la taille d’un terrain de foot et qu’il n’y a que des bruits de jetons… Tu te rends compte que tu es dans le vif du sujet. Cette année, j’ai deux sponsors dans le milieu sportif, Michel Pavon et Pierre Larue, le président du club de rugby de Périgueux. Ils me confient en gros 40.000 € pour les WSOP, ça va me permettre de jouer pleinement et sereinement. Je suis parti dix-douze fois à Vegas voir des combats de boxe, l’UFC, notamment Cheick Kongo, qui est le parrain de mon fils. Mais à l’époque je ne jouais pas.
« Les institutions sont en train de tuer le poker en France »
As-tu un coup de cœur à faire partager?
Le coup de cœur, c’était la table finale d’Isabel Baltazar à l’EPT Barcelone. J’étais auprès d’elle durant tout le tournoi, je lui expliquais comment gérer la pression, même si elle est passée au travers en table finale car je lui ai dit qu’avec le 4ème stack au départ elle ne pouvait pas terminer 8ème. Mais on ne peut pas lui en vouloir, ce n’était pas son milieu, c’était déjà exceptionnel, ce n’est pas demain qu’on verra une française en finale d’un EPT à 800 joueurs. Elle a vécu la table finale que je n’ai pas encore vécue. Maintenant c’est l’une des grandes figures du poker féminin au niveau français. Quand je la vois à table elle joue comme un homme, elle me fait penser à Vanessa Selbst.
Au contraire, as-tu un coup de gueule à faire passer ?
Il faut que certains casinos pensent plus aux joueurs, ce sont les joueurs qui font les parties. Par exemple il y a quatre-cinq ans, les croupiers n’intervenaient pas à table, c’était un arbitre. Maintenant la nouvelle génération, qui joue un peu online, se permet d’intervenir dans le jeu. C’est limite s’ils ne disent pas aux clients que le coup était mal joué. Ça me rend fou, je préfère me lever dans ces cas-là.
Il y a aussi les institutions françaises qui sont en train de tuer le poker en France. Quant tu joues sur des grosses tables à 4% de rake en cash-game, c’est du vol. A la fin de la soirée, la moitié est dans la boîte. Je veux bien participer car nous avons une sécurité sociale, le chômage, mais à un moment c’est trop. On nous dit attention aux parties privées, mais je comprends les gens. A la fin de la soirée, l’argent reste sur la table. Ils veulent mettre des impôts sur le poker… On paye déjà au casino, et nous allons payer quoi encore ? Autant tout donner tout de suite. J’ai une double nationalité, si certaines lois étaient mises en place je partirai sans problème sur la terre de mes ancêtres au Portugal.
Le classement LivePoker est-il un objectif pour toi ?
Cette année le classement LivePoker sera intéressant car il y a aussi les joueurs Belges et Suisses, ça fait un peu plus de concurrence. Il y a par exemple Matthias de Meulder, avec qui j’ai joué et qui est très très fort. Je ne tiens pas une agence, mais je sais repérer les bons joueurs. J’ai été éduqué aux résultats, ça permet de savoir où on en est. Après tu peux finir champion de France et ne plus faire de résultats. Mais ton heure viendra forcément.
Quelles sont tes ambitions futures?
On va taper le carton avec les Ricains, sur leur terrain, et on va voir ce que ça donne ! Ça serait bien d’avoir une ligne au Main Event. J’aimerai rejouer avec de grands joueurs comme Patrick Antonius ou Phil Ivey, comme aux Aussie Millions. Tu n’auras pas un field identique à l’EPT Deauville... Je vais essayer de me qualifier pour des gros tournois. Après que je fasse un 500 ou un 2000, l’envie reste la même, j’y vais pour tout casser. On a la chance de faire ce métier, alors que des gens travaillent à l’usine pour 800 €. Il faut respecter l’argent.
Retrouvez la 1ère partie de l'interview de Kris Pereira.
Propos recueillis par Maxime Arnou
Photo : Tommy Mandel