Rémi Marlair : « Je ne pense pas avoir plus de chance que les autres »
LivePoker a rencontré l'un des sharks les plus performants du poker online français. Interview fleuve d'un espoir promis à un bel avenir.
Rémi Marlair : un nom controversé dans le milieu du poker français. Et pour cause, ce prodige issu du online écume les tournois du .fr grâce à un jeu atypique, empreint d’un instinct maîtrisé. A fond dans sa passion, « Shooye » est un joueur multitâches qui tente maintenant d’exporter son skill en live. Avec un contrat de sponsoring dans le viseur…
Bonjour Rémi, peux-tu nous raconter tes débuts dans le poker?
A la base, c’est un ami qui m’a appelé pour une partie privée. Je ne savais pas jouer, c’était une partie à 20 euros avec six joueurs. On m’a expliqué les règles et j’ai gagné la partie alors que les mecs savaient quand même jouer. Ça m’a fait kiffer, j’ai commencé les parties entre amis et le poker online, et aussi le cash-game dans les casinos. Après, je me suis mis sérieusement au online, depuis 2009. C’est ma seule source de revenus depuis juillet 2010. Avant, j’ai fait un master d’informatique MIAGE en alternance. A la sortie, on a monté une agence de com’ avec un ami à moi. Mes gains au poker ont commencé à prendre le dessus, je n’avais plus assez de temps pour ça, donc j’ai revendu mes parts.
Es-tu satisfait de ton parcours lors de la finale du Partouche Poker Tour (Rémi a été éliminé lors du Day 3, avant les places payées) ?
Je suis assez content d’avoir monté un stack mais j’aimerai réussir à concrétiser. A l’EPT Deauville, c’était pareil. En live je monte des gros stacks rapidement et je ne vais pas au bout.
Quel bilan tires-tu de ton année 2011 ?
J’ai fait une grosse année online, même si je pense que j’aurai pu faire encore mieux. Sur des tournois à gros prizepools, je me suis souvent envoyé en l’air. Mais bon, dans l’ensemble je fais une énorme année, je suis à plus de 180k de bénef’ online. Donc c’est quand même honnête… J’ai joué un peu sur le .com, j’ai fait quelques tournois quand il y avait un gros prizepool. Je vais peut-être m’y consacrer un peu plus, pour des tournois comme le Sunday Million. Mais je suis assez confortable sur le .fr, je gagne bien ma vie, les fields sont moins gros et le niveau est moins fort. En live, le bilan est mitigé. Je n’ai pas joué beaucoup de tournois live, mais dans la plupart je suis assez à l’aise, j’arrive à monter des gros stacks facilement. En général, je finis par sauter au Day 2 ou au Day 3, avant les places payées, mais je vise la table finale. Je suis un petit peu déçu en terme de résultats. Mais je n’ai pas fait 100.000 tournois non plus ! C’est toujours le même scénario, je m’installe parmi les chipleaders et je finis par tout reperdre.
« Un tournoi à 8500 € en live, je compare ça à un 300 € sur le .fr. »
Dans quels domaines estimes-tu devoir progresser dans ton jeu ?
Je pense que j’ai un jeu atypique d’après ce que j’entends, assez agressif. Forcément ça gène un peu certains joueurs. Je n’ai pas peur de faire des moves, des trucs un peu bizarres, relancer des mains aléatoires pour déstabiliser mes adversaires qui ne savent plus trop ce que je fait. Mais je dois apprendre à laisser tomber certains bluffs plutôt que de m’enfoncer. Reconnaître parfois que ce ne sert à rien d’envoyer un deuxième ou un troisième barrel, qu’il vaut mieux ralentir.
As-tu réussi à t’adapter au jeu live ?
Je pense avoir bien compris les différences. Mais il y a des adaptations que je n’ai pas fait… Parfois en live, on peut se permettre d’attendre les places payées avant de viser à tout prix la gagne. Je dois parvenir à resserrer mon jeu en live. Au PPT, vu le stack que j’avais, j’aurai pu attendre les places payées. En termes de paiement, il y a une différence et en terme de jeu aussi, c’est plus tight. Je trouve que les tables sont plus hétérogènes : il y a des gros joueurs, des moyens, des bizarres, pas d’homogénéité. C’est également super important de s’adapter à chaque joueur en particulier. Ils ne viennent pas tous du même monde et n’ont pas tous les mêmes règles.
Que penses-tu du niveau des tournois live ?
Je considère qu’en live le niveau est plus faible techniquement. Après il y a aussi le feeling, la sensation des adversaires, les tells.... Au niveau de la technique pure, le niveau est clairement inférieur. Un tournoi à 8500 € en live, je compare ça à un 300 € sur le .fr. En jouant beaucoup de mains online, on se rend compte du niveau technique. En live, la technique à moins d’impact sur les résultats. Il y a des joueurs qui peuvent y arriver sans un très haut niveau technique car il ont une bonne psychologie, ils profilent bien les joueurs… En France, il n’y a pas de problème, j’ai le niveau. Concernant le circuit EPT par exemple, certains doivent être très relevés, je ne peux pas me prononcer. Sur mes tournois français, vu le peu d’échantillon que j’ai, je pense vraiment avoir quelques chose à faire. J’ai fait des tables finales sur des 500 €, des 300 €, mais j’ai tendance à trop m’emballer quand je monte un gros stack. Sachant qu’on voit moins de mains que lorsque l’on joue online, on peut se permettre de resserrer un peu, contrairement au online où quand on grinde bien, on relance tout…
As-tu l’impression de runner bad en live ?
Le problème, c’est que j’ai l’impression de revivre tout le temps le même tournoi. Après, si je run bad ou pas, c’est difficile à dire. Je n’ai fait que dix tournois, l’échantillon est faible.
« Le challenge 1K lors de la dernière semaine d'octobre »
Tu es de plus en plus médiatisé pour tes performances. Arrives-tu à gérer tout ce que cela engendre ?
Je l’ai un peu cherché à force de me mettre en avant ! C’était mon objectif. C’est vrai que ça a ses avantages et ses inconvénients. Il y a des gens qui critiquent mais aussi qui me supportent. Je le vis bien. Mon objectif est aussi de me faire voir en live pour trouver un sponsor. Je suis ouvert et à l’aise avec cette médiatisation. C’est vrai que c’est une nouvelle dimension, il faut faire plus attention à ce qu’on dit, ce qu’on fait. Je commence à modérer mes propos. Ça m’est arrivé de dire des choses trop prononcées par le passé. Il y a une image à construire…
Pourquoi avoir lancé ce challenge 1k par jour (Rémi a lancé un défi : il propose de parier contre lui sur le fait qu’il ne réussira pas à gagner 1000 € par jour sur les tournois de Winamax pendant une semaine) ?
Avant tout, c’était un challenge personnel parce que j’était un peu lassé du .fr. C’est « trop facile », c’est souvent la même chose. Je me suis déjà lancé plusieurs challenges et à chaque fois ça m’a remotivé. Je gagne toujours mes challenges. Pour celui-ci, je considère que je peux gagner à 50%. Ce sera lors de la dernière semaine d’octobre. J’ai environ 7000 € de paris qui ont été pris, notamment par Clément Thumy, Ilan Boujenah ou Nazim Guillaud. Pour le futur, j’ai une nouvelle idée de challenge contre un joueur sponsorisé assez connu. Le pari porterait sur des perfs' online pendant un temps donné. Les joueurs pourraient prendre les paris, soit contre moi, soit contre lui, mais ce n’est pas encore organisé.
Tu as accepté d’être coach pour le site Bestkicker. Que t’apportes cette activité ?
Ça permet d’aborder le poker sous un autre aspect. L’objectif est de faire progresser des joueurs, et d’analyser ton propre jeu. On apprend aussi de son propre jeu, on voit ses défauts et on s’améliore. C’est aussi gratifiant de faire progresser quelqu’un, qu’il réussisse après. Je pense continuer à faire des vidéos, notamment sur des tables de six joueurs.
« Quelque chose que les autres n’ont pas »
Tu es depuis la fin août Local Heroe sur Winamax. Es-ce une fierté ?
Local Heroe sur une des rooms principales du .fr que j’apprécie… C’est quand même une fierté d’être reconnu en tant que bon joueur.
Penses-tu pouvoir intégrer la Team Winamax à terme, même si très peu de Local Heroes sont passés chez les Pros ?
Bonne question. Je sais que la Team Winamax est quand même assez fermée. Je sais aussi qu’une bonne partie de la Team croit en moi. Certaines personnes m’ont dit que j’avais quelque chose que les autres n’avaient pas. Je ne sais pas ce que ça veut dire... J’aimerai bien intégrer la team, c’est sûr… Je connais les surtout les Local Heroes qui jouent en tournoi, comme Paul-Pirès Trigo ou Nicolas Chappuis, mais il n’y a pas tellement d’interaction entre les Local Heroes, ni d’émulation. Mais au Winamax Poker Open, nous étions bien considérés par la Team pro, on a pu échanger avec eux.
Quels sont les avantages du statut de Local Heroes ?
On une réduction sur les EPT, ça peut être un tremplin si on fait une table finale. En septembre, nous avons aussi pu participer au Winamax Poker Open. Sur des tournois « Kill the champions », il y a un bounty sur nous. Il y aussi l’avantage d’avoir une présentation sur le site, ça me fait une image sur le site de Winamax.
Tu fais également partie de la Team Mypokersquad. Le stacking est t-il indispensable dans ta situation, alors que tu as constitué une bankroll conséquente ?
Ça rentre dans une logique globale. Moi je veux surtout être stacké pour les tournois live, mais je me propose aussi pour des tournois online, comme les High Rollers. C’est plus pour remercier mes stackeurs. Le site me fait profiter de ses services, et je leur rends la pareille à ce niveau. Mais c’est surtout pour le live, car ça revient vite cher. Je n’ai aucun mal pour me faire stacker, je vends des parts pour des tournois allant jusqu’à 2000 ou 3000 euros. Pour la finale du PPT en revanche, je me suis fait stacker par des joueurs de la Team Winamax. Pour ces buy-in plus élevés, je vois directement avec des personnes qui me soutiennent.
Tu es vraiment très impliqué dans la communauté poker. C’est toute ta vie maintenant ?
C’est vrai, je suis à fond dans le poker, j’essaie de m’investir. Mais je vais aussi m’intéresser au business, peut-être ouvrir une boutique dans les produits de luxe. J’ai eu vraiment un cap où je faisais trop de poker, mais aujourd’hui j’arrive à prendre du recul. Les jeunes joueurs sont généralement célibataires, n’ont pas trop de rythme de vie… Là j’ai rencontré quelqu’un, c’est sérieux, je suis un peu obligé de prendre du recul, de diminuer mes activités poker.
« Certaines critiques sont un peu faciles »
Que réponds-tu à ceux qui critiquent tes performances ?
Mon échantillon commence à être gros, plus de 5000 tournois, je considère que ce n'est plus un good run, je pense avoir un edge dans la majorité des tournois que je joue. Même en live, si je continue sur cette voie, je peux runner de la même façon. Je pense que certaines critiques sont un peu faciles: les gens se focalisent sur un coup et pas sur la globalité du tournoi. Comme je suis très agressif et que je fais énormément de moves, je vais forcément me retrouver dans plus de pots bizzares et forcément je vais me retrouver dans des coups où je ne suis pas favori et gagner : je vais devoir chatter certaines fois. Les gens oublient que je perds des coups quand je suis favori. Ils disent que que j’ai plus de chance que les autres, mais je ne pense pas. Je ne dis pas que je ne chatte pas, mais les gens se focalisent trop là-dessus.
Pourquoi avoir créé un blog ? Besoin de te confier, de te justifier ?
J’aime bien le côté social, l’interaction avec les gens. Je n’ai plus trop le temps pour m’occuper de mon blog, mais j’aime donner ma vision du jeu, du poker : je ne suis pas adepte des maths, plutôt de la psychologie, du feeling, tout en ayant quand même un bagage technique. J’aime montrer ma vision du poker.
Qu’est ce qui a changé dans ton approche du poker depuis tes débuts ?
Il y a pas mal de choses qu’on prend en compte au fur et à mesure. Au début, on voit surtout l’aspect financier : gagner vite de l'argent. On ne voit pas les aspects négatifs : au final, ça nous prend énormément de temps, ça bouffe tout le reste. Pour se créer une vie, ce n’est pas facile. Il y a aussi le fait qu’on ne cotise pas pour la retraite, le côté aléatoire de la loi actuelle en France. Il y a tout un tas de pressions liées au statut de joueur pro. Mes objectifs ne sont pas les mêmes qu’au début. Une fois qu’on a de l’argent, l’objectif est plutôt d’atteindre des challenges personnels, plus que l’aspect financier. On veut faire une table finale, avoir un sponsor, des choses qui montrent qu’on a réussi dans le milieu.
Que penses-tu des projets de taxes sur les gains des joueurs pros ?
Je pense qu’il faut taxer. Une taxation raisonnable serait par exemple 20%. Quand j’entends 40% , ce n’est pas vivable, surtout qu’on ne touche pas de retraite et qu’on peut avoir des périodes de bad run. Ce serait la mort du poker. Si on a une imposition, c’est à la fin de l’année par rapport aux gains ou aux pertes : si un joueur perd, il ne doit pas être taxé. Il faut faire une espèce de comptabilité, un peu comme une entreprise. C’est normal de contribuer, mais dans un cadre bien défini, étudié, pas exagéré. D’ailleurs je vis à Malte depuis mars, j’attends que la situation en France se précise, que le cadre soit plus clair pour envisager un retour.
« Il me manque un élément déclencheur pour un sponsor »
As-tu des contacts avec un éventuel sponsor ?
J’ai des contacts lointains, rien de concret. J’ai eu des discussions où l’on m’a sous-entendu des choses, mais je n’ai jamais signé un papier. Ça montre la difficulté d’être sponsorisé actuellement. Je me pose la question de rentrer dans une agence, même si je pense pouvoir trouver un sponsor par moi-même, sachant que je maîtrise les moyens de communication. Je pense que j’ai ma place, on me l’a dit, mais je dois concrétiser en live. Pour ceux qui ne jouent qu’en ligne, c’est difficile de trouver un contrat. Et tout le monde n’est pas capable de faire le passage du live au online. Je ne dois pas être loin, les rooms savent que j’existe, il manque un élément déclencheur.
Quels sont tes modèles dans le poker ?
ElkY, pour sa façon de penser, son goût du challenge, sa mentalité de toujours se donner à fond. J’aime aussi tous les joueurs qui ont un style atypique, qui font des choses bizarres que les autres ne comprennent pas.
Quel est ton programme à venir ?
Je vais faire deux sides lors des WSOP-Europe, l’un à 1000 € et l’autre à 2500 €... Ensuite, je pense retourner jouer online, puis faire quelques EPT. Je ne suis pas très fort sur les satellites, je dois aussi travailler dessus, voir avec des spécialistes.
Quels sont tes objectifs pour le reste de l’année ?
J’aimerai bien refaire une table finale en live…
Propos recueillis par Maxime Arnou
Photo: Tommy Mandel