Technique : La valeur du tapis en cash game, un facteur clé


Technique : La valeur du tapis en cash game, un facteur clé

Technique : La valeur du tapis en cash game, un facteur clé. Par Samuel Hayat


En cash game comme en tournoi, la taille de votre tapis sera le facteur déterminant dans votre sélection de mains de départ, ainsi que dans vos ajustements post-flop. LivePoker vous livre les recettes d’un jeu optimal selon que vous ayez un petit, moyen ou gros tapis, ainsi que les pièges à éviter face à telle ou telle taille de tapis adverse.

Par Samuel Hayat


Que penseriez-vous d’un boursicoteur qui investirait systématiquement la même somme chaque semaine, indépendamment de l’état du marché boursier ? Que c’est un idiot qui se prive par paresse d’une marge de manœuvre cruciale pour réussir dans son métier ! Pourtant, c’est exactement ce que font la plupart de joueurs de poker en s’asseyant toujours avec la même quantité de jetons sur leur table de cash game favorite…
Souvent sous-estimée, la question de la taille du tapis (stack size) est pourtant cruciale. Car à chaque fois que vous décidez de jouer une main, et payez pour cela la mise d’entrée, vous êtes comme un investisseur qui décide de risquer une partie de son capital. Ce qui différencie un bon d’un mauvais joueur de poker, c’est sa capacité à améliorer son retour sur investissement. Dans ce calcul, la taille des tapis est un facteur qui conditionne de façon absolue les sommes en jeu : la quantité de jetons que vous pouvez risquer, et par extension celle que vous pouvez gagner. En fixant les bornes des transferts d’argent ayant lieu chaque main, la taille des tapis constitue ainsi un élément central de l’ensemble des calculs d’espérance mathématique qui gouvernent nos décisions.

Au poker, tout l’art du bon joueur est de savoir quel élément, dans une situation donnée, est le plus important, et comment équilibrer l’ensemble des facteurs. Pour ce qui est de la taille du tapis, la règle d’or est la suivante : plus la taille de votre tapis effectif est grande relativement aux blindes, moins la valeur intrinsèque de votre main est importante. En effet, avec un petit tapis effectif (le plus petit des deux tapis en confrontation, ndlr), la valeur intrinsèque des mains est très importante. En revanche, lorsque le tapis effectif grossit, la valeur intrinsèque des mains perd de l’importance au profit d’autres facteurs tels que la position, l’agressivité, la lecture des mains, la psychologie, l’image, etc.

La valeur d’une main s’indexe sur la taille de tapis
Pour comprendre la raison de cette règle, il faut comprendre ce qu’est votre tapis. Votre tapis n’est pas seulement la quantité de jetons que vous pouvez investir pour en gagner d’autres, mais il représente aussi et surtout l’étendue de votre marge de manœuvre pour exploiter un éventuel avantage sur l’adversaire. Si tous les joueurs étaient forcés de se mettre à tapis au début du coup, toutes les espérances mathématiques seraient égales, seule la valeur intrinsèque des mains compterait, et votre petite sœur a autant de chances de gagner le coup que Phil Ivey. Mais plus vous serez deep, plus le nombre de décisions à prendre augmentera. Or, un bon joueur prendra de meilleures décisions qu’un joueur moyen : ainsi se creuse peu à peu le fossé entre les gagnants et les perdants.
Classons alors les tapis en fonction du nombre de tours d’enchères qu’ils permettent, en termes de blindes, en cash game.
Autour de 10 BB, on parle de micro-tapis ; le petit tapis se situe quant à lui autour des 35 BB, un tapis moyen se chiffre à environ 100 BB, et enfin un gros tapis (deep) à plus de 200 BB.
En quoi cette distinction des tailles de tapis est-elle si importante ? Elle l’est tout simplement car les différents types de mains, et la façon de les négocier à chaque street, ne s’accordent pas avec le même nombre de tours d’enchères !  Prenons un exemple : 6 joueurs, vous avez KJo au bouton, vous envoyez 3,5 BB, et seule la grosse blinde suit. Il y a 7,5 BB au pot.
Flop n°1 : 2JQ.
Flop n°2 : 28J.
Flop n°3 : 8JK.

Sur le flop n°1, vous pouvez vouloir miser deux tours d’enchères, mais pas trois, car si votre adversaire calle trois barrels, vous avez de bonnes chances d’être battu : un tapis d’environ 30 BB sied donc à cette main. Le flop n°2 est déjà meilleur : avec top pair bon kicker, vous pouvez confortablement engager trois tours d’enchère contre un adversaire lambda ; un tapis intermédiaire de 60 BB est alors tout indiqué. En revanche, le flop n°3 est bien plus alléchant : avec un tel flop, vous aimeriez avoir au moins 150 BB pour maximiser votre profit (mais pas forcément plus de 300 BB, votre main restant vulnérable), histoire d’exploiter une main plus faible comme deux paires inférieures, voire AK qui aurait slowplayé.
Evidemment, s’il n’est pas possible de choisir son tapis après avoir vu le flop, il est en revanche possible d’influencer les chances d’adéquation entre sa main et son tapis : il suffit pour cela de tenir compte de la taille de son tapis pour bien sélectionner ses mains. En effet, toutes les mains de départ n’ont pas les mêmes chances de toucher top pair au flop ni de faire un gros jeu. Une main comme A9o a une bonne valeur intrinsèque (61% d’équité face à une main au hasard), mais a très peu de chances de vous donner mieux que deux paires. A l’inverse, 54s a une valeur intrinsèque faible (41% face à une main au hasard), mais vous permet de toucher une quinte ou mieux, c'est-à-dire des jeux vous procurant une belle cote implicite et avec lesquels vous êtes prêt à investir plus de 200 BB. Il en résulte qu’il est préférable de passer A9 sur une relance avec un gros tapis mais de le jouer avec un tapis moyen, tandis qu’il n’y a guère grand intérêt à suivre une relance avec 54s si vous ne disposez pas d’un gros tapis.

Différentes classes de mains
Dès lors, on peut classer les mains de départ en trois groupes :
-    Dans le groupe 1, les mains qui ont à la fois une bonne valeur intrinsèque et une chance de faire une grosse main : les paires, les As colorés, deux grosses cartes suited) ;
-    Dans le groupe 2, les mains qui ont une bonne valeur intrinsèque, mais peu de chances de faire une grosse main : les broadways dépareillés, les As non suités) ;
-    Dans le groupe 3, les mains dites spéculatives, qui ont une valeur intrinsèque faible, mais des chances de faire une grosse main : les suited connectors ou les suited one-gappers).
L’application de la règle établie ci-dessus est alors la suivante : plus la taille effective des tapis est importante, plus votre range doit intégrer de mains du groupe 3, et moins il doit avoir de mains du groupe 2, les mains du groupe 1 restant généralement jouables (en modifiant la façon de les jouer selon la taille du tapis), et les mains n’appartenant à aucun de ces groupes ne devant être jouées qu’exceptionnellement. Par ailleurs, lorsque la taille effective des tapis augmente, il faut, en plus du facteur stack size, accorder plus d’importance aux autres facteurs essentiels du jeu comme la position ou le métagame.
S’il est primordial de savoir jouer tous les types de tapis, il peut quand même être utile de définir, dans une situation donnée, la taille de tapis optimale pour vous. Choisir la taille de son tapis lorsqu’on s’assoit à une table, et connaître la stratégie générale à adopter en fonction, c’est se donner un avantage qui peut s’avérer décisif. Voici donc un petit guide à partir duquel vous pourrez réfléchir et forger la stratégie qui vous est propre.

Le petit tapis, de 20 à 50 BB
-    Quand le privilégier ?
Choisir de s’assoir avec le plus petit tapis possible est souvent la meilleure solution lorsque vous ne connaissez pas vos adversaires. Prenez un ou deux tours d’observation pour vous poser les questions cruciales : qui sont les mauvais joueurs à la table ? Quel est leur tapis ? Quelle est ma position par rapport à eux ? Si vous vous rendez compte au bout d’une vingtaine de mains qu’il n’y a pas vraiment de mauvais joueurs, garder un petit tapis est souvent la bonne solution : cela paralyse en grande partie l’avantage des meilleurs joueurs, et diminue vos risques. De la même façon, choisir un petit tapis est conseillé lorsque vous ne pouvez pas accorder toute votre attention au jeu et donc accumuler les informations nécessaires pour prendre les meilleures décisions – comme dans le cas du multi-tabling.
- Comment le jouer ?
Avec un petit tapis, la sélection des mains est primordiale. Ne jouez que les meilleures mains, c'est-à-dire celles qui ont une bonne valeur intrinsèque : les suited connectors n’ont aucune valeur dans cette situation, excepté pour voler le pot, alors passez-les sans regrets. Une fois la main sélectionnée, et si le flop vous est favorable, il faudra ajuster votre stratégie en fonction du nombre de joueurs. Face à un adversaire unique, essayez d’extraire un maximum d’argent par des mini-bets, des checks, etc. : puisque vous avez décidé de jouer le coup jusqu’au bout, rien ne sert de chercher à le sortir du coup, vu que votre tapis est trop faible pour le faire passer un jeu meilleur. Face à plusieurs joueurs, l’idéal est de réussir à aller le plus vite possible à tapis, pour qu’ensuite les joueurs restants s’éliminent entre eux sans que cela ne vous coûte un jeton de plus.
-    Ses avantages
Jouer un petit tapis n’implique aucune décision compliquée ou délicate, et cette facilité vous permet de vous en sortir correctement même face à de meilleurs joueurs. Mieux, vos adversaires munis de gros tapis vous faciliteront souvent la vie en vous tenant pour quantité négligeable : ils se cibleront les uns les autres, et vous pourrez venir parasiter leurs coups avec vos meilleures mains.
-    Ses inconvénients
Ce mode de jeu limite vos gains : il est toujours très dommage de passer à côté d’un gros pot parce que vous avez choisi une stratégie de petit tapis. L’autre problème est qu’à mesure qu’il gagne des coups, un petit tapis grossit, et que cette situation est donc nécessairement instable. Enfin, il faut tenir compte du fait que jouer avec un petit tapis est plutôt ennuyeux : il faut beaucoup passer, et quand vous jouez un coup c’est souvent en mode automatique.
-    Comment jouer contre un petit tapis ?
La première chose à faire est de résister au mépris naturel pour les petits tapis : ils peuvent représenter une véritable nuisance, car ils vous forcent à jouer avec un tapis effectif faible, rendant inutiles beaucoup de mains habituellement intéressantes pour les gros tapis, notamment les suited connectors. Si la table comporte beaucoup de petits tapis, la meilleure solution est souvent de changer de table, mais si vous restez, comportez-vous comme un petit tapis vous-même, excepté lors des rencontres avec les autres tapis plus importants. Ne tombez pas dans leur piège : quand ils rentrent dans un coup, passez vos mains spéculatives ; s’ils sont à tapis et que vous êtes face à d’autres adversaires à gros tapis, ne les écartez pas du coup sans raison.

Le tapis moyen, de 60 à 140 BB

-    Quand le privilégier ?
Sur Internet, la plupart des tables limitent les caves de départ à 100 BB, vous serez donc souvent obligés d’en passer par là. Et même si vous avez un gros tapis, souvent le tapis effectif sera moyen, car vos adversaires auront autour de 100 GB. C’est donc le mode « par défaut » du poker actuel. Lorsque vous avez le choix, un tapis moyen est souvent la meilleure solution face à des joueurs passifs (serrés ou larges) : puisqu’ils ne relancent que rarement, et uniquement avec leurs meilleures mains, il ne sert à rien d’avoir de quoi asséner plus de trois d’enchères après le flop.
-    Comment le jouer ?
Alors qu’avec un petit tapis, la position est relativement secondaire, il est primordial ici de bien choisir ses mains de départ en fonction de sa position. Il faut notamment résister à la tentation de jouer les mains du groupe 3, principalement les suited connectors, si vous n’avez pas la position sur vos adversaires, car avec un tapis de moins de 200 BB, ces mains vous feront systématiquement perdre de l’argent sur le long terme. Quand vous avez la position, pensez à 3-better souvent avec vos meilleures mains, ainsi qu’avec celles du groupe 3 : votre tapis est assez gros pour menacer vos adversaires, mais pas assez pour qu’ils pensent avoir les implied odds (cote implicite) nécessaires pour jouer des mains spéculatives contre un reraise pré-flop.
-    Les avantages
La plupart des joueurs manipulent très mal cette taille de tapis, alors même que c’est la plus répandue. Si vous êtes capables de saisir rapidement leur manière de jouer, un tapis moyen optimise vos possibilités de gains contre des joueurs passifs. Contre ces joueurs, un tapis à 100 BB maximise la puissance d’une grosse mise à la river contre un adversaire avec top pair : les calling stations le paieront lorsque vous aurez deux paires ou mieux, et les weak tight passeront lorsque vous serez en bluff.
- Les inconvénients
A l’inverse, ne soyez pas le dindon de la farce, et réfléchissez bien avant de payer ou de passer avec top pair top kicker si votre adversaire vous envoie à tapis ! Le tapis moyen est le tapis piège par excellence, car c’est là que les mains moyennes sont les plus dures à jouer : vous ne pouvez pas systématiquement refuser d’engager votre tapis sur ces mains (alors qu’avec 200 BB c’est le cas), mais vous ne pouvez pas non plus systématiquement accepter (contrairement au cas à 40 BB). Les mots d’ordre sont donc la prudence et la flexibilité.
-    Comment jouer contre ?
Si vous avez un gros tapis, vous serez souvent environné de tapis moyens. Adaptez-vous à eux et conservez les mains du groupe 3 hors position pour les coups contre les autres gros tapis. Mais mettez-leur la pression ! Contrairement aux petits tapis, vous avez les moyens de leur faire passer des mains moyennes comme top pair top kicker, alors ne vous en privez pas. Sur-relancez souvent pré-flop en position, pour les faire sortir de leur zone de confort. Si vous avez un petit tapis, profitez du peu d’importance que les tapis moyens vous accorderont pour parasiter leurs coups.

Le gros tapis, plus de 150 BB
-    Quand le privilégier?
La principale raison de choisir un gros tapis, c’est d’être à même de maximiser ses gains face à un adversaire ayant un tapis de même hauteur, et donc avoir un bon edge post-flop. Avant d’investir plus de 200 BB sur une table, il faut donc théoriquement avoir repéré une proie, et avoir la position sur elle. Si ces facteurs ne sont pas réunis, avoir un gros tapis est souvent inutile, voire dangereux.
-    Comment le jouer ?
Un gros tapis effectif permet de ne être trop regardant dans le choix des mains pré-flop et dans le jeu au flop : beaucoup de mains sont jouables, et au flop un gros tapis représente une menace suffisante pour qu’un float soit souvent profitable avec beaucoup de mains. Mais un gros tapis n’a de sens que si l’on joue plus de quatre tours d’enchères : il faut donc relancer de façon beaucoup plus fréquente face aux autres gros tapis, lorsqu’on a position sur eux, pour jouer de gros coups dans les meilleures circonstances possibles. Alors qu’un tapis moyen est idéal contre les joueurs passifs, un gros tapis prend toute sa puissance contre un joueur agressif, notamment contre un maniaque, ou une calling station qui enchérit régulièrement.
-    Les avantages
C’est là que réside la beauté du poker, là où les décisions sont difficiles et peuvent engendrer de magnifiques embellies comme de véritables catastrophes. C’est aussi là que la structure du Hold’em, avec ses quatre tours d’enchères, prend tout son sens, et qu’un spécialiste peut vraiment donner toute la mesure de son savoir-faire.
-    Les inconvénients
Il faut avoir le cœur solidement accroché pour jouer un gros tapis, et ne jamais perdre son sang-froid. L’agressivité et le long-ball règnent en maître, et beaucoup de joueurs habitués à jouer avec 100 BB y laissent des plumes.
-    Comment jouer contre ?
Si un joueur a un gros tapis sur la table et qu’il vous semble compétent, évitez-le au maximum ; si, de surcroît, il a la position sur vous, fuyez-le comme la peste ; et si par-dessus le marché il se met à vous chasser, c'est-à-dire à vous sur-relancer fréquemment pré-flop, à vouloir jouer les coups en tête-à-tête contre vous, et ce de façon agressive, il ne vous reste plus qu’à quitter la table !

Et en tournoi ?
Pour les habitués des tournois, beaucoup d’éléments de cet article peuvent sembler contre-intuitifs, car en tournoi, les petits tapis doivent au contraire être joués de façon beaucoup plus agressive. Quelques éléments permettent d’expliquer cette différence :
-    Ce qu’on appelle un petit tapis en tournoi est généralement bien plus petit – moins de 10 BB –, ce qui rend le vol des blindes bien plus rentable proportionnellement au tapis que lorsqu’on a entre 20 et 40 BB.
-    Lorsque le tournoi est bien avancé, la plupart des joueurs ont moins de 20 BB, ce qui fait que même les petits tapis sont craints : une relance a bien plus de chances de gagner les blindes qu’en cash game. Avec un petit tapis, être le premier à rentrer dans le coup par une relance devient donc plus important que la valeur intrinsèque de la main.
-    Lorsque le tournoi avance, l’espérance mathématique n’est plus seulement calculable en termes de jetons, mais doit être ramenée à la structure des prix, ce qui modifie considérablement la donne et rend la stratégie optimale bien plus serrée et agressive qu’en cash game.
Pour une stratégie globale et cohérente en tournoi en fonction de la taille de son tapis, nous vous renvoyons aux excellents articles de Nicolas Levi sur la théorie des blocs, parus dans les numéros 24 et 28 de LivePoker.

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