Technique : l'art du 3-bet, 4-bet et 5-bet en mode deepstack, par VOJ


Technique : l'art du 3-bet, 4-bet et 5-bet en mode deepstack, par VOJ

"Toute relance a trois raisons d'être : valoriser sa main, isoler un adversaire ou sauver un coup en le bluffant".


Miser, relancer, sur-relancer : un art qui nécessite des dosages subtils et l’évaluation de nombreux éléments. Mais ne pas maîtriser cet art des 3-bet, 4-bet et autres 5-bets reviendrait à se priver des atouts nécessaires pour être un joueur gagnant dans le paysage du poker actuel.


Les lecteurs assidus de LivePoker, comme les nombreux amateurs et passionnés qui lisent les forums de discussion sur Internet ont forcément déjà rencontré les termes de "3-bet", "4-bet" et "5-bet". Ceux-ci sont d’ailleurs parfois décrits comme "light", parfois pour "value" et sont parfois "all-in".
Mais que désignent exactement ces termes ? Contrairement à une croyance populaire répandue, faire un 3-bet pré-flop ne consiste pas à relancer le pot à 3 grosses blindes ! Ces termes sont en fait directement inspirés du Limit. En effet, en Limit Hold'em la grosse blinde représente la première mise effectuée et, en quelque sorte, l’unité de mise. Une première relance porte les enchères à deux grosses blindes, ou deux mises (two bets en anglais que l'on écrit 2-bet). Une sur-relance porte les enchères à trois grosses mises (three bets ou 3-bet). Enfin, une nouvelle relance porterait le total à 4 grosses mises et est donc appelée 4-bet. Lorsque une nouvelle relance est autorisée (c'est le cas de la plupart des parties de Limit Hold'em de Las Vegas mais pas celui de la plupart des parties online), la mise effectuée est ainsi un 5-bet.
Par extension, la même terminologie a été transposée au No Limit Hold'em. A la différence près, évidemment, que les mises sont d'un montant libre. Et ces schémas de relance sont aujourd’hui devenus monnaie courante en No Limit Hold’em, si bien qu’on ne peut plus décemment se proclamer joueur de poker si l’on ne maîtrise pas correctement ces outils et/ou si on ne sait pas interpréter ces mises.

Fonction des sur-relances
Au poker, toute mise servira principalement trois objectifs : valoriser la main, isoler ou bluffer. Dans cet article nous nous intéressons surtout aux mécanismes de 3-bet, 4-bet et 5-bet en heads up. Dès lors, isoler ne sera pas une raison de miser dans le cadre de cette étude. Il ne reste donc plus deux raisons de miser :
- Pour la valeur de la main. Evidemment, si vous détenez AA, vous désirez engager le plus d'argent possible pré-flop et ferez tout pour réussir à vous faire payer ! Mais plus généralement, vous relancerez généralement pour valoriser votre main dès lors que celle-ci sera nettement devant le range de mains adverses. Néanmoins, vous serez occasionellement amené à privilégier le slowplay avec des monstres comme AA et RR si vos adversaires passent trop souvent sur un 4-bet.
- Pour bluffer. Quoi de mieux que de faire passer paire de Dix à votre adversaire lorsque vous détenez 98 assortis ! De manière générale, au poker, il est nécessaire de bluffer à toutes les streets et donc aussi pré-flop. Même si contre la plupart des bons adversaires, vos bluffs ne vous rapporteront probablement peu ou pas d'argent sur le long terme, ils vous permettront d'avoir des rentabiliser vos bonnes mains. Evidemment, contre des adversaires faibles et exploitables, dans certaines circonstances les bluffs seront rentables en eux-mêmes, et ce même s’ils sont pratiqués à une fréquence trop élevée par rapport à la théorie.


Vos possibilités pré-flop seront conditionnées par votre tapis de départ. L'excellent article de Nicolas Levi paru dans l’édition d’octobre de Live Poker donnait un découpage précis des zones de tapis et des possibilités qui y sont associées lorsque vous jouez avec des tapis limités, ce qui est typiquement le cas en tournoi. Etant donné que vos enchères seront exponentiellement croissantes, le découpage des zones et des possibilités relatives à chacune
seront plus vagues. Pour un ordre d'idée :
-    Avec environ 18BB, une sur-relance vous committera. Dès lors, vos 3-bets seront nécessairement all-in.
-    Avec environ 35BB, un 3-bet aux environs de 9BB ne sera plus committing. En revanche, le 4-bet, lui, sera all-in.
-    Avec environ 100BB, qui correspond au tapis typique en cash game (online et parfois live), il sera possible de calibrer vos 4-bets de sorte à ce qu'ils ne vous engagent pas irréversiblement dans le coup. C'est la zone du 5-bet all-in.
-    Avec de tapis très profonds (300BB ou plus), il sera possible de 5-bet sans se commit. En pratique, ce cas ne se présentera que rarement.
Dans la suite, nous allons considérer que nous jouons avec 100BB, et nous essayerons autant que possible de donner un aperçu des différences qui pourraient apparaître avec des tapis plus grands.


La taille des tapis est le facteur clé

A la base, vous souhaiteriez que toutes vos relances pré-flop soient de la taille du pot. En bataille de blindes (0,5$/1$) cela donnerait la séquence suivante :
SB  BB
0.5 / 1
Puis 3,5 / 10,5 et enfin 31,5 / 94,5, ainsi que l’illustrent les deux tables ci-contre.
Il est évident que la dernière relance (5-bet) peut aussi bien se faire à tapis. En revanche, le fait que le 4-bet soit pratiquement commiting l’est moins. Il pourra néanmoins être considéré comme tel avec la plupart des mains : en effet, avec des tailles de tapis équivalentes de 100 BB, et en cas de all-in adverse, vous aurez 68,5 à rajouter dans un pot à 131,5, soit une cote de 1,92 : 1. Le simple fait que votre adversaire puisse avoir des mains du type AR ou AD vous obligera à caller la plupart du temps.
Dès lors, il y a un problème de taille du 4-bet. Deux solutions s’offrent à vous : soit 4-better all-in – ce qui, à la base, n’est pas idiot, mais le faire en bluff serait pratiquement suicidaire –, soit effectuer un 4-bet plus petit, typiquement entre 2 et 2,5 fois le montant du 3-bet. Donc quelque chose aux alentours de 23 à 24 BB dans l’exemple précédent. Plus vos 4-bets seront respectés et plus vous pourrez 4-bet des petites mises. Si vous commencez souvent à voir des 5-bet all-in en face, il s’agira d’augmenter vos 4-bet vers le haut de la fourchette (et de moins bluffer avec).
Notez néanmoins que si votre relance pré-flop standard est à 4BB, vous serez gêné au stade du 4-bet si vous n’avez que 100BB. En effet le 3-bet portera vos enchères aux environs de 12BB ou plus, et le 4-bet devra être vraiment minimal pour ne pas vous commit complètement. C’est la raison pour laquelle je préfère relancer à 3BB contre un adversaire capable de 3-bet en bluff. Je réserve la relance à 4BB aux mauvais joueurs trop loose.  
Dans le cadre du jeu à 100BB, le 5-bet sera toujours commiting et obligera donc logiquement à se mettre all-in.
On n’optera néanmoins qu’occasionnellement pour un 4-bet all-in. En effet, il ne sera pas toujours possible d’effectuer un 4-bet sans se commit. Ce sera notamment le cas après un squeeze ou après une relance pré-flop plus musclée que d’habitude, due à la présence d’un ou de plusieurs limpers. Si vous détenez AR au bouton, que vous relancez à 5BB après 2 limpers et que le joueur en small blind vous 3-bet à 16BB, vous n’avez d’autre choix que de 4-bet all-in. Si vous devez engager plus de 30% du tapis effectif pré-flop avec votre 4-bet, alors 4-bettez all-in ! Evidemment il sera rare de 4-bet all-in en bluff, puisque le rapport risque/récompense sera très mauvais. Néanmoins il faudra le faire occasionnellement (et 4-bet all-in pour valeur vos mains telles que DD, RR, AR, et bien sûr AA, et jusqu’à la paire de Valets contre certains joueurs).

Avec quelles mains 3-bet ?
C’est peut-être le problème le plus central dans le jeu pré-flop moderne. Trois facteurs essentiels entrent en compte dans la sélection des mains pour effectuer un 3-bet réussi : la taille des tapis en présence, votre position dans le coup et le profil de votre adversaire.
Globalement, lorsque vous effectuez un 3-bet, vous gagnez la possibilité de prendre le pot immédiatement, mais vous vous exposez aussi à un 4-bet et vous réduisez également le rapport de la taille du tapis par rapport au pot. Il est donc conseillé de 3-bet plus souvent avec des mains qui ont moins besoin de tapis importants et de cotes implicites, que de 3-bet avec mains faites.
La sélection de mains avec lesquelles vous pourrez faire un 3-bet pré-flop sera évidemment également fonction de votre position. Certaines mains se jouent très mal hors de position, notamment les connecteurs assortis.
Enfin, il est essentiel de tenir compte du comportement type de votre adversaire face à un 3-bet.
N’hésitez pas à 3-bet beaucoup en bluff un adversaire qui folde beaucoup sur les 3-bet. Certains joueurs ne vont simplement jamais s’ajuster et le 3-bet light deviendra un véritable distributeur d’argent.
Néanmoins, lorsque vous effectuez un 3-bet, il vous faudra être préparé à subir des 4-bets, occasionnels ou non. Soyez donc très attentif au taux de 4-bet adverse, et n’ayez pas une confiance aveugle en votre tracker. Les statistiques sur les 4-bet requièrent qu’un grand nombre de mains soient jouées avant d’être fiables. Puisque vous aurez à affronter des 4-bets, et que dans ce cas votre alternative sera de passer ou de 5-bet, planifiez votre coup à l’avance. Votre 3-bet rentrera dans une des catégories suivantes :
-    3-bet pour valoriser sa main qui sera suivi d’un 5 bet all-in pour valeur.
-    3-bet pour valoriser sa main avec comme plan de passer sur un 4-bet
-    3-bet bluff qui sera suivi d’un 5-bet bluff
-    3-bet bluff qui sera suivi d’un fold en cas de 4-bet
Suivant le style de vos adversaires et la dynamique de la partie, certaines de ces catégories seront plus ou moins privilégiées, et d’autres peut-être même inexistantes. Ainsi, si votre adversaire ne 4-bet que RR ou AA, il est naturellement hors de question de tenter de lui infliger un 5-bet bluff !
Lorsqu’il s’agit de 3-bet bluff (suivi ou non d’un 5-bet bluff), les mains du type AXs kicker moyen sont souvent de bons candidats. Les Rois et Dames assorties remplissent également bien cet office, plus ou moins indépendamment du tapis. Les combinaisons de grosses cartes se comportent assez mal lorsque les tapis deviennent importants. Les petites paires deviennent alors de bonnes mains pour bluffer. Contre des adversaires qui foldent beaucoup, les mains du type connecteurs dépareillés (comme 7p8c ou 10kVt) deviennent également potentiellement profitables, pourvu que les tapis ne soient pas trop gros.
Généralement, lorsque les tapis augmentent, il devient nécessaire d’effectuer des 3-bet de plus en plus chers pour protéger ses mains puissantes.
 
Spécificités du 4-bet    

Ainsi que nous venons de le voir, le 4-bet devra être nettement inférieur à une relance au pot pour pouvoir être utilisé en bluff. Dès lors, le 4-bet engagera moins d’argent au pot que les autres mises – et ce sera en pratique la seule mise pré-flop en No Limit Hold’Em qui aura cette propriété. Du coup, il est assez intéressant de 4-bet en bluff des adversaires qui 3-bet beaucoup du fait que le rapport risque/récompense devient nettement plus avantageux. On conseille typiquement de 4-bet en bluff les joueurs qui ont une fréquence de 3-bet supérieure à 7% ou une fréquence de 3-bet contre vol supérieure à 10%.
Concrètement, si votre adversaire folde plus de 60% des mains avec lesquelles il a fait un 3-bet, vous gagnerez systématiquement de l’argent en faisant un 4-bet. Ce serait donc une erreur de ne pas le 4-bet systématiquement !
Le panel de mains avec lesquelles effectuer un 4-bet est sujet à débat et est très dépendant du contexte. Globalement :
-    Vous devez décider à l’avance si en cas de 5-bet all-in vous allez caller ou non. Ne faites pas des 4-bet avec 10-10 pour ne pas savoir quoi faire en cas de 5-bet all-in
-    Un range équilibré de 4-bet ne devrait pas contenir plus de 50% de bluffs.
-    Ne déséquilibrez pas vos ranges de call de 3-bet en ne snap callant jamais RR+, AR. Mais n’oubliez pas aussi de 4-bet ces mains
-    Globalement, AA, RR, DD, VV et AR méritent un 4-bet pour valeur face à des adversaires agressifs
-    Tant que vous pensez que l’adversaire ne va pas trop vous 5-bet bluff, vos 4-bets bluffs marcheront mieux si vous avez un bloqueur. Ainsi, une main comme A5s est idéale pour bluffer.


Comment contrer le 4-bet light ?
Il est difficile de contrer un adversaire qui 4-bet light souvent et avec un bon montant si on est mal préparé, mais qu’on joue agressif avec un taux élevé de 3-bet. La parade va se situer dans les 5-bet all-in et leur préparation. En tout état de cause, il ne pourra pas de cause être rentable de jouer des coups hors position dans des pots 4-bettés, et il sera difficile de laisser l’initiative de manière profitable à l’adversaire dans un pot 4-betté en position avec une profondeur de 100BB. Par conséquent, votre arme principale sera le 5-bet all-in – peut-être en bluff.
Comment reconnaître un adversaire contre lequel un 5-bet peut être rentable ?
Le premier indice fort est la taille de ses 4-bets. Si ils sont calibrés pour ne pas se commit, vous avez un signal fort que votre adversaire a réfléchi aux problèmes liés au 4-bet, et a conscience du fait que le 4-bet light peut-être très rentable. Par ailleurs, la notion de dynamique de jeu est ici primordiale. Vous devez sentir très rapidement que votre adversaire est agacé par vos nombreux 3-bet et qu’il ne va pas tarder à vous 4-bet en bluff.
Il paraît évident de faire un 5-bet avec DD+, AR pour leur valeur contre un bon joueur agressif. On recommande usuellement d’avoir un range polarisé pour les 5-bet all-ins. En effet, si votre adversaire constate que vous faites des 5-bet all-in avec AD, il sera juste content récupérer davantage d’équité quand il a AR. Et il ne changera pas ses ranges de 4-bet ! En revanche, si vous 5-bettez en bluff avec 22 ou 87s, cela le fera réfléchir à l’opportunité de 4-bet ses AV pour passer sur un 5-bet all-in. Ceci l’obligera probablement à changer ses ranges de 4-bet et vous permettra d’être plus efficace dans vos 3-bets.
Les sur-relances, 4-bet et autres 5-bets font partie intégrante du poker moderne. N’hésitez pas à incorporer ses armes dans votre arsenal contre le bon profil d’adversaires, même si vous ne jouez pas à des limites élevées. Bien maîtrisées, elles augmenteront la variance de vos résultats, mais elles augmenteront surtout vos gains de façon substantielle, et votre plaisir de jouer de manière incomparable !  


Etre commit et se commit
Etre commit dans un pot signifie qu’on a investi une telle fraction de jetons dans le pot qu'on ne va plus folder - parce qu'on aura toujours les cotes pour caller. Ainsi, il est bien évident que si vous avez ainsi investi la moitié de votre tapis pré-flop avec une paire de Dames et que votre adversaire vous relance à tapis, vous allez devoir caller. Vous aurez en effet une cote à 3:1, et il vous suffira de gagner le pot 25% du temps pour que le call soit supérieur au fold en équité. Comme vous ne pouvez avoir la certitude absolue que votre adversaire a les As ou les Rois (et que dès qu'il y a une petite chance qu'il puisse avoir AR, vous avez automatiquement 25% de chances de gagner le coup), vous ne pouvez passer. Si vous aviez souhaité vous laisser la possibilité de folder ultérieurement, il aurait fallu effectuer une mise moins forte pré-flop.
Globalement, on estime que l'on est généralement commit lorsqu'on a misé le tiers de son tapis pré-flop. Ce sera en tout cas vrai la plupart du temps. Du coup, il faut à tout prix éviter de bluffer en misant le tiers de son tapis. C'est pour cette raison que les 4-bet ont cette taille particulière.

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