MENTAL : Mieux se connaitre pour perfer par notre coach Thibault Robert


MENTAL : Mieux se connaitre pour perfer par notre coach Thibault Robert

« Connais-toi toi-même » ! Vous vous demandez peut-être le lien avec le poker. Qu’est-ce que cette citation vous évoque ? Tentons de trouver la réponse avec Thibault Robert, spécialiste du sujet !

Potentiellement, il vous vient spontanément à l’idée qu’il faut connaître ses points forts, ses points faibles, reconnaître ses envies, savoir s’écouter. Satisfait de cette réponse formulée par votre cerveau vous êtes passé à la suite de l’article. Vous êtes normalement constitué et votre cerveau fonctionne bien, votre système de pensée dédié aux prises de décision rapide s’est occupé de l’information. Nous verrons plus en détail son utilité et quelques-uns de ces biais cognitifs.
 
Toutes nos décisions et comportements proviennent de la petite chose située entre nos deux oreilles 
 

 

Vous le savez, toutes nos décisions et comportements proviennent de la petite chose située entre nos deux oreilles et c’est pour cette raison qu’il me paraît essentiel de traiter de la prise de décision au poker et dans la vie en général afin de vous outiller dans la compréhension des mécanismes de votre cerveau.

Cette citation c’est également partir à la découverte de la nature humaine et de notre propre fonctionnement.  En tant que pratiquant d’une activité cérébrale, il me semble indispensable d’étudier le fonctionnement de notre cerveau. Le poker est un jeu à information imparfaite, l’objectif est de prendre des décisions optimales dans cet environnement. Lors de chaque tournoi ou partie, nous avons en notre possession un nombre limité d’informations et c’est dans ce contexte que naissent nos décisions. Le mental produit des impressions, des intuitions et de nombreuses décisions qui émergent en silence dans notre esprit. Mon objectif est d’enrichir votre vocabulaire lié aux mécanismes du cerveau.

Comment prenez-vous vos décisions que ce soit au poker et dans la vie de tous les jours ? Comment vos jugements naissent et prennent forme dans votre esprit ? Faut-il se fier à votre intuition ? Bien que vous soyez incapable de décortiquer les motifs qui vous poussent à prendre cette décision, est-elle pour autant fausse ? Un ensemble de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cet article.
 
Quand nos émotions prennent le pouvoir
 

Quelle est la place de nos émotions dans notre processus de décision ? Sont-elles à notre service ou au contraire devrions-nous nous en méfier ? Avant d’étudier notre processus de décision, regardons l’impact de nos émotions sur nos décisions.

L’émotion est devenue un véritable sujet d’intérêt pour les chercheurs depuis quelques décennies. Auparavant, le processus de décision était perçu comme purement régi par l’intellect à l’écart de toute considération affective. Ce n’est qu’en 1994 qu’est apparu le rôle de l’émotion dans la prise de décision. Le raisonnement mathématique réclame de retenir une multitude de combinaisons afin de prévoir les conséquences potentielles, cela demande une capacité de mémoire incroyable. Le cerveau ne permet pas la réalisation de telles tâches, c’est pour cette raison que les émotions rentrent en ligne de compte nous facilitant notre processus de prise de décision.

Les émotions guident nos choix quotidiens en fonction de ce que nous ressentons, ceci est proprement lié à notre histoire personnelle, à notre environnement social et à notre culture. Nos émotions sont à écouter puisque ce sont elles qui nous informent sur ce que nous aimons ou au contraire sur les choses qui nous déplaisent. L’objectif n’est pas de faire taire ses émotions mais d’être en mesure de les reconnaître et de les calmer lorsque celles-ci nous submergent. Si vous êtes face à un choix difficile et que vous êtes sous l’emprise de vos émotions, prenez votre temps avant de vous décider.

« Vous êtes peut-être parfaitement conscient d’avoir fait des erreurs et vous étiez sûrement en capacité de capter la décision optimale. Mais votre mécanisme de raisonnement n’a pu s’exercer car vous étiez sous l’emprise de vos émotions? »

Prenons l’exemple d’un joueur de poker qui perd l’intégralité de ses jetons au cours d’un tournoi live lors d’un mauvais hero-call. Cette situation peut provoquer un ensemble d’émotions fortes comme l’humiliation, la déception, le désarroi, l’infériorité. Le cerveau de ce joueur sera enclin à associer le hero-call à ces émotions. Ainsi, lorsqu’une situation similaire se présentera, le joueur sera susceptible de rejeter cette option. Silencieusement le cerveau procède à l’association et vous fera revivre cette expérience douloureuse lorsqu’une situation similaire apparaitra.

Nos expériences passées conditionnent nos expériences futures. La plupart des gens se soucient de leur futur mais peu d’entre eux portent leur attention sur l’impact de leur expériences passées sur les nouvelles à venir.
 
Vous avez peur de demain ? Pourtant, hier est encore plus dangereux.
 

Les émotions sont indispensables pour nous guider dans nos décisions quotidiennes.  Pour autant lorsque nous sommes submergés par une émotion, nous sommes plus enclins à prendre des décisions superficielles. Avez-vous déjà vu un joueur en plein tilt prendre de remarquables décisions ?

De votre propre expérience, si vous deviez évaluer la qualité de vos décisions sous l’emprise de vos émotions lorsque celles-ci vous submergent (colère, déception, excès de confiance), quel serait le bilan ? Après coup, vous êtes peut-être parfaitement conscient d’avoir fait des erreurs et vous étiez sûrement en capacité de capter la décision optimale. Mais pour autant votre mécanisme de raisonnement n’a pu s’exercer car vous étiez sous l’emprise de vos émotions. Posez-vous cette question avant chaque session : quel est mon état émotionnel ?
 
Faut-il se fier à son intuition ?
 

 

Les intuitions arrivent de manière inconsciente, émergeant spontanément dans notre cerveau. L’opération mentale se fait naturellement de façon rapide.  La pensée rapide fait appel à la pensée lente (dédiée au raisonnement) lorsqu’elle se heurte à des difficultés, elle ne parvient pas à offrir une réponse suffisante. La pensée lente se livre à une gestion détaillée et adaptée du problème. Prenons un exemple lié au poker pour illustrer ce propos : Donnez les 3 meilleures mains de départ au poker ?

Si vous avez déjà joué au poker, la réponse à la question n’implique aucun effort mental. La réponse surgit spontanément et vous donnez les mains suivantes : AA, KK puis QQ. L’opération mentale n’implique aucune difficulté, celui-ci est peu couteuse en énergie. Dans cette partie, nous allons traiter de l’émergence de ces jugements en évoquant notre « machine à association » qui est un des biais que connaît notre intuition.

Cette pensée rapide fonctionne par association et familiarité. Si une nouvelle information vient conforter votre croyance, ou jugement sur une personne ou sur une situation, votre pensée rapide va traiter l’information et votre système de pensée lente ne va pas rentrer en action sauf si vous décidez volontairement d’y apporter une attention toute particulière. Prenons un nouvel exemple, un joueur tatoué avec une bière à la main s’assoit à votre table : quelles pensées émergent naturellement dans votre esprit à son sujet ?

De façon inconsciente, votre esprit va produire un avis sur cette personne selon votre histoire personnelle, votre culture, vous vous direz peut-être : « ce joueur a sûrement un style de jeu agressif et sera potentiellement sujet au tilt ».

 Notre cerveau nous donne en permanence des informations pour évaluer et réévaluer notre environnement, il a été conçu pour et il fait son boulot. Au fur et à mesure de la partie, avec un peu d’attention et les showdowns montrés, vous vous rendrez peut-être compte que ce joueur n’est pas si loose que cela. Votre premier jugement va être nuancé avec ces nouvelles informations. Ce processus de réévaluation va être produit par votre pensée lente. Ces nouvelles informations peuvent être en contradiction avec votre jugement de base. Vous allez ralentir votre processus de réflexion afin d’y apporter plus de nuance et de cohérence pour une meilleure perception de la situation.

De prime abord, votre cerveau n’est pas en recherche de vérité mais il est en recherche constante de cohérence de l’information. On s’aperçoit souvent que moins on en sait et plus il est facile d’agencer le tout en un ensemble cohérent. 


Attardons-nous sur deux biais cognitifs susceptibles d’impacter votre intuition. Nous évoquerons ce qu’est « l’heuristique affect » et comment il influence vos décisions. Notre cerveau peut nous emmener à commettre des erreurs d’appréciation. Richard Branson, dirigeant de Virgin, entreprise d’édition musicale créée dans les années 1980 décida, contre l’avis de tous (expert compris), de lancer une compagnie aérienne, Virgin Altantic Airways, compagnie encore pérenne aujourd’hui. Des décisions irrationnelles mais néanmoins rentables qui ont permis à cet investisseur de ramasser des millions. On pourrait résumer ainsi la décision de Richard Branson : « Il aimait le projet donc il a pensé que les coûts seraient faibles et les bénéfices importants », voici un exemple de raccourci mental pouvant produire de belles erreurs. Fort heureusement l’histoire lui aura donné raison.  Cet exemple illustre bien la relation émotion-décision.

Le psychologue Paul Slovic appelle ce biais « l’heuristique affect », il s’agit d’un raccourci mental lorsque les personnes prennent leurs décisions en fonction de ce qu’elles aiment, de leurs croyances et de leur vision du monde. Les émotions perturbent l’objectivité et la rationalité dans la prise de décision. Nous accentuons les prises de décision risquées lorsque nous faisons preuve de colère, d’un optimisme démesuré ou d’une sur-confiance. Dans certain cas, cela peut nous coûter cher. L’exemple de Richard Branson me semble pertinent car lorsque les dés sont jetés nous avons tendance à vouloir expliquer l’histoire en établissant des liens causalités. Plus nous donnons les causes de notre réussite ou échec plus nous simplifions les choses, plus avons tendance à sous estimer l’impact du hasard.

Quand faut-il se fier à ses intuitions ? Des études ont montré que votre humeur impacte la performance de vos intuitions. Quand vous êtes inconfortable ou insatisfait vous rendez votre intuition moins performante. Par ailleurs, une bonne humeur favorise la perte de contrôle de votre pensée lente ainsi vous êtes plus intuitif, créatif mais aussi plus susceptible de faire des erreurs logiques car vous êtes moins vigilant. Tout semble être une question d’équilibre.

Les intuitions sont à suivre si le risque d’une erreur éventuelle n'est pas prohibitif car elles permettent d'économiser du temps et des efforts. Il faut avoir conscience des biais cognitif pouvant impacter vos conclusions hâtives comme « l’heuristique affect » évoqué ou encore « l’effet halo ». Maintenant, voyons l’intérêt de la pensée lente, celle du raisonnement dans votre processus de décision ?


Faut-il toujours ralentir son processus de réflexion afin d’éviter les biais cognitifs ?   
 

Dans la partie précédente, j’ai pu évoquer un biais cognitif « l’heuristic affect » et comment il affecte d’une manière ou d’une autre nos intuitions. La pensée lente dédiée au raisonnement demande une attention qui requiert un gros effort mental, une attention toute particulière pour traiter l’information.

Prenons un exemple pour illustrer son fonctionnement : si je vous demande le nombre de cartes dans un jeu de cartes ? La réponse coule de source vous n’avez pas besoin de recompter les cartes pour savoir qu’il y a 52 cartes. La pensée lente rentre en ligne de compte lorsque votre pensée rapide n’est pas en mesure d’effectuer l’opération immédiatement et facilement. Si je vous demande de calculer 17x23 ? A moins que vous soyez munis de capacité particulière, la réponse ne sera pas évidente, vous allez devoir ralentir votre processus de réflexion pour parvenir à traiter la question. La question émise est trop difficile, en conséquence l’opération mentale ralentit pour traiter la demande.

Plus vous serez compétent et accumulerez de l’expérience, plus vous serez en mesure de traiter les informations avec votre système de pensée rapide. Lorsque vous commencez l’étude d’un nouveau domaine, vous êtes obligé de décortiquer chaque nouvelle information afin de l’organiser. Par exemple, plus vous aurez de l’expérience au poker plus vous connaitrez sur le bout des doigts vos ranges d’open ou de call 3-bet hors de position selon le profil adverse, ainsi vos décisions seront prises par votre pensée rapide. Vous aurez suffisamment connu de situations vous permettant le traitement de l’information avec fluidité. Ceci ne signifie pas forcément que vos décisions soient justes. Pensée rapide n’est pas synonyme de « vérité ». C’est pour cette raison que les reviews sont nécessaires, cela permet de décortiquer des décisions qui vous paraissent évidentes en pleine action à posteriori. Mais si sur le long terme vos résultats sont décevants, c ‘est le moment de ralentir votre processus de décision pour chacune des situations qui vous apparaît comme « évidente ». En ralentissant, vous mettez à jour les éléments justifiant votre prise de décision.

Votre pensée lente explore plus en détail les pièces du puzzle quand vous prenez une décision. Vous ralentissez votre raisonnement pour rechercher plus en profondeur.  Nous avons pu voir comment le déroulement de votre réflexion rentre en action, maintenant voyons quelques-unes des activités gourmandes en énergie :
 
• Une série de choix impliquant des conflits.
• Le fait de réagir gentiment au mauvais comportement de son partenaire / adversaire.
• Le fait de chercher à impressionner vos adversaires.
• Interagir avec des personnes ayant des préjugés raciaux.
• Surconsommation et achats compulsifs.
• Ecart par rapport à un régime.

 

Continuons à explorer les conséquences d’un épuisement de votre pensée lente. De nombreuses études ont démontré que les personnes qui sont simultanément sollicitées par une tâche cognitive difficile et par une tentation ont de plus de chance de céder à la tentation. Imaginez que vous êtes en train de faire une review de l’un de vos tournois, vous êtes en plein calcul d’équité, soudainement vous recevez une notification vous indiquant que l’une de vos émissions favorites vient tout juste d’être mise en ligne et est disponible. Vous serez beaucoup plus facilement vulnérable et influençable dans ce contexte à céder au visionnage de cette émission.

Plus vous avez l’esprit encombré plus il est difficile de résister à la tentation. L’encombrement cognitif n’est pas la seule et unique raison contribuant à l’affaiblissement du contrôle de soi. Quelques verres ou encore une nuit avec peu de sommeil favorise cette perte de contrôle.  Ralentir son processus de réflexion permet de faire des meilleurs choix mais demande aussi de puiser dans nos ressources qui ne sont pas infinies.

Des conclusions hâtives peuvent être efficaces si elles sont correctes et que le risque d’une erreur éventuelle n'est pas prohibitif, et si elles permettent d'économiser du temps et des efforts. Il peut en revanche s'avérer risqué de tirer des conclusions hâtives dans une situation qui n'est pas familière, dont les enjeux sont élevés, et dans laquelle on ne dispose pas d'assez de temps pour rassembler davantage d'informations.

Après avoir décortiquer le rôle de la pensé rapide et lente, je ne peux que vous inviter à régulièrement faire les « reviews » de vos tournois avec d’autres joueurs afin de réévaluer vos décisions évidentes. De plus dans la première partie, j’ai évoqué le lien entre décision et émotion et l’impact des fortes émotions sur votre processus décisionnel. J’insiste tout particulièrement sur l’intérêt de la stabilité émotionnel dans la performance au poker.

C’est pour cette raison que je vous invite à vous poser quelques questions avant de lancer votre session : quelle est votre stabilité émotionnelle avant cette partie ? Est-elle propice à une session poker de qualité ? Si non, avez-vous un protocole pour parvenir à une plus grande stabilité ? Exercice de respiration, relaxation, relecture de vos objectifs, avoir une note sur ce que vous allez devoir vous focaliser durant la session.  Quel est votre protocole post-session ?  A vous de jouer.
 
Article de Thibault Robert, Préparateur mental (Tiré de notre  magazine du mois de Novembre 2019 n°140)
Le site de Thibault Robert : www.pokerbienveillant.com

 

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