TECHNIQUE : L’information au poker, le nerf de la guerre
« Connais ton ennemi et connais–toi toi–même, tu vaincras cent fois sans péril. » Ce proverbe chinois, condensation du vers 18 du chapitre 3 de l’incontournable « Art de la guerre » de Sun Tzu, ne saurait qu’être approuvé par le joueur de poker que je suis. A ceci près que la variance inhérente à notre jeu favori nous empêchera de vaincre systématiquement. Ce qui n’est néanmoins pas une raison pour gagner la guerre de l’information…
La substantifique moelle de ce proverbe du maître est absolument indubitable. La connaissance, au poker, est en elle-même puissance. Ce jeu se distingue d’autres, et devient passionnant et excitant, spécialement parce qu’il est à informations incomplètes. Supputer, deviner, calculer, sont des actions centrales, décisives. Et ce sont bien ceux qui parviennent le mieux à lire leurs adversaires, leurs tells, leurs ranges, qui sont parmi les meilleurs joueurs du monde. L’information, au poker, c’est le nerf de la guerre. Et trop de joueurs le négligent. Téléphones portables, réseaux sociaux, Mass-Tabling Online, sont autant d’éléments qui obstruent notre course à l’information. Dans cette société ou la diffusion de l’information prend des allures tout à fait frénétiques, le poker a vu, avec les années, cette dimension s’estomper. Les Reads, les Tells, les Hero Calls avec hauteur Dix, sont supplantés aujourd’hui par le GTO, les Solvers. Laissez-moi, au travers de cet article, replacer l’information au centre du jeu.
« Je déteste recycler mes tables pour en trouver de plus faciles (…) Pourtant, jouer les tables les plus profitables au poker, c’est se garantir les meilleurs résultats. »
Se connaître soi-même
Pour améliorer ses performances sur les tables, s’emparer de « reads » au sujet d’autres joueurs est tout à fait indispensable, et je développe cela dans quelques lignes d’ailleurs. Mais avant de prendre de l’information sur les autres, prenez garde à glaner des informations sur vous-même ! Se connaître, c’est se sonder, c’est s’introspecter. C’est se connaître dans tous ses rapports, bons et mauvais. Ainsi, vous pouvez développer des mécanismes, lutter contre vos travers, puisque vous le savez, on n’est jamais aussi bien asservi que par soi-même. Mais vous pouvez également capitaliser sur vos qualités naturelles et en tirer profit.
Laissez-moi illustrer cela au travers d’un témoignage. Parmi tous mes défauts, je possède celui-ci : lorsque je joue online en cash game, je déteste recycler mes tables pour en trouver de plus faciles. Il me semble que c’est un mélange de feignantise et de manque de concentration à ce sujet. Pourtant, jouer les tables les plus profitables au poker, c’est se garantir les meilleurs résultats ! Voici un des nombreux aspects de ma personnalité de joueur. Conscientiser cette faiblesse, c’est emprunter la voix du changement. Ou en tout cas, se donner une chance de le faire. Je vous recommande ce travail introspectif. Faites-le en toute transparence, humilité, sans pudeur. Et partez de vos défauts d’aujourd’hui pour construire vos qualités de demain. D’ailleurs, se connaître soi-même, c’est aussi important au poker que dans la vie.
Ouvrez un Word, ou pour les plus anciens, saisissez une feuille, votre plume et votre encrier. Réfléchissez à vos plus grands défauts, vos failles, vos faiblesses au poker. Notez cela scrupuleusement. Par opposition, notez également vos qualités. De grâce, je ne souhaite pas abimer l’estime que vous avez de vous avec ce papier ! Personnellement, en Décembre 2019, de mon côté, ça pourrait ressembler à ceci :
Qualités |
Défauts |
Capacité de travail Capacité à me fiche des bad beats Connaissances théoriques Bonne connaissance du field .fr J’exploite sans relâche mes adversaires |
J’ai des Tells en Live J’ai du mal à Mass-Tabler online Je joue trop high variance en MTT parfois Je vais trop sur Facebook en jouant. Je regarde trop mes résultats |
Le diagnostic étant fait, il faut ensuite s’adapter à nos faiblesses ! Certaines peuvent être modifiées, d’autres pas. En ce qui me concerne, par exemple :
• Je vais jouer davantage en Live pour travailler sur mes Tells
• Je vais limiter mon nombre de tables Online car je n’ai jamais réussi à en jouer beaucoup simultanément.
• Je vais travailler sur la préservation de stack en MTT et axer mon échauffement autour de cela.
• Je mettrai un point d’honneur pendant mon échauffement à m’obliger à ne pas aller sur Facebook pendant ma session.
• Je prendrai garde également à regarder le moins souvent mes résultats.
Améliorer nos défauts, c’est se battre pour devenir maître de soi. Et maître de son destin de joueur de poker !
La connaissance de l’autre
Une fois que nous nous sommes mieux appropriés notre propre personne, il est temps de s’attaquer au reste du monde ! Et ce n’est évidemment pas une mince affaire. Je vais décomposer la question de la connaissance de l’autre en trois étapes : Les Tells, les Showdowns, et les données du tracker.
1.Les Tells
Lorsqu’on pense aux tells, on pense immédiatement à l’homme aux 10 millions de dollars de gains sur HendonMob, à savoir Davidi Kitai ! C’est la référence en la matière, et il va sans dire qu’il en tire un edge totalement dantesque ! La question des tells devrait être distinguée selon que l’on joue Online ou Live.
Online, nos leviers sont plus limités, mais ils sont néanmoins puissants. Les deux principaux tells que l’on va retrouver sont des timing tells et des sizing tells.
Les timing tells sont extrêmement importants. Prenons un exemple. Vous êtes dans un pot en tournoi après avoir relancé pré-flop. Vous c-bettez, et votre adversaire call très vite au flop. Vous 2-barrellez, et Vilain snap-call. Qu’en conclure ? D’une manière générale, c’est le signe d’une main moyenne. Suffisamment forte pour ne pas se poser la question de fold, mais suffisamment faible pour ne pas songer à la relance non plus. Il peut s’agir d’une paire moyenne, ou d’un tirage. Sur la base de ce seul tell pratiquement universel, il m’arrive souvent de 3-barrel en bluff avec des mains totalement innommables et inqualifiables, juste parce que je suis certain que je vais avoir énormément de fold équité River.
A l’inverse, quand Vilain prend du temps Flop et Turn, j’ai davantage tendance à me méfier. Aussi, si Vilain time énormément sur une street face à une mise, il possède souvent une main très limite, qu’il hésitait à fold. Aussi, beaucoup de joueurs misent beaucoup plus rapidement en bluff qu’en value. En value, les joueurs se soucient souvent du sizing, veulent prendre le plus de jetons possibles. En bluff, les joueurs s’embarrassent moins de ces considérations.
Attention cependant à ne pas les surestimer. Certains joueurs multitablent énormément et on ne peut pas -dans ce cas - prêter attention aux timing tells. D’autres brouillent les pistes. Et certains ont des tells naturellement contre-intuitifs. Mais néanmoins, faites attention à cela, car ils peuvent transformer une main qui pourrait être abandonnée en un bluff plein de panache !
Les sizings tells sont également prépondérants online ! Qui n’a jamais connu, que ce soit en Spin, en tournoi, et en cash game, des joueurs qui misent une big blind post-flop sur chaque street ! Les sizings veulent souvent dire beaucoup. Même sur les plus hautes limites, pléthores joueurs ont des sizings tells ! Essayer de comparer les Showdowns et les sizings utilisés par Vilain pour en tirer quelque chose !
En Live, évidemment, les leviers se multiplient ! On voit apparaître les tells physiques, qui peuvent revêtir de nombreuses formes ! Si bien évidemment je vous recommande d’observer les mains de vos adversaires, ne négligez pas le regard de ces derniers ! Les yeux sont le miroir de l’âme, mais également parfois le miroir de notre main ! La posture, également, est centrale ! Et pour autant, les sizings et timing tells existent toujours et il s’agit de les surveiller également ! C’est un véritable défi que de parvenir à observer vos adversaires correctement ! Il faut savoir qui observer, quoi observer, tout en parvenant à ne pas se laisser distraire par son voisin ou son portable ! C’est un défi qui vaut le coup d’être relevé, car il permet de gagner énormément d’EV. D’ailleurs, sur SpinForwin, notre coach mental Valentin Huvelin a dédié une série de vidéos à ce sujet que je vous recommande chaudement.
2.Les Showdowns
Les Showdowns ! Le seul moment au poker ou nous sommes autorisés à voir les mains de nos adversaires ! L’abattage, un moment magique, féérique, ou tout se dénoue pour le meilleur et pour le pire ! Je suis souvent étonné de constater à quel point les joueurs sont peu intéressés par les Showdowns ! Selon moi, il y a trois catégories de joueurs :
• Ceux qui regardent les Showdowns pour le spectacle, la distraction.
• Ceux qui regardent les Showdowns d’un air distrait
• Ceux qui regardent tous les showdowns avec attention, mais ne font pas le tri.
J’ai l’impression qu’à l’aube de 2020, peu de joueurs de poker sont impliqués dans la construction d’une stratégie grâce à un Showdown ! Et c’est pourtant l’essence du jeu ! Nous qui sommes en quête constante d’information, il y a forcément ce qu’il nous faut à l’abatage !
Comment capitaliser sur un Showdown ? Tout d’abord, il convient de faire attention au déroulement des coups sur vos tables, pour comprendre le contexte du Showdown. Il faut aussi s’enlever de la tête l’idée que les Showdowns dans les petits pots ne sont pas instructifs ! Bon sang, ce sont les plus fréquents ! De grâce, utilisez-les ! Ils sont souvent riches en information. Ensuite, il faut trier les Showdowns. Certains n’ont effectivement, après analyse, aucun intérêt. En revanche, un autre Showdown peut en valoir mille !
Dernièrement, je jouais en Spin&Go à l’occasion d’une vidéo pour SpinForWin appelée « Je prends l’ascenseur en Spin ». A la quatrième minute de cette vidéo, je suis en heads-up contre un joueur et je décide de limper 7p 3p avec 18bb deep. Mon adversaire check-back, il semble récréatif. Le Flop délivre 8c4c3k. Je décide contre lui de C-bet ma troisième paire pour protection, et pour valeur marginale à hauteur de 30 jetons dans un pot de 60 jetons. Mon adversaire paie. Le Turn délivre un Kk et je décide de Check-Back pour Showdown ma main. La River délivre un 10tc, il check de nouveau. Je m’empresse de check-back pour aller à l’abattage. Et là, surprise ! Vilain perd et me montre 5p 2t. Il avait un tirage quinte par les deux bouts au Flop, qu’il a check-call. Et River, avec hauteur cinq, la pire main possible, il n’a même pas essayé de bluffer ! C’est évidemment une situation ou il doit bluff systématiquement puisqu’il n’a aucune chance de remporter le pot ! Ce simple Showdown, dans ce petit pot, est une mine d’or ! Je sais que mon adversaire ne bluff pas une situation obligatoire à bluffer. Quand il misera prochainement, je folderai toutes mes mains faibles. Invariablement. Facile ! Cet adversaire est très simple à jouer, et je vais construire toute une stratégie post-flop sur la simple base de ce Showdown. Alors que nous n’avions que 600 jetons contre 900 pour notre adversaire, on finira assez aisément par gagner ce Spin, en suivant notre lecture basée sur un Showdown.
Vous l’avez compris, les Showdowns sont décisifs. Les négliger, c’est manquer de respect au poker. Ne négligez jamais une information que l’on vous donne !
Le tracker
Je sais que les trackers divisent. Perçus par les uns comme un outil inutile, par les autres comme un outil injuste, et par d’autres encore comme le Saint-Graal du poker online, il va sans dire qu’ils ne laissent personne indifférents. Cependant, puisqu’ils sont disponibles sur certains sites, accessibles à tous, il convient de faire un détour par l’utilisation du tracker, et plus particulièrement du HUD. Il permet d’obtenir des statistiques sur vos adversaires. Du pourcentage de mains jouées pré-flop au taux de Delay C-bet à la rivière, il fournit une quantité astronomique d’informations qu’il convient d’utiliser au mieux. De nombreuses vidéos et de nombreux ouvrages abordent l’utilisation du HUD, mais sachez en tout cas que je suis convaincu qu’un joueur qui utilise parfaitement son tracker, à compétences égales, aura de meilleurs résultats que son Alter Ego sans HUD.
Prenez un soin particulier à observer le pourcentage de mains jouées pré-flop, les pourcentages de C-bet Flop, Turn, River, et également les pourcentages de check-raise. Vous pourrez ainsi facilement comprendre quel type de joueur vous affrontez, et réagir en connaissance de cause.
J’espère vous avoir rappelé au travers de cet article pour mon magazine préféré à quel point l’information au poker est essentielle, fondamentale, et cruciale. Les joueurs qui parviendront à les collecter, puis à les utiliser de la meilleure des manières, s’illustreront tôt ou tard par leur qualité et leurs résultats ! Ouvrez l’œil, et bonne chance aux tables !
Article de Maxime Lemaitre, Joueur professionnel, coach et fondateur de SpinForWin.fr