Liv Boeree, l'interview exclusive donnée à  LivePoker


Liv Boeree, l'interview exclusive donnée à  LivePoker

En novembre 2018, Liv Boeree nous accordait une interview passionnante que vous pouvez retrouver en intégralité.


L'interview publiée en novembre 2018, qu'il nous semble indispensable de publier alors que Liv Boeree et PokerStars ne sont plus liés.


L’anglaise est une personnalité atypique du monde du poker, joueuse respectée et crainte aux 3,8 millions de dollars de gains, elle n’hésite jamais à prendre la parole pour dénoncer injustices et aberrations tout en s’engageant fréquemment dans des actions caritatives. Belle, intelligente, redoutable, généreuse, Liv est l’illustration parfaite du Girl Power !


Bonjour Liv, vous êtes au sommet depuis près de dix ans, comment faites-vous alors que le jeu et le niveau ont tant évolué ?

« Le jeu est devenu en effet plus dur et beaucoup plus analytique, maintenant tout dépend de ce que vous voulez jouer, si vous voulez jouer aux petites et moyennes limites il n’est pas trop dur de rester au niveau si vous jouez suffisamment et étudiez un peu. Si par contre vous voulez affronter les meilleurs, participer aux super High Rollers, vous devez vraiment travailler et assimiler la théorie du jeu. J’ai la chance que mon compagnon, Igor (NDLR, Kurganov le joueur professionnel) étudie tout ce qui a trait au GTO (Game Theory Optimal) très intensément avant de me distiller les informations, m’évitant d’avoir à faire tout le travail. »

« C’est un jeu de stratégie, de bluff et d’agressivité, des caractéristiques plus spécifiquement masculines (…). Ce n’est pas un jeu violent selon la définition normale, mais parfois la pression, la tension, certains joueurs, tout cela peut faire que vous soyez intimidé. »


Les femmes gagnent de gros tournois, mais pourtant elles sont toujours aussi peu à jouer. Comment l’expliquez-vous ?

« C’est une combinaison de facteurs. Il y avait un aspect social puisqu’autrefois le poker était considéré comme un jeu d’hommes et les femmes n’étaient pas les bienvenues. Aujourd’hui, elles le sont totalement, mais sans doute car elles sont estimées moins compétitives, en particulier dans les parties avec de très gros enjeux, comme si cela correspondait à un critère masculin ou féminin. Il y a évidemment de nombreux hommes qui n’aiment pas la compétition, qui n’aiment pas le sport ou les paris et à l’opposé il y a des femmes qui adorent ça. Et en général les femmes qui aiment ça font partie de l’élite du poker ! Alors bien sûr je ne crois pas qu’un jour on verra des fields mixtes à 50/50, j’ai essayé d’inciter mes amies à jouer au poker, mais bon, elles n’aiment pas ça, ce que je comprends ; le poker ne correspond pas à tous les styles de personnalité et sans doute moins aux femmes qu’aux hommes, je parle en terme de généralités bien évidemment. C’est quand même sympa de voir que la proportion a augmenté, mais j’aimerais que les femmes puissent se sentir davantage bienvenues encore car c’est un environnement qui peut être intimidant, en premier lieu car principalement composé d’hommes. En tant que femme, vous êtes observée, détaillée, il faut donc s’y habituer, ceci dit la majorité des tournois comme par exemple les EPT vous accueillent et vous traitent tellement bien que c’est un plaisir d’y participer. »
 

Liv Boerre Burning Man LivePoker
Liv Boeree... au festival Burning Man !

 

Que ressentez-vous d’être une femme dans le poker justement ?


 « Eh bien, je n’ai jamais été un homme dans le poker, donc je n’ai pas de point de référence ! Je dirais quand même que c’est une bénédiction le plus souvent et une malédiction parfois. Vous avez pleinement conscience d’être une minorité, par exemple quand je m’assois à table les gens me regardent et je ne sais jamais si c’est parce que je suis connue dans le poker ou si c’est parce que les hommes se disent ‘c’est cool d’avoir une jolie fille à table’. Parfois je suis dans un état d’esprit qui trouve ça flatteur, parfois non et j’ai simplement envie qu’alors on me considère uniquement comme un cerveau ! Vous êtes certainement plus désirables, ce qui est généralement plutôt plaisant et peut être agréable lorsque c’est exprimé avec élégance. »

Avez-vous des idées pour attirer plus de femmes ?


« Pour être honnête, je pense que la principale chose serait que les femmes voient à la télé d’autres femmes jouer au poker. Si c’était le cas systématiquement, les femmes se diraient “oh regarde, d’autres filles jouent”, et celles susceptibles d’aimer le jeu penseraient “oh cool, voilà quelque chose que je pourrais faire, si elles réussissent je peux y arriver aussi”. C’est pour moi le moyen le plus efficace, ensuite il faut travailler pour avoir un environnement le plus accueillant possible. PokerStars a fait tout ce qui était possible pour y parvenir, il faut continuer pour que les filles dont la personnalité correspond à celle d’une joueuse n’hésitent plus à venir. »

C’est vraiment un environnement si macho?


« C’est un peu macho. C’est un jeu de stratégie, de bluff et d’agressivité, des caractéristiques plus spécifiquement masculines. Après, cela dépend de votre définition de macho. Ce n’est pas un jeu violent selon la définition normale, mais parfois la pression, la tension, certains joueurs, tout cela peut faire que vous soyez intimidé. »

Quel est votre programme pour la fin de l’année ?


« Très certainement l’EPT de Prague en décembre, mais je n’ai pas planifié davantage car je travaille actuellement sur d’autres choses. On verra comment les choses évoluent.”
Parlons justement de ces “autres choses”.
Vous donnez des conférences TED X, quels sont vos sujets de prédilection ?

« J’ai donné deux conférences, l’une, TED X, portait sur le chiffre et langage et le fait qu’un nombre équivaut à des centaines de mots. Lorsqu’il est possible de quantifier quelque chose, il faut le faire et ne jamais rester dans l’imprécision. Cela s’applique au poker avec une pensée basée sur les probabilités qui va permettre de prendre des décisions rationnelles d’où va naitre la technique. L’autre, TED, a duré six minutes, ce qui était un peu court. J’ai parlé de trois choses que le jeu m’avait apprises, quand utiliser l’intuition, comment faire la part des choses entre le talent et la chance quand vous avez des résultats et penser en terme de probabilités. C’est un sujet qui tourne généralement autour des processus de décision et de pensée dans le poker. »

« Il faut être réaliste, il est trop tard pour espérer gagner un prix NobeI. Ceci dit, je m’intéresse toujours activement à ce qui a trait à la science, mais aussi à la communication, aux techniques d’enseignement et je ne pense pas m’arrêter. »



Planifiez-vous de faire d’autes TED X ?

« J’espère ! Maintenant que j’ai fait un TED et un TED X, je ne pense pas avoir l’opportunité d’en refaire prochainement, mais j’ai envie de donner d’autres conférences et peut-être en étant rémunérée car TED ne vous paie pas, ce qui est un très bon business model… Je suis maintenant plus à l’aise et je pense pouvoir faire des conférences payées pour des entreprises alors qu’il y a peu l’idée de parler devant 1000 ou 200 personnes me terrifiait. »

Avec vos diplômes, vous n’avez jamais envisagé de faire autre chose que jouer au poker ?

« Si. Avec Igor et d’autres joueurs, nous avons lancé ‘Raising for Effective Giving’ qui est une association philanthropique dans le monde du poker. Le concept n’est pas de simplement donner mais le faire de la manière le plus efficace possible, en donnant les outils pour y parvenir de manière efficiente. Pour être honnête, mon objectif principal en dehors du poker est de réussir à gagner assez pour pouvoir donner plus, aider à résoudre des problèmes graves, notamment écologiques, et conseiller les gens généreux qui donnent ou souhaitent donner sans savoir comment le faire efficacement.  J’ai aussi projet d’écrire un livre et une émission télé sur science et rationalisme. Mon deuxième objectif c’est de promouvoir le rationalisme et le développement de l’esprit critique chez les gens. »

Quand vous faisiez vos études en astrophysique, vous aviez imaginé ce type parcours ?

« A l’origine non, le poker m’est tombé dessus. Il faut être réaliste, il est trop tard pour espérer gagner un prix NobeI. Ceci dit, je m’intéresse toujours activement à ce qui a trait à la science, mais aussi à la communication, aux techniques d’enseignement et je ne pense pas m’arrêter. »

A ce sujet pensez-vous qu’un diplôme en astrophysique soit une force dans le poker ?


« Oui, le poker demande fréquemment de réfléchir en profondeur, avec une véritable capacité d’analyse. Un processus de réflexion scientifique rationnel est une arme certaine. C’est aussi une qualité pour apprendre et progresser en étant capable et intéresser par l’expérimentation avec un raisonnement « que se passe-t-il si j’agis ainsi ? » dont on pourra tirer de réels enseignements. »

Dans dix ans, Liv Boeree jouera-t-elle toujours au poker ?   


« Qui sait ? J’aime penser que je jouerai toujours. J’aime trop le jeu pour ne pas continuer à jouer, mais je ne pense pas que je ne ferai que ça dans dix ans. Bon, le poker c’est mon truc et je vais encore jouer un bon bout de temps… »

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