STRATEGIE : De l’intérêt de jouer à  l’Aveugle


STRATEGIE : De l’intérêt de jouer à  l’Aveugle

Jouer à  l'aveugle, ou jouer "blind" c'est à  dire sans prendre connaissance de ses 2 cartes privatives, peut constituer un exercice très intéressant pour accélérer sa progression.

Les cartes sont distribuées et on a hâte de connaître notre main. Elles resteront pourtant face cachée aussi longtemps que durera la partie. Tendances suicidaires, folie douce ou inconscience ? Jouer à l’aveugle peut se révéler plus raisonnable qu’il n’y paraît. Suivez le guide pour connaître les avantages d’une telle pratique.

 
En octobre dernier, lors des WPO de Dublin, Estelle Denis révélait faire « l'aller-retour » entre les deux tournois sur lesquels elle s’était engagée, le Knockout et le Ladies (dont, rappelons-le, elle sortit victorieuse devant 42 joueuses pour 710 €), l’obligeant à jouer la montre sur le KO pour davantage de rigueur sur le Ladies. Au lendemain de sa victoire, elle confiait d’ailleurs ne pas avoir regardé ses mains pour gagner en rapidité : « Sur le Knockout, je voulais absolument prendre les primes des joueurs le plus vite possible, alors je faisais tapis sans regarder mes cartes. C'était très drôle, j'en ai énervé quelques-uns comme ça... »

 

Le cas Obrestad



Bien avant elle, Annette Obrestad (photo), avait expérimenté la technique. Forte d’un palmarès bien rempli et de nombreux podiums gravis sur la plus haute marche - dont  le Main Event des WSOP Europe remporté en 2009, c’est l'exploit de son tournoi gagné à l’aveugle qui a fait de la Norvégienne une légende. Elle avait remporté la compétition devant 179 joueurs sans regarder une seule fois ses cartes !


Oui ! Annette ne s’est pas seulement contentée de sortir ITM de ce tournoi, vous l’avez compris, elle l'a remporté. Et vous vous demandez peut-être comment cela est possible ?



Une partie de la réponse est  certainement suggérée par le slogan de la célèbre room au W : «Le plus important au poker, ce ne sont pas les cartes, c’est ce que vous en faites ! », simple constat finalement, énonciation d’une vérité que le joueur focus sur des objectifs à atteindre, une gestion de bankroll  ou une variance déstabilisante  aura tendance à oublier. Car le slogan est plus subtil qu’il n’y paraît : il révèle en filigrane la règle essentielle de la technique à maîtriser absolument si l’on vise la progression de son jeu.

Si besoin était de vous donner une bonne raison de vous concentrer sur tous les paramètres annexes aux mains que vous détenez, souvenez-vous d’une publicité (ici) que cette même room a diffusé pour illustrer son slogan : elle retrace l’évolution des rapports de force qui coexistent entre trois espèces animales et l’homme à une époque où Patrick Bruel n’était pas né : la force du félin était représentée par une paire de 10, celle du mammouth par une combinaison As-Dame, celle du dinosaure par une combinaison As-Roi. Quant à l’homme, déjà pas très habillé au sens propre, il se contentait d’un 7 et d’un 2... bref, totalement à poil, la partie était bien mal engagée pour le bipède !

 

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Et pourtant, sur le long terme, on le voit survivre et se retrouver en position de force. Parvenu à traverser les âges jusqu’à l’époque moderne (c’est dire la distance de longue haleine qu’il a été capable de tenir doté de la sorte !), il est en train de faire griller un bon steak au barbecue. Comme quoi, le plus important au poker, c’est bien ce que l’on fait de ses cartes. A titre de comparaison, cela se vérifie bien sûr dans la vie privée et professionnelle. Un CV, une expérience, ne deviennent des atouts que si vous les présentez stratégiquement.



 Concrètement, jouer à l’aveugle, à quoi ça sert ?

 

Cela permet en premier lieu de sortir de sa zone de confort, de tenter des coups dont on se sent incapable en situation ordinaire alors que nous perdons souvent la partie et que fond notre bankroll. Mais surtout, cela permet :

  • De développer son agressivité pré-flop et post-flop et de se construire une image (le profil agressif « décent » se révèle gagnant)
  • De se focaliser sur la lecture du range adverse et décider dès qu’il vous paraît faible ou capé, de l’exploiter en tentant de faire fold celui qui a déjà misé 
  • De jouer la dynamique de la table et s’entraîner à retenir l’historique des joueurs
  • De prendre des infos sur les joueurs (récréatif standard / reg standard / récréatif très loose ou aggro…) dans le but d’améliorer vos reads ; de vous adapter aux relances et défenses de l’adversaire
  • D’apprendre à abandonner sa main en fonction de la défense adoptée face à vous
  • De tenter de gagner les pots pré-flop et ne pas s’attacher à remporter seulement les gros pots ; accorder de la valeur à chaque petit pot
  • De jouer la position à table, notamment un maximum de boutons, un peu moins de Cut Off et d’UTG (prendre garde cependant à ne pas renvoyer une image VPIP : pour cette raison, on ne peut pas jouer toutes les mains même si cela est tentant étant donné que toutes les mains sont cachées ! En effet, le but étant le bluff, montrer trop d’agressivité, jouer trop de mains, relancer et check-raise trop souvent peut amener à notre discrédit)
  • D'éviter de limper, préférer 3-bet et 4-bet là où vous auriez simplement suivi en situation ordinaire
  • De se risquer à des bluffs jamais imaginés, et apprendre à coucher ses mains lorsqu’on en a joué beaucoup.

 

Bien sûr, la raison essentielle du jeu à l’aveugle est de faire progresser sa stratégie en Texas hold'hem.

 
Notez encore que beaucoup ont du mal à se détacher de leurs mains. S’ils détiennent une main moyenne et que l’on mise très cher (même si l’on ne représente pas grand-chose), ils auront globalement beaucoup de mal à se coucher. Aussi, ce type de joueur est interessant puisqu'il n’accorde de toutes les façons que peu de crédit à la lecture de notre range. Il considère en fait que l'on joue déjà à l'aveugle même si l'on a pris connaissance de sa main (!). Placer notre attention sur la leur nous donnera un avantage certain.
 

Estelle Denis
Estelle Denis brille aussi sans cartes...
 

Conclusion

Vous l’aurez compris, jouer à l’aveugle peut bien évidemment vous mettre dans des situations caucasses : jeter une paire d’As, relancer avec une merguez. Mais, à l’image d’un non voyant qui, privé de ses yeux, est amené à développer ses autres sens et révèle bien souvent des talents qu’il n’aurait peut-être pas soupçonnés s’il avait pu voir, c’est aussi et surtout un formidable moyen de fixer votre attention sur l’ensemble des autres paramètres du jeu et le Metagame qui entoure toute une table.

Si nombreux sont ceux qui estiment que la chance a plus d’importance que les compétences au poker, ce jeu est avant tout  un jeu d’adresse. Une bonne stratégie finira toujours par payer à long terme. Essayer de jouer à l’aveugle, c’est se rendre compte qu’il n’y a pas vraiment besoin de connaître ses cartes pour prendre les bonnes décisions. A méditer ...  dans chacun des domaines de sa propre vie non ?

 

Virginie Fortin
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