LEGENDE : l'histoire du 10-2 de Doyle Brunson rend cette main encore plus incroyable !
C’est un duel entre un Mexicain et un Texan. Le premier, passionné de golf est surnommé « Le roi des greens » mais c’est sur les plus grosses tables de cash-game de Las Vegas qu’il réalise ses meilleurs performances. Le second, dit « Texas Dolly », est considéré comme l’un des trois meilleurs joueurs de poker au monde. Rien que ça. Jesse Alto et Doyle Brunson s’affrontent en head’s-up ce 10 mai 1976 au Binion’s Horshoe de Las Vegas ou se joue la finale du Main Event des WSOP. Retour sur l’histoire d’un duel qui a vu naitre une légende.
10-2 sera très certainement toujours connue sous le nom de « Doyle Brunson» car en effet, cette main légendaire a peut-être écrit l’histoire la plus folle du monde du poker, relevant à s’y méprendre de la fiction.
La Doyle Brunson était à l’origine un bad beat.
Nous sommes bien avant l'époque du poker en ligne. Le jeu n’attire pas à lui beaucoup de sympathie. Il a même plutôt mauvaise réputation.
Doyle Brunson, qui s’adjuge deux victoires consécutives lors des WSOP de 1976 et 1977 avec la même main - qui plus est a priori médiocre, et à chaque fois dominée de surcroit - n’est pas sans illustrer la mauvaise considération dont le jeu fait alors l’objet. Et le 10e bracelet que Brunson remportera en 2005 lors des WSOP face à Minh Ly avec un 10-3 étrangement similaire alimentera lui aussi moult conversations.
Cette main a remporté deux titres WSOP !
Oui, oui, vous avez bien lu même si c’est tout à fait étonnant : Brunson a joué deux fois de suite un pitoyable 10-2 pour remporter deux titres WSOP.
En règle générale, 10-2 ayant une valeur potentielle presque nulle est une main considérée comme une poubelle absolue au Texas Hold'em, même pour quelqu'un de la stature de Brunson.
Pourtant, le 10-2 est désormais surnommée la «Doyle Brunson» par les joueurs de poker dans les salles de jeu du monde entier. Brunson a d’ailleurs lui-même toujours gardé un certain goût pour cette main qu’il se plait à jouer autant que possible.
Dans une moindre mesure, A-Q est également une main associée à Doyle Brunson, mais cette fois en raison de son aversion bien connue pour la combinaison. Dans son manuel de stratégie Super System de 1979, Brunson dit qu'il ne la joue jamais.
WSOP 1976 : le 10-2 de Doyle Brunson acquiert sa renommée.
En 1976, les WSOP n'en sont qu'à leur septième année, mais gagnent en popularité.
Doyle Brunson est au sommet de sa carrière de joueur de poker et vise son premier titre au Main Event.
C’est en head’s-up contre Jesse Alto que la main de Doyle Brunson allait faire sa première entrée remarquée dans le monde du poker.
Jesse Alto détient 50 000 jetons et Doyle Brunson, 170 000. On s’apprête à jouer un nouveau coup. Ce sera aussi le dernier.
Jesse Alto, petite blind au bouton, découvre As-J, très appréciée en head’s-up. Contre le 10-2 de Brunson, il est favori à 65,4% et fait le choix de ne pas avancer son tapis. Rien ne sert de faire fuir Brunson qui n’a, à ce stade des enchères que 34,6% de chances de remporter le coup. Il préfère effectuer une relance minimale faisant ainsi grossir le pot tout en s’assurant de grappiller un peu plus que la grosse blind.
Les cartes de Brunson, bien qu’assorties à pique, ne le mettent pas en confiance. Mais il est chip leader et le resterait même s’il venait à perdre le coup. Il tente sa chance et suit la petite relance de son adversaire. Chacun a honorablement défendu sa position.
Le flop laisse voir As – J – 10. Le meilleur scénario possible pour Alto qui détient désormais deux paires flopées. Ce flop tombé du Ciel fait grimper sa cote à près de 87%. Il n’est question maintenant que de garder la tête froide et de raconter une belle histoire mensongère à Brunson. Premier de parole, il checke, faisant ainsi croire à son adversaire qu’il n’a pas rencontré son flop.
Ce slow-play inspire immédiatement à Brunson son fameux « I’m all in ». Tous ses jetons recouvrent le centre du tapis pour la… troisième paire du board. Serait-il devenu fou ?
Rappelons qu’Alto détient un stack considérablement plus petit que le sien et Brunson envisage de le faire fold même s’il possède une meilleure paire que la sienne. Il risque à se moment du jeu, de perdre son tournoi. Alto va-t-il jeter ses cartes ? Ce semi-bluff quasi académique permet au chip leader de profiter de sa position pour intimider son adversaire et éventuellement voler les jetons.
De son côté, on se doute que Jesse Alto est aux anges. Sa ruse a fonctionné au-delà de toutes espérances et il ne peut réprimer un sourire, lui d’ordinaire si doué pour maîtriser ses émotions. Il répond logiquement : « I call ». Alea jacta est ; advienne que pourra.
La turn dévoile un 2 ; une brique qui laisse Alto impassible. Il a maintenant 90,9% de chances de remporter le coup ! Mais l’incroyable se produit : la river est un 10…
Contre toutes attentes, Brunson devient champion du monde de poker et empoche avec son triomphe la totalité d’un prizepool à 220 000 $, alors qu’Alto, bien qu’ayant défendu sa double paire flopée d’une main de maître repart les poches vides.
WSOP 1977: le 10-2 est de retour.
WSOP de 1977. Brunson détient le chip lead contre Bones Berland et vient de recevoir 10-2. L’histoire se répète.
Mais, contrairement à la main finale de l'année précédente, il se trouve face à une main poubelle à l’image de la sienne : Berland détient 8-5. Aucune main n'est adaptée pour jouer le coup à venir mais chacun tente sa chance sans montrer de force préflop cependant.
Arrive un flop un arc-en-ciel fait de 10 – 8 – 5, donnant paire supérieure à Brunson et paire inférieure à Berland.
C’est alors que la turn offre un 2 miraculeux à Brunson, lui faisant détenir meilleure paire que Berland. Cette fois, Brunson mise et Berland relance à tapis. Que fait Brunson ? …Il suit !
Mais ce n’est pas fini ! La river dévoile un 10, comme ce fut exactement le cas l’année précédente dans les mêmes circonstances !
Brunson remporte ainsi un deuxième Main Event WSOP consécutif et grave à jamais la puissance d’une antithétique main.
Il remporte avec cette main désormais mythique 340 000 $ mais celui que l’on appelle « Texas Dolly » fait surtout passer son nom dans la postérité. Avec un 10 et un 2 Doyle Brunson devient en effet immortel.
10-2 : l'héritage.
A l’heure où notre monde est capable d’offrir du poker télévisé 24 heures sur 24 et que nombre de nouveaux joueurs affluent vers ce jeu, le 10-2 de Doyle Brunson n'a jamais été aussi populaire.
Aujourd’hui encore, à chaque fois que Brunson décroche un 10-2, il ne flirte pas longtemps avec l'idée de le jouer. Evidemment, cela fait toujours le clou du spectacle et aucune occasion n’est manquée pour rappeler l’incroyable histoire de cette main. Il est rare par ailleurs qu’un joueur détenant cette main alors que Doyle Brunson se trouve à proximité n’échange pas un sourire avec la légende du poker.
Pots modernes célèbres avec 10-2
Malgré le fait que de nombreux jeunes joueurs accomplissent aujourd’hui des miracles au poker et que, parmi eux, beaucoup détiennent un total de gains bien supérieur à ceux de Brunson, ils admirent toujours ce phénomène.
Ceux-là ne manquent pas l'occasion de montrer leurs compétences lorsqu'ils reçoivent la main miraculeuse, en particulier lorsque le tournoi est retransmis.
Et, à chaque fois que cette situation se présente, cela fait sourire Brunson qui sait bien que les joueurs de la jeune génération lui rendent ainsi hommage.
La main de Doyle Brunson ne porte pas chance à Phil Galfond.
Phil Galfond a cependant été moins chanceux que Brunson en se voyant distribuer ce bon vieux 10-2 face à Daniel Negreanu.
Galfond, pour impressionner Brunson a décidé de défendre cette main mais c’était sans compter une très bonne paire flopée donnant l’avantage à son adversaire.
Galfond tente de checker à la turn mais « KidPoker » envoie ses jetons à tapis faisant abandonner par Galfond le pot convoité. Il dira en retournant ses cartes avoir voulu impressionner Brunson.
Quand Doyle se met en difficulté.
Doyle lui-même a parfois du mal à folder cette main qui lui a valu tant de lauriers, même s'il ne sait que trop combien elle ne vaut rien…
Lors du Main Event des WSOP 2003, il s'est impliqué dans un pot relativement insignifiant contre Zimmerman qui détenait une paire de 7. Alors que la paire de Zimmerman tient dans un board découvrant un 10, Brunson déclare en retournant la sienne : «Je ne pouvais pas m'en empêcher.» Et toute la table a ri.
Et vous ? Si vous recevez 10-2, que devez-vous faire ?
Désormais, chaque fois que vous recevez un 10-2, la première chose qui vous vient certainement à l'esprit est de tenter cette main.
Nommé légende du poker au même titre que Doyle Brunson qui la rendit célèbre, il est parfaitement compréhensible de vouloir entrer dans n’importe quel coup ainsi doté – par une main, à l’origine, poubelle.
Il y a aussi dans cette main, bien au-delà de l’espérance de potentiellement gagner, le paramètre certain lié à l’attrait du divertissement. On joue 10-2 parce que c’est la Doyle ; autrement dit, le Graal !
Mais attention de ne pas vous laisser emporter par trop d’engouement. N’oubliez jamais, à moins que vous soyez Doyle Brunson lui-même, que cette main reste faible et que vous risquez d’être mal embarqué si vous vous risquez à bluffer avec cette combinaison. Rappelez-vous qu’avec cette main, engager des jetons – ou pire, engager beaucoup de jetons - au milieu du tapis vous sera souvent coûteux.
Je n'essaie pas de dire que vous ne devriez pas jouer cette main car nous savons que la tentation sera grande. Cependant, essayez de garder le contrôle. Et, si vous vous laissez emporter et avez de mauvaises surprises avec cette main, assurez-vous de la retourner à la fin. Vos adversaires comprendront.