ALL-IN : le nerf de la guerre


ALL-IN : le nerf de la guerre

Dans cette chronique, la plume acérée d'Albert Sebag nous explique comment l'argent et les différents classements appauvrissent l'esprit du poker...


Plume émérite du journalisme français, Albert Sebag est aussi et surtout une encyclopédie du poker. Depuis ses débuts à l’aube des années 1980, il a vu défiler joueurs, variantes, crises et embellies tout en assistant à la naissance du Hold’em ou du poker online. Autant dire qu’il est l’homme idéal pour cette chronique parue dans le LivePoker n° 120, et  qui va lui permettre de tout mettre sur la table !

LE NERF DE LA GUERRE

On pourra gloser à satiété sur le talent ou la variance, on reviendra encore et toujours à celui qui fait tourner le monde, et pour ce qui nous occupe, les casinos et autres cercles de jeux. J’ai nommé notre ami l’argent, le nerf de la guerre. Or le facteur financier est en passe de prendre au poker une place qu’il n’avait pas auparavant. Et les dérives qu’il produit faussent de manière inquiétante les bases même de ce noble art qu’est le Texas Hold’em.

Les exemples abondent. De jour en jour, je suis effaré par l’indolence de la plupart des joueurs qui paient leur droit d’entrée comme d’autres vont à l’abattoir. Outre leur skill, les participants d’un tournoi devraient être tous égaux dès les premières secondes. Or, désormais, je connais peu de domaines où l’équité est aussi peu respectée. 90 % des tournois dans le monde entier s’apparentent désormais à du cash-game déguisé.

Je m’explique : il n’y a pas si longtemps, j’ai assisté à un gros événement à Paris où il était possible de re-entry jusqu’à sept fois durant quatre Day 1, soit au total huit chances de parvenir au Day 2 en payant et repayant la modique somme de 1500 €. Cette pratique est non seulement scandaleuse car elle insulte l’esprit du jeu mais elle favorise incroyablement celles et ceux dont la bankroll est écrasante. On m’a déjà rétorqué que cela grossissait le prizepool et que c’était donc une bonne chose pour tous les futurs ITM… Foutaises ! Revenons au bon freezeout d’antan où chacun est logé à la même enseigne : un mauvais call, un bluff raté ou un pédalage abusif et c’est la porte de sortie. Et si les organisateurs pensent que le prizepool s’en ressentira, qu’ils augmentent de 20 % le buy-in. Une chose est claire : cette inflation ridicule et démesurée décime un à un les candidats et finira par faire sauter le standard de SOS Joueurs et les consultations d’addictologie à Marmottan.

"Qu’on accepte enfin de publier ces chiffres en fonction du nombre de tournois joués, du nombre de re-entries, etc. Nous assisterons ainsi à un changement radical des positions dans les classements"

Cela m’amène logiquement au second point qui me révolte bien plus que le premier. Combien de temps encore va-t-on nous prendre pour des gogos avec les classements français, européens et mondiaux ? Les lignes Hendon ou GPI sont une hérésie absolue. Je connais certains joueurs qui s’en flattent tous les jours et les collectionnent comme des philatélistes névrosés. Là aussi, les raisons de ma colère… Qui trouverait à redire sur des classements qui permettent à tous d’apprécier l’avancée d’un joueur tournoi après tournoi ? Personne ! Et qui oserait dire que ces plateformes internet ne sont pas de formidables outils gérés par d’excellents professionnels ? Là aussi, nobody ! Sauf que ces classements sont un mensonge éhonté car ils ne prennent pas en compte la participation effective du joueur.

Je m’explique : tout classement répertorie les résultats et les seuls résultats. Alors qu’on accepte enfin de publier ces chiffres en fonction du nombre de tournois joués, du nombre de re-entries, etc. Nous assisterons ainsi à un changement radical des positions. Il serait très simple, puisque tout est informatisé, de comptabiliser la totalité des engagements des joueurs afin de calculer leur retour sur investissement – le fameux ROI  – et je préfère ne pas aborder le problème des frais de tournoi (voyage, hôtel, nourriture, etc.) qui, le plus souvent, sont l’équivalent minimum d’un buy-in sur deux ou trois jours. Cela permettrait ainsi à ceux qui achètent leur classement Hendon avec leur carte bancaire d’arrêter de plastronner. Dois-je faire la liste exhaustive des joueurs qui annoncent kyrielles d’ITM dans l’année, avec des résultats entre 50 et 100.000 €, alors que leur année de poker leur a coûté le double pour ne pas dire le triple ? Ce sont des victoires à la Pyrrhus. Nos petits Napoléon d’un jour peuvent toujours poser pour la photo. Eux savent très bien qu’ils auront gagné mais, au final, au prix de pertes préalables ou à venir très conséquentes. Et, au poker, les grognards s’appellent euros… 
Que les opérateurs de poker et organisateurs de tournoi continuent à vendre du rêve, qui les en blâmerait en ces temps de déprime généralisée ? En revanche, il leur faut revenir à plus d’égalité ou alors que certains arrêtent de nous bassiner avec cette notion de discipline sportive. Soit on rééquilibre les chances des joueurs en modifiant l’offre des tournois, soit on continue à nous servir cette mascarade. Délaisser un peu le Veau d’Or et revenir aux Tables de la Loi, ça vous dit ?

BIOGRAPHIE :

Albert Sebag
pratique le journalisme depuis 1980, a découvert le poker à 8 ans en famille et a touché sa première carte de Texas hold’em voilà précisément 30 ans dans une partie privée, avenue Foch. En 1988, ce poker ne se pratiquait pas officiellement en France. Mal lui en a pris, puisque de 1989 à 2009, il n’a jamais franchi la porte d’un cercle ou d’un casino pour y rejouer. Pourquoi « all-in ! » ? Parce qu’il a décidé de tout mettre sur la table…

Crédit photo : Unibet

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