ITW Julien Sitbon : « Le poker, ce n’est pas de la science »
Interview exclusive de l'ancien candidat de la Maison du Bluff qui écume avec réussite les tournois des cercles parisiens.
Plutôt novice dans le monde du poker, Julien Sitbon a commencé à faire parler de lui en intégrant la Maison du Bluff avant de connaître un prolifique mois de décembre 2012 : le Parisien, qui vient également d'atteindre la table finale du 500 € des EFOP, a successivement terminé 5ème des FPS Paris avant de remporter le 500 € de l’ACF dans la foulée. Ce régulier des cercles de la capitale, apôtre du live et comédien de profession, nous livre son approche du jeu et dévoile ses ambitions futures.
Bonjour Julien, peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?
J’ai commencé à jouer il y a trois ans avec des potes, des petits tournois à 10-20 € pour rigoler, pas de cash-game. Après, il y a eu La Maison du Bluff (Julien a participé à la première saison). De par mon métier de comédien, j’ai des potes qui m’ont parlé du casting et la directrice de casting m’a demandé si ça m’intéressait. A la base j’ai dit non, car par rapport à mon métier j’étais plus grillé qu’autre chose en y allant… Mais comme j’étais fan de poker, je me suis dit : « Tu fais ça discrètement, t’essayes d’être vu le moins possible… » Je suis sorti au bout de deux semaines, je n’en ai pas gardé un souvenir incroyable. Après cela, j’ai commencé à jouer des tournois en cercle en prenant de plus en plus de plaisir, tout en jouant un peu en cash-game pour payer les tournois. Je joue vraiment depuis un an et demi ou deux ans. Voilà comment j’ai démarré.
Quel est ton profil de joueur ?
Je joue très peu sur Internet, je faisais juste quelques sats sur le net pour les tournois Partouche, les PPD et les PPT, car il y avait de l’overlay. Je préfère le live car mon truc c’est de jouer les joueurs, même si ce n’est pas si simple. Ce que j’aime c’est analyser, observer. C’est dû à mon métier, le fait de voir des mimiques, des gestes, les tells. Ça me saoule de jouer 6-7 heures sur Internet, j’ai besoin de discuter avec les gens, de voir les choses. Je fais de très rares sessions avec mes potes. J’étais avec Mouss (ancien de la Maison du Bluff) quand il a gagné le Main Event des FCOOP il y a un mois, mais je n’aime pas rester 8 heures sur un ordinateur. A une table, je vais faire attention à tout pendant dix heures, mais ce n’est pas pareil sur Internet.
« Ta première analyse est toujours la bonne »
Tu te considères donc comme un vrai joueur de live ?
J’essaye de m’adapter au maximum à la table et surtout aux types de joueurs. Je préfère jouer des tournois deeps pour pouvoir faire des moves, prendre des risques sur certains spots parce que j’aurai senti quelque chose. Je joue avec mon instinct, de plus en plus. Parfois tu sais qu’il ne faut pas call mais tu le fais quand même parce que tu te dis que… alors que ta première analyse est toujours la bonne. Plus je me fie à ma première lecture, mieux ça se passe.
Tu résides à Paris. Pour un joueur comme toi, c’est idéal avec la présence des cercles de jeux…
Je n’ai pas joué pendant quatre mois, mais en temps normal j’essaie de faire un tournoi par semaine en cercle. Je commence à avoir une bankroll plus intéressante qui me permet de jouer des tournois à un rythme plus important. Je commence à faire des 500 €, des 1000 € ou des 1500 €. Je pense que je vais essayer de faire de plus gros buys-in car je fais peu de gros tournois et ça me réussit pas trop mal quand je les joue. C’est aussi une question de temps par rapport au boulot. Mais je prends du plaisir, c’est le plus important. La fermeture de Wagram ne m’a pas fait plaisir, j’y allais beaucoup et l’ambiance était différente. Maintenant je vais de plus en plus à l’ACF où à Cadet, qui commence à être de mieux en mieux. Mais il ne reste que le 500 € de l’ACF qui est intéressant, et à la limite le 200 € de Cadet. Pour faire des beaux tournois, il faut bouger et c’est ça qui me fait ch...
As-tu déjà décelé un tell qui ressort particulièrement chez tes adversaires lors des parties live ?
Il y a la manière de jeter les jetons, ça m’interpelle beaucoup. Il y a aussi les regards, la manière de regarder le flop. C’est vraiment une analyse globale. C’est plus du feeling que les tells de base qu’on peut trouver dans les livres. Quand tu passes plusieurs heures avec un joueur, tu peux le voir évoluer, voir ses différentes relances, selon sa main. C’est intéressant de suivre tous les coups, les actions à chaque street même quand tu n’es pas dedans. C’est un gros travail sur une journée, ça fait ensuite la différence sur les gros pots.
Revenons sur ta cinquième place lors des France Poker Series Paris à la mi-décembre, durant lesquels tu as impressionné les observateurs. C’était l’état de grâce pour toi sur cette épreuve ?
Pour être honnête, le lundi soir j’étais avec mon pote Mouss jusqu’à 9 heures du mat’ et le tournoi démarrait le mardi à midi. Je me suis dit : « C’est à mon tour de perfer ! » J’étais fatigué mais je ressentais cette adrénaline, j’étais concentré. Je voulais monter du stack tranquillement, étape par étape, suivre mes lectures, et à la fin je retournais voir Mouss sur la TF. J’ai peu dormi durant cinq-six jours. Mais j’ai une bonne hygiène de vie donc j’étais réveillé. Je n’ai pas chatté spécialement mais je n’ai pas déchatté non plus. Je n’ai jamais mis en jeu mon tournoi, à part en TF. C’est magnifique d’avoir tout le temps un tapis conséquent, c’est toujours toi qui mets la pression.
Quel est ton sentiment après ce tournoi ?
Je suis hyper déçu car j’avais démarré la table finale en tant que chipleader. Le Polonais (Mateusz Rypulak, futur vainqueur) a eu deux-trois spots magnifiques au début et a monté un stack de fou. Moi j’ai joué un gros pot contre lui avec brelan floppé où il a top paire mais il fait quinte river. Je perds aussi un 60/40. Vu le déroulé du tournoi, je visais le top 3, j’avais des lectures sur les joueurs. Je n’ai pas fait d’erreur et j'ai fait un beau tournoi.
« Je n’arrive pas à me faire à l’idée de partir quatre jours juste pour jouer au poker »
Ce coup de boost à ta bankroll va-t-il modifier ton programme pour les mois à venir ?
Oui, effectivement. J’avais une bankroll assez correcte et je voulais enchaîner les tournois pour voir ce que ça allait donner. Après les FPS, j’ai gagné le 500 € de l’ACF la semaine suivante. Un run sympa ! Je me suis dis que j’allai continuer un peu. Je sais que je vais faire les FPS de Deauville et le WPT National Paris (ou Julien n'a pas passé le Day 1). Je vais faire un ou deux sats EPT. Des gens voulaient aussi me stacker sur l’EPT Deauville, mais je ne sais pas si j’ai envie d’être stacké sur un Event aussi important. J’aimerai faire le WPT Maurice aussi, pour le cadre. Peut-être un peu les EFOP en janvier. J’ai très peu voyagé pour le poker et je n’arrive pas à me faire à l’idée de partir quatre jours juste pour jouer au poker. Même si je suis allé à Cannes ou en Belgique et que je voulais aller à Prague... En plus j’ai un métier où je ne sais jamais quand je bosse, c’est délicat de tout planifier.
As-tu parfois recours au stacking ?
Jamais. Je swappe un peu histoire de se couvrir et de faire kiffer les potes. Comme je te l’ai dit, on m’a proposé pour Deauville, mais ça me fait ch… de me dire que ne prendrai que 50% des gains éventuels…
Tu es donc aussi comédien et mannequin à côté du poker…
Je suis acteur et un peu mannequin. J’ai fait une formation de comédien, mais il s’avère que j’ai eu la chance de faire un peu de photo, de défiler, j’en profite aussi. Je bosse sur les deux et je ne gagne pas trop mal ma vie. J’ai récemment tourné dans « Section de Recherche » et une autre série sur TF1. J‘ai aussi tourné un clip pour un chanteur aux Etats-Unis. Je suis parti trois mois à Los Angeles et j’ai aussi fait un passage dans un film, je fais pas mal de pub, de doublages de voix.
N’as-tu jamais été contacté par une marque de vêtements poker, par un réalisateur de série ou film sur le poker ?
Pas du tout. J’ai croisé Arsène Mosca (producteur de Drôle de Poker) plusieurs fois mais on ne m’a jamais proposé quoi que ce soit en rapport avec le poker. Mais ce serait avec plaisir. Pareil pour les marques de vêtements poker. Dans ce boulot, on a des agents, mais dans un milieu restreint comme le poker, ça se fait plutôt par le bouche-à-oreille.
Ta participation à La Maison du Bluff t’a-t-elle apportée plus de visibilité ?
Je ne l’ai pas fait pour ça, je voulais le moins de visibilité possible ! Les gens se disent qu’on fait de la télé-réalité pour bosser derrière en tant que comédien ou pour faire de l’animation, mais moi j’étais déjà comédien et je ne voulais surtout pas qu’on m’associe à ça. Ça m’a plutôt desservi après. Les producteurs me disaient : « Mais tu n’étais même pas payé ! » Je devais expliquer que je n’y allais pas pour ça. J’y allais pour progresser, pour essayer de décrocher le contrat. J’espère que c’est passé assez inaperçu. Si j’avais gagné ? Mon métier me permet de choisir mes tournois. Je n’arrêterai pas le boulot pour le poker.
Qu’est-ce qui fait la différence entre les candidats pour intégrer une émission de télé-réalité poker ?
Pour moi c’était différent, c’était du casting, ils m’ont pris car j’était comédien, cool, pas prise de tête et pas trop mauvais au poker. Bien sûr qu’ils veulent des clichés car c’est de la télé-réalité, mais bon…
« Le fait d’être comédien me permet d’être plus à l’aise à la table »
N’as-tu pas envie de pousser l’expérience poker plus loin quand tu vois quelqu'un comme Cathy Serrat qui réussit sur le circuit des tournois live?
Si. J’aimerai pouvoir faire une grosse partie du circuit. Cathy a fait quelques events grâce à PokerStars. Si on me propose de faire 15-20 tournois dans l’année, ce sera avec plaisir, je trouverais le temps car je pense que si je suis régulier je pourrais faire de bonnes choses. Pour moi, le poker est un revenu complémentaire. A la base, l’argent du poker ce n’était que pour le poker, je voulais juste monter une roll. Je gagne bien ma vie à côté et j’ai des gains qui me permettent de mettre de l’argent de côté. J’aimerai continuer comme ça. Je m’étais toujours dit que j’arrêterai le poker quand je serai perdant, mais ça ne m’est jamais arrivé. J’espère ne jamais être broke et je ne pense pas cela possible avec ma gestion. Vegas ça me tente, mais il faut avoir une vraie bankroll… Je ne me sens pas d’aller buy-in 10k et partir aux WSOP pour faire des 1000 $ boucheries, ça n’a aucun intérêt.
Est ce-que ton métier te sert à une table de poker ?
Complètement. Par exemple au jour 4 des FPS en table téléviséé, je suis avec un très bon joueur qui était chipleader avec moi au jour 2. On n’est plus que six et il raise au bouton, j’ouvre paire de Rois en small blind et tout de suite je vois que big blind s’excite. Je paye juste et le mec shove 400.000 tout de suite. Je parle alors pendant 3/4 d’heure, je fais de l’acting et le bouton finit par payer, ce qui me permet de reshove par-dessus. Le bouton passe et je gagne contre A-Q. Après, le bouton m’a dit qu’il ne m’aurait jamais mis sur une vraie main. Ce coup-là est révélateur. Je fais un acting de fou pour montrer que je vais passer. C’est juste de la parole, je veux montrer que je vais fold sûr et certain, que j’ai payé une fois mais je vais fold ensuite… Mon métier me sert aussi à faire des faux tells… Certains ne sont pas d’accord avec ce type d’attitude, mais moi je trouve que ça fait partie du poker. Le fait d’être comédien me permet d’être plus à l’aise à la table. J’aime aussi les thin value, savoir que le mec va payer hauteur As alors que tu as cinquième paire.
Comment essaies-tu de progresser dans ton jeu ?
J’ai lu un petit peu au début, mais je confesse que je ne lis plus de bouquins. C’est vraiment à l’expérience, jouer avec de très bons joueurs, discuter des coups. Je pense que c’est très enrichissant. Pour moi le poker, ce n’est pas de la science, même si j’utilise les stats et la probabilité, je pense que c’est du feeling et c’est vraiment selon les joueurs. Tu vas raise plus cher si un joueur défend ses blindes ou va vouloir t’attraper. A La Maison du Bluff, il aurait fallu que je reste plus longtemps même si Julien Brécard m’a appris des choses. S’il n’y avait pas eu de caméras, ça aurait été parfait !
Quelles sont tes ambitions et des objectifs à venir ?
Pour être honnête, j’aimerai faire des gros tournois, faire des perfs pour buy-in un ou deux EPT. Mon plus gros tournoi, c’était l’Unibet Open Paris l’année dernière à 1650 € car j’avais gagné un ticket. Je n’ai jamais buy-in de ma poche plus de 500 € pour un tournoi. J’aimerai voir la différence de niveau avec des tournois à gros buy-in. Mais je sais pas encore comment y parvenir. Si il y a des rooms qui ont envie de payer un tournoi ou deux… Je pensais que PokerStars le ferait mais bon… Il faut espérer que le good run perdure, que je continue à faire les bons choix et que je me fie toujours plus à mon instinct !
Propos recueillis par Maxime Arnou