Julien Martini (1/2) : « Je me sens plus libéré »
Au mois de janvier, Julien Martini se confiait dans le n° 131 de Livepoker, suite à sa grosse perf au PSPC. Retour sur cet entretien exclusif. (1/2)
En accumulant plus de 3,8 millions de dollars en quelques mois, décrochant au passage un bracelet WSOP, avant de signer une incroyable deuxième place dans l’exceptionnel PSCP Bahamas de PokerStars, Julien Martini est devenu un des joueurs majeurs du circuit au ROI plutôt exceptionnel.
Joueur de cash game exilé à Taiwan, Julien Martini n’avait jusqu’à présent que très peu fait parler de lui. Il avait certes terminé deuxième du High Roller du WPT National Paris en 2015 pour un peu plus de 50.000 € ou fini huitième d’un 3000 $ des WSOP 2017 pour un gain similaire, mais avouons-le, il n’y avait là pas de quoi devenir la nouvelle terreur des tapis verts. Une discrétion qui convenait tout à fait à ce joueur de cash high stakes, évoluant entre Taipei, Macao et Las Vegas, toujours à la recherche de juteuses parties, pour qui les tournois ne constituaient alors que de rares plages de distraction. Et pourtant, dans l’esprit de ce grand voyageur – à l’instar de nombreux Corses – le rêve d’un bracelet WSOP se faisait d’année en année plus grand, le poussant à mettre entre parenthèses ses lucratives parties de cash le mois de juin venu. Un rêve accompli en mai 2018 avec un titre et une convoitée breloque propulsant soudain sur le devant de la scène ce redoutable spécialiste des variantes. En accumulant des lors les résultats remarquables jusqu’au point d’orgue de Nassau en janvier, le jeune homme discret est désormais sous le feu permanent des projecteurs. Il s’en accommodera d’autant plus facilement que libéré de toutes contraintes financières, il va pouvoir se lancer à la chasse aux trophées les plus prestigieux avec l’envie de marquer l’histoire et collectionner les victoires. Le jeune homme a les dents longues
ITW - Part I
Julien, pour ceux qui ne te connaitraient pas encore, pourrais-tu nous parler un peu de toi ?
Bonjour, alors j’ai 27 ans depuis le 19 janvier, je vis à Taipei à Taiwan. J’ai commencé le poker à l’âge de 14 ans dans un club associatif. Je joue sérieusement depuis quatre ans, depuis un an et demi principalement en cash game high stakes. Je suis né dans le 93, d’origine corse, mais je suis en réalité un vrai continental ayant grandi à Paris.
Comment se sent-on après avoir terminé 2e d’un des plus gros tournois de l’année, plus riche de 2,5 millions d’euros ?
Plutôt bien ! On voit la vie différemment, avec moins de problèmes, moins de pression. La principale différence que je vois désormais c’est de ne plus sentir ce besoin de chercher la bonne table de cash game au quotidien, je me sens plus libéré, mais aussi plus accompli. Je me sens très heureux en fait.
Comment as-tu vécu ce tournoi ?
C’est assez étonnant. J’étais en coloc dans ma chambre d’hôtel à l’Atlantis avec mon meilleur ami et le soir et je vivais ça de manière très tranquille. J’avais juste l’impression de ne pas avoir trop mal joué et d’avoir de la chance. Je ne me suis rendu compte des enjeux qu’à 20 left en commençant à recevoir de nombreux messages et de plus en plus de demandes d’interviews ou de sollicitations diverses. A partir de la fin du Day 4, puis de la table finale, là, j’ai commencé à me dire que c’était le One Time de ma vie. Avant je n’avais vraiment pas conscience de ce qui se passait.
Pourtant tu commences à être habitué à ces deep runs avec ton exceptionnelle année 2018 ?
Pas vraiment parce que je ne dispute que peu de tournois, même cette année 2018 j’ai joué maximum une vingtaine de tournois, en réalité j’ai vraiment run good. Je ne suis pas du tout habitué à tout ça, jusqu’à présent, mes journées de cash game étaient à l’inverse toutes les mêmes, alors que l’ascenseur émotionnel que peut être le tournoi c’est nouveau. Quand j’ai gagné mon bracelet, là encore j’avais vraiment réalisé ce qui se déroulait qu’en arrivant en table finale. Avant t’essaies juste de jouer le mieux possible et tu pries. Tu pries pour rester dans le tournoi.
Un bracelet WSOP ça représente quoi pour toi ?
C’est clairement un rêve de gamin ! Il y a le rêve, mais aussi l’accomplissement d’un vrai objectif. Je me suis toujours dit que je n’arrêterai pas le poker tant que je n’aurai pas gagné un bracelet. Je me suis intéressé au poker pour ça, en regardant le WPT sur Canal ou les WSOP commentés par Bruno Fitoussi. Je me disais « Ouah, je rêve d’être là ! ». C’est un rêve de gosse qui s’est accompli. Depuis deux ans, ça se passe vraiment très bien en cash game, du coup je pouvais me focaliser sur autre chose et bien sûr c’était sur ce trophée. Peu importe quel bracelet, mais j’en voulais un. Et ça reste le plus beau jour de ma vie.
Qu’est-ce qui va changer pour toi avec ce palmarès et plus encore cette bankroll ?
Je vais pouvoir consacrer moins de temps au cash game, je vais pouvoir du coup voyager un peu plus et participer davantage au circuit. J’aurai aussi la possibilité de disputer des tournois plus chers même si mon but n’est pas de jouer tous les 50K ou les 100K, mais plutôt de les sélectionner. Il me sera plus facile de vendre des parts et ainsi tenter de collectionner les trophées. Je crois que c’est le véritable changement, j’ai envie de réaliser mes rêves.
Tu es dorénavant devant des joueurs comme Ludovic Lacay ou Bruno Fitoussi en termes de gains, à la 10e place nationale, tu as des objectifs en la matière ?
Non pas du tout. Après quand je vois que je suis passé devant Ludovic Lacay, Bruno Fitoussi ou d’autres grandes stars du poker français, ça m’émerveille ! Même si c’est principalement dû à un One-Time avec ces 3 millions de dollars, soyons objectif. Je suis néanmoins certain que je vais gagner d’autres tournois dans le futur et que j’y serai vraisemblablement parvenu même sans ce résultat-là, enfin je l’espère, mais me je me sens vraiment honoré. Il m’arrive souvent de me dire : mince ce n’est pas ma place.
Puisque l’on parle de joueurs de premier plan, quelles sont tes références ou tes sources d’inspiration, françaises et étrangères ?
Je suis fan de Brian Rast, il maîtrise parfaitement au moins une quinzaine de jeux, donc quasiment toutes les variantes. J’aime aussi la personnalité du gars qui se remet toujours en question, qui cherche toujours à apprendre et qui voit chez l’autre non pas la faiblesse mais la qualité dont il peut s’inspirer. Il est toujours en quête du meilleur de l’autre. Je le joue régulièrement et à chaque fois ça me fait quelque chose de l’avoir à ma table. En terme de respect, même je suis peut-être moins fan humainement, True Taylor ou Scott Seiver sont par exemple des joueurs remarquables. Ces joueurs, c’est une autre galaxie.
Quel est le meilleur joueur que tu as rencontré ?
Le meilleur joueur que j’ai affronté et que j’affronte très régulièrement en cash game high stakes, notamment en live à Macao, c’est Jacob Rasmussen. C’est vraiment un excellent joueur GTO, il est incroyable de rigueur. Il m’impressionne véritablement. Il n’est pas aussi complet que ceux que je viens de citer, mais pour moi c’est le meilleur joueur de cash game au monde. Surement, le joueur pour lequel j’ai le plus de respect en terme de technique.
Tu joues à Macao ? C’est ton activité principale ?
Je joue surtout à Macao, mais j’ai aussi des parties à Taiwan, en mixed games. Je passe également quatre ou cinq mois de l’année à Vegas, principalement au Bellagio dans la Bobby’s room.
Tu joues en cash game ? Quelle variante ?
Je joue principalement au Hold’em en Asie car ils ne jouent pas aux variantes, sauf à Taiwan ; en revanche à Vegas j’essaie de jouer un maximum en mixed games, même si c’est très dur parce que tu n’as pas de demi-mesure, soit tu joues la 200/400 (Limit), soit tu dois jouer la 5000/10.000, la différence entre les deux est immense. De temps en temps une 600/1200 ouvre et là je me précipite pour la jouer, mais il est évident que je ne peux me permettre de jouer la 5000/10.000, ce qui est beaucoup trop pour ma bankroll. S’il n’y a pas de jeux intéressants en mixed games, je me rabats sur le NLHE. Voilà comment je m’organise en fonction de l’offre disponible là où je me trouve.
Comment est la vie à Taipei en général et pour un joueur pro en particulier ?
La vie est géniale, très pratique. Par exemple, tous les commerces sont ouverts 24h sur 24h, ce qui est super quand tu es joueur de poker. Les gens sont très accueillants, ils parlent en majorité anglais, la nourriture est excellente. Il y a beaucoup de points positifs et notamment le fait d’être seulement à 1H30 de Macao, ce qui super. Parmi les autres avantages, on peut jouer sur PokerStars.com et au niveau fiscal, l’imposition est d’un peu moins de 9%. Si tu aimes les belles choses de la vie et n’es pas un grand fêtard, il n’y a que des avantages à vivre à Taiwan.
Propos recueillis par David Poulenard - janv 2019