TRASH-TALK : quand les réflexes commerciaux tuent la compétition


TRASH-TALK : quand les réflexes commerciaux tuent la compétition

Dans cet article, Arnaud Peyroles s'attaque aux tournois Deepstacks. Il milite pour que les phases finales ne soient pas un concours de coin-flips et permettent aux joueurs de s'exprimer...


LivePoker donne la parole à une personnalité du poker qui a quartier libre pour secouer le petit monde des petits verts. Patron du groupe de com Idéactif, ancien vainqueur des 24 heures de Spa ayant troqué la combi de pilote contre celle de joueur de poker en 2011 (avec plus de 400.000 € de gains), Arnaud Peyroles n’a jamais eu la langue dans sa poche. Dans ce papier extrait du LivePoker n°133, il va à contre-courant de la tendance générale et explique pourquoi trop de tournois deepstacks nuit au poker. 

Quand les réflexes commerciaux tuent la compétition

Aujourd’hui pour réussir à attirer des joueurs, le cocktail gagnant, c’est la promesse d’un prizepool énorme, d’un gros stack de départ, de niveaux longs et de re-entries à volonté. Quoi de plus réjouissant en effet que de s’assoir à une table de tournoi avec 500 big blinds devant soi, des niveaux d’une heure, une structure magnifique à évolution lente où l’on ne sautera pas les paliers. C’est la garantie qu’on va pouvoir jouer avec de la profondeur, jouer des mains sans risquer de sauter ou de se retrouver short stack trop vite. Bref, on en a pour son buy-in. On peut tout à la fois tenter des moves à haut risque ou au contraire dormir sur ses jetons ; bienvenue dans un monde de confort où tout paraît possible ! Après 10 heures de jeu sans mauvaises rencontres, mais sans beaucoup de réussite, on peut avoir sauvé 30 ou 40 bb, rebondir de manière spectaculaire à coup de coin flips et se retrouver avec un énorme tapis. Et puis, tout en savourant son plaisir de jouer, on constate que, déjà au 6e level, 20 % du field a sauté, et pas uniquement parce que des rois ont rencontré des as et que tout est parti à tapis pré-flop avec 500 bb...

Il y a toujours des joueurs - et j’en fais parfois partie - qui avant de s’assoir à une table savaient pourtant que ce jour-là ils avaient mieux à faire de leur vie que jouer au poker, mais qui sont quand même venus faire un don amical à leurs amis. Bref on est jamais à l’abri de jouer parfois comme d’énormes fishs qu’aucune structure ne protégera ! Quoi qu’il en soit, arrive toujours ce moment avant, ou parfois même après la bulle où quoi que l’on fasse la marge de manœuvre se réduit considérablement et ne laisse plus aucune alternative dans les décisions à prendre. On est presque surpris tellement on s’était habitué à ce confort douillet et ce faux rythme de jeu ponctué de pauses entre potes durant lesquelles on refait le match. Fini le temps qui dure longtemps. Adieu la stratégie, le style plus ou moins agressif, la logique se met à commander. De 500 BB au départ, on est énorme avec 80, dans la moyenne avec 30 et comme trop souvent en réalité on doit composer avec 12. Mais voilà, deux niveaux plus tard, sans coups gagnants, on est dehors ou très short. Le jeu se serre définitivement et aboutit au fait que les joueurs les plus chanceux mais aussi les plus méritants, les plus doués, ceux qui ont survécu, se retrouvent en demi ou en table finale pour ne jouer le plus souvent qu’à une variante de l’Ultimate poker, du Black Jack ou de la Bataille. Et même assisté par les algorithmes du jeu GTO, ICM, ou par une intuition démoniaque de la lecture du sabot, le jeu d’adresse mentale laisse inexorablement sa place à un jeu de table de plus dans le casino. Au revoir la compétition, bonjour la chance !

"Un tournoi, qui du début à la fin se jouerait sous pression, permettant chemin faisant, d’accroître sa profondeur de tapis pour permettre le déploiement d’un jeu plus subtil entre des compétiteurs a priori plus méritants atténuerait la variance et augmenterait considérablement la crédibilité sportive du poker de tournoi."

Et il ne peut en être autrement, la politique des deepstacks et des re-entries est devenue tellement populaire qu’elle inonde désormais la plupart des tournois et amène souvent une conclusion bâclée par un jeu simpliste ou le mérite est écrasé par la chance. Et comme il est déjà 5 heures du matin et que le cercle ou le casino doit fermer, qu’il n’est pas question de reprendre le lendemain, les deals étant interdits et parfois frustrants de toute façon, ça finit invariablement en flashs. Un tournoi, qui du début à la fin se jouerait sous pression, permettant chemin faisant, d’accroître sa profondeur de tapis pour permettre le déploiement d’un jeu plus subtil entre des compétiteurs a priori plus méritants atténuerait la variance et augmenterait considérablement la crédibilité sportive du poker de tournoi.

Je vois pour y parvenir deux mesures de base : débuter avec 100 ou 150 Big blinds est amplement suffisant. Offrir 10.000 ou 15.000 jetons avec un premier level à 50/100, permettre un re-entry sur 8 niveaux atténuant l’effet frustrant de la variance négative et des rencontres inopportunes entre premiums trop tôt dans le tournoi, rendrait l’intégralité de l’épreuve intéressante. Et surtout, dans les phases finales, il est impératif de garantir un tapis moyen à 25 ou 30 bb, voire plus, même s’il faut pour cela doubler ou tripler un niveau. Le temps que l’on gagne en début de tournoi en ayant une élimination linéaire du field reviendrait ainsi au profit des finalistes bien obligés d’attaquer pour emporter la décision. Alors je sais que beaucoup de joueurs de poker sont des gambleurs dans l’âme, que le métier des casinos est de proposer des jeux de hasard et qu’au bout du compte, tout le monde s’y retrouve puisqu’il y aura toujours un gagnant. Pourtant, si le poker de tournoi veut se développer et gagner en crédibilité, peut-être serait-il bon de ne pas trop encourager la surenchère de niveaux et de stacks en apparence infinis sans se préoccuper des phases finales où le talent consiste à remporter quatre ou cinq coups consécutifs en doublant la mise à chaque fois. Exactement comme à une table de Black Jack en somme !

Concernant l’inévitable frustration pour beaucoup de joueurs de sauter trop vite d’un tournoi, qu’est ce qui empêche les organisateurs de lancer un tournoi toutes les deux heures sur un principe identique ? Tout le monde jouera tout autant et cela laissera la part belle aux phases finales qui seront plus nombreuses elles aussi puisque réunissant plus de joueurs sur plus de tournois. Çela atténuerait par ailleurs la question épineuse du payout si décriée par les joueurs en multipliant les finalistes de tournois et une répartition plus équitable des millions collectés à l’occasion d’un festival. Plus de tournois, plus de finalistes et des phases finales de meilleure qualité, qui s’en plaindrait ?

Par Arnaud Peyroles

Crédit photo : Tomas Stacha/WPT

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