PSYCHO : Traverser un bad run sans (trop de) fracas


PSYCHO : Traverser un bad run sans (trop de) fracas

Rémy Epinoux va vous donner les clés pour que votre prochain bad run ne hante pas vos nuits…


Rémy Epinoux, coach mental réputé dans le petit monde du poker français, intervient régulièrement dans notre rubrique « Psychologie » pour aider les joueurs de poker à dompter quelques-uns des problèmes mentaux qui pourraient impacter leur jeu et leur résultats. Dans cet article, Rémy va vous donner les clés pour que votre prochain bad run ne hante pas vos nuits…
 

Sentiment d'injustice, frustration, dégoût ou encore colère... nombreuses sont les réactions émotionnelles qui accompagnent généralement le bad run. Et pour cause, la traversée d'un bad run est souvent psychologiquement violente pour un joueur de poker car il est synonyme de souffrances dans beaucoup de cas. Mais avant de voir plus en détail les conséquences d'un bad run sur votre mental et les méthodes pour se protéger émotionnellement, voyons tout d'abord ce qu'est communément appelé un bad run.

 

Le bad run est le mot employé pour désigner une période, pouvant se mesurer en temps, en nombres de mains jouées ou en nombre de jeux joués, durant laquelle le joueur rencontre une variance principalement négative. 

 

Cette variance négative va se rencontrer à plusieurs niveaux. Ainsi être en bad run va souvent signifier être davantage confrontés aux bad beats, aux setups défavorables et aux suckouts river que d'ordinaire. Ce sont là les effets les plus visibles de la variance négative. 

 

Mais la variance négative se retrouve également dans des aspects du jeu moins visibles. Dans la mesure où le joueur averti joue généralement contre un joueur et une range de mains, être en bad run va également signifier se retrouver, plus souvent que ce qui est attendu, face à la portion supérieure de la range de l'adversaire dans les situations de bluff, en value ou en hero call. Et ces effets moins visibles ont un impact direct sur le mental comme nous le verrons plus loin.

 

Ainsi, le bad run peut coûter cher, très cher. Si la traversée d'une mauvaise passe pourra rendre les meilleurs joueurs breakeven sur une période de temps donnée, ce n’est pas le cas pour pour beaucoup de joueurs corrects et gagnants sur le long terme pour qui le bad run sera synonyme de pertes significatives. On parlera alors de downswing pour évoquer la perte de plusieurs caves causée par un bad run. Les termes de bad run et de downswing sont d'ailleurs souvent confondus à tord, le second n'étant qu'une conséquence probable du premier.

 

Les pertes causées par un bad run sont par ailleurs souvent gravement accentuées par un mental qui se dégrade au fil du temps : plus on perd à cause de cette "fichue variance négative", plus les émotions négatives sont présentes et plus le jeu en pâtit : on est en plein tilt ! 

 

Impacts du bad run sur le mental 

 

On le sait, traverser un bad run, ça fait mal, souvent très mal. On a le sentiment que plus jamais on ne ressortira gagnant d'une session, on voit sa bankroll fondre à vue d'œil, on se demande quand est-ce que cela s'arrêtera, on a même parfois l'impression de pouvoir prédire les cartes à venir qui vont nous faire perdre le coup. A force d'accumuler les bad beats, set-ups et autres suck-outs, à un moment donné les émotions négatives sont trop importantes et c'est le fameux tilt qui s'installe et impacte de manière négative la qualité de votre jeu. Il s'en suit une sorte de cercle vicieux : plus la variance négative s'acharne, plus le tilt s'aggrave, plus votre jeu se dégrade, plus les pertes s'accumulent, plus vous tiltez, plus vous vous rendez compte que vous faites des erreurs, plus vous tiltez etc... et ce cercle vicieux peut perdurer sur plusieurs sessions de jeu. 

 

Cet état causé par le bad run est une sorte de tilt d'accumulation qui se construit sur plusieurs jours, semaines, mois voire années. Il faut comprendre que notre système émotionnel fonctionne comme un système de réservoirs dans lesquels les émotions s'accumulent. Si ces réservoirs n'ont pas le temps de se vider entre deux sessions grâce par exemple à une session positive ou une longue période sans jeu, vous commencerez la session avec des niveaux d'émotions négatives déjà élevés et il vous faudra moins de coups perdants que d'habitude pour que vos émotions négatives n'impactent votre jeu. Ainsi, plus les sessions négatives s'enchaînent et plus vous tiltez rapidement et violemment dès que les premiers signes du bad run se montrent.

 

Les émotions et sentiments en jeu dans ce tilt lié au bad run sont divers : 

 

Sentiment d'injustice : parce que vous avez l'impression que ce qui vous arrive est injuste car vous devriez être gagnant et qu'au contraire ce sont les mauvaises décisions des adversaires qui sont récompensées.

Frustration et colère : parce que ce n'est pas normal de perdre autant en prenant les bonnes décisions !

Dégoût et impuissance : car le hasard semble s'acharner sur vous et que vous ne pouvez rien y faire !

 

Ces émotions négatives vont progressivement désactiver nos fonctions cognitives conscientes (nos capacités de raisonnement, de réflexion, d'analyse, d'anticipation, de mise en place d'une stratégie...) et ce sont alors ces émotions négatives qui vont dicter nos actions de jeu. Qui n'a jamais eu l'envie de rentrer dans un coup, non pas parce que la force de la main le suggérait, mais pour se venger d'un vilain qui nous aurait infligé un bad beat quelques mains auparavant ? Ou pour se refaire ? Ce genre d'attitude est dictée par les émotions et non la raison et c'est précisément ce qu'il faut éviter au poker.

 

Par ailleurs, le bad run entraine généralement une perte de confiance en son jeu, du fait notamment de cette variance négative moins visible évoquée plus haut. A force de tomber le plus souvent sur la portion supérieure de la range de l'adversaire, on en vient à perdre confiance et à dérégler consciemment ou inconsciemment un jeu normalement gagnant. 

 

Ainsi, aux pertes causées par la seule variance négative viennent souvent s'ajouter des pertes causées par un tilt non maîtrisé.


Adoptez un mental à l'épreuve du bad run

 

Si vous ne pouvez pas influer sur la variance négative, vous pouvez tout de même faire en sorte de réduire vos pertes en limitant au maximum les pertes dues au tilt induit par le bad run.

 

Voici ci-après quelques conseils et méthodes à suivre pour limiter la casse et rester le plus serein possible pendant un bad run.


Respectez une gestion de bankroll rigoureuse

 

Un bad run est la plupart du temps accompagné d'un downswing et le non respect d'une gestion de bankroll rigoureuse vous expose à la perte pure et simple de votre bankroll. Par ailleurs, ne pas savoir redescendre de limite aux bons moments aura des impacts sur votre mental et vos émotions. En effet, perdre une cave sur un bad beat vous affectera moins si cette cave représente 2% de votre bankroll que s'il elle n'en représente 5 ou 10%. N'ayez par conséquent pas honte de redescendre de limite pour respecter le nombre de caves/buy in minimum par limite que vous vous êtes fixé.


Visualisez la session à venir

 

Vous êtes en bad run et vous le savez, et même si vous espérez que votre prochaine session vous sortira de cette mauvaise passe, il y a une probabilité non négligeable pour que le bad run continue. Le mieux est de s'y préparer mentalement afin de pouvoir continuer de jouer votre meilleur jeu quelque soit la variance. Pour cela, installez-vous dans un endroit calme, fermez les yeux, prenez quelques instants pour vous relaxer et visualisez-vous de l'extérieur, en train de jouer votre session. Imaginez que la session se passe mal et que malgré cela vous restiez calme et serein et déployiez votre meilleur jeu. Imaginez même qu'une bulle puisse se former autour de vous pour vous protéger émotionnellement de la variance négative, comme si les bad beats et autres set-ups ne pouvaient plus vous atteindre et rebondissaient sur la bulle. Vivez maintenant la scène de l'intérieur et constatez comme cette bulle vous protège et comment vous pouvez rester serein malgré le mauvais déroulement de la session. Une fois que vous vous sentirez totalement serein et protégé, vous pourrez alors rouvrir les yeux et entamer votre session de jeu.

 

-La respiration 7/11

 

La respiration 7/11 va vous permettre de faire redescendre vos émotions négatives pendant le jeu pour peu que celles-ci ne soient pas trop importantes. Elle consiste à inspirer sur 7 temps et à expirer sur 11 temps. Le fait d'expirer sur une durée plus longue que pour l'inspiration aura pour effet automatique de vous relaxer et de vous détendre. Il est préférable d'effectuer cette respiration dès que les premiers signes d'une émotion négative apparaissent. Vous pouvez coupler cette respiration à une respiration abdominale.


-Mise en place de croyances positives : un travail à plus long-terme

 

Le dernier axe de travail va se déployer sur le moyen/long terme et va privilégier un changement pérenne. Il va consister à mettre en place des croyances positives au niveau inconscient afin de contrôler l'apparition d'émotions négatives. Pour mieux comprendre l'intérêt d'un tel exercice, prenons quelques instants pour expliciter brièvement les fonctionnements de nos émotions.

 

Nos émotions se déclenchent ou pas suite à un stimulus en fonction d'un référentiel interne propre à chacun. Ce référentiel interne est entre autre constitué de nos schémas de pensée et de nos croyances (nous ne parlons pas ici de croyances religieuses). Les croyances sont des généralisations de nos expériences. Plus précisément, il s’agit de généralisations à propos de relations entre plusieurs expériences. 

 

Ce qui va poser problème au poker et plus généralement dans notre vie de tous les jours, ce sont les croyances dites limitantes, c'est-à-dire les croyances, la plupart du temps fausses, qui vont nous empêcher de nous épanouir, d'atteindre nos objectifs voire de fixer des objectifs. Sans entrer davantage dans les détails, on peut dire que ces croyances limitantes, telles des cordes sensibles,  sont souvent à l'origine de nos émotions négatives.

 

Si vous avez l'habitude de tilter en période de bad run, c'est que vous nourrissez sans doute au fond de vous une ou plusieurs de ces croyances limitantes concernant la variance, que vous en soyez conscient ou pas :

 

o J'ai moins de chances que les autres au poker / dans la vie.

o Le sort est contre moi. 

o Etant gagnant sur le long-terme je devrais ressortir gagnant de mes sessions.

o C’est injuste de perdre autant à cause de la variance alors que je suis un joueur gagnant.

o Les fish/mauvais joueurs sont censés repartir de la table en étant négatifs.

o Quand le coup part à tapis et que je suis devant je suis censé remporter le pot.

o Autant de malchance est impossible ! 

 

La stratégie pour contrer ces croyances limitantes qui vous font du tord va consister en la mise en place d'un certain nombre de croyances positives qui vont venir écraser ces croyances limitantes. L'objectif de la démarche est d'automatiser un lien inconscient entre les éléments constitutifs du bad run (bad beats, set-ups...) et ces croyances positives, une sorte de conditionnement.

 

Pour ce faire, il vous faut dans un premier temps vous constituer une fiche contenant les croyances positives à automatiser. Je vous propose dans l'encadré quelques croyances positives pouvant être automatisées s'agissant du bad run, mais vous pouvez très bien en imaginer par vous-même.

 

Par la suite, il vous faudra, pendant le jeu, relire toutes les croyances positives de la fiche à chaque fois que vous serez confronté au bad run : bad beat, set-up, suck-out... tout ce qui vous prouvera que vous êtes toujours en bad run sera bon pour vous faire relire vos croyances positives, et ce, qu'il y ait déclenchement d'émotions négatives ou pas.

 

Ce travail est à effectuer sur plusieurs sessions (cela va dépendre de chacun). Ainsi et à force de répétition, un lien inconscient va se créer entre toutes ces situations et ces croyances positives et viendra écraser les anciennes croyances limitantes. Vous constaterez qu'au fil des sessions et confronté au bad run, les émotions négatives se déclencheront de plus en plus tard et seront  de moins en moins intenses jusqu'au moment où vous pourrez jouer une session en période de bad run sans qu'aucune émotion négative ne se manifeste. Et oui, c'est possible, avec un travail sérieux et régulier.

 

Enfin, tant que vous n'êtes pas en mesure de contrôler vos émotions négatives et en attendant que le travail sur la mise en place des croyances positives ne porte ses fruits, le mieux reste encore de quitter la session dès que vous sentez que vos émotions deviennent trop présentes. Il vaut mieux ne pas jouer que de jouer sous le coup d'émotions négatives.

 

Par Rémy Epinoux, coach mental professionnel sur mental-hurlant.com

 

Bio

 

Rémy Epinoux est hypnothérapeute et coach mental pour sportifs depuis maintenant neuf ans. Adepte de la PNL (Programmation Neuro-Linguistique) et de l’hypnose ericksonienne, il  accompagne au quotidien particuliers et sportifs dans l'atteinte de leurs objectifs de développement personnel (angoisses, phobies, stress...) ou de performance sportive (confiance en soi, gestion de ses émotions, dépassement des freins à la performance...). Egalement passionné de poker, il a développé au fil des années une expertise particulière dans le coaching mental des joueurs de poker et s’est notamment occupé de quelques-uns des meilleurs joueurs français comme Sylvain Loosli, Valentin Messina, Basil Yaïche, Julien Brécard ou encore Gaëlle Baumann. Pour ses sessions de coaching mental poker qui se déroulent généralement par Skype, Rémy alterne entre séances d'hypnose/PNL et discussions avec mise en place d'exercices à effectuer entre chaque séance. Il aide entre autres les joueurs à contrôler leurs émotions quelle que soit la variance et ainsi à jouer leur A-game le plus longtemps possible.  Ses méthodes permettent d'obtenir des résultats rapides et d’augmenter considérablement les performances du joueur. Vous trouverez davantage d'informations spécifiques à son activité de coach mental poker sur son site mental-hurlant.com. Vous pouvez également retrouver des informations plus générales sur l'hypnothérapie et le coaching mental pour sportifs sur son site www.hypnotherapie-coaching.fr

 

Article extrait du livepoker n°85 

 

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