TECHNIQUE : Comment dépouiller les fishs


TECHNIQUE : Comment dépouiller les fishs

Comment prendre le maximum aux quelques « poissons » qui peuplent les tables de cash game online.

Infatigable grinder, Vuong Than Trong affronte régulièrement les meilleurs joueurs français et étrangers sur le Net. Ceux qui ne le craignent pas le respectent, à l’image de Viktor « Isildur1 » Blom, qui a déjà eu maille à partir avec le jeune français. Mais notre coach a aussi l’occasion de jouer avec des joueurs très faibles… Il va ainsi vous expliquer comment prendre le maximum aux quelques « poissons » qui peuplent les tables de cash game online.

 

Lorsque l’on fait face à des adversaires terriblement faibles techniquement, il arrive souvent d’assister à des moves assez étonnants : des tailles de mises disproportionnées, des fréquences également ahurissantes ou des relances improbables... À travers ces deux mains jouées sur internet face à ce type de joueurs récréatifs, je détaillerai mon thinking process, ou du moins le peu de réflexion nécessaire pour arriver à décaver ces joueurs.

 

Je vous préviens que ces spots sont davantages pour le spectacle que pour des conseils techniques…

 

Première main : Jouer sur le côté gambleur

 

Contexte : cash game online

Variante : No Limit Hold’em Short-Handed

Blindes : 2€ / 4€

Mon tapis : 628€

Tapis effectif : 628€

Ma position : Bouton

Ma main :    

 

 

Nous sommes cinq joueurs à table, la plupart assis en raison du joueur faible qui se trouve en grosse blinde dans cette main : une énorme baleine qui a accumulé carte improbable sur carte improbable pour se retrouver avec plus de 1000€ de tapis. À son palmarès, deux quintes ventrales touchées à la river pour des pots importants, et des doubles paires avec des mains que l’on ose à peine regarder. Les joueurs passent jusqu’à mon bouton, que je vais ouvrir dans un grand élan de joie, impatient de jouer un flop face à cet adversaire en rush complet.

 

Je décide de relancer à 3 blindes avec mon petit   . La petite blinde passe et bien entendu la grosse blinde défend, comme au moins 90% des mains jusque ici;

 
FLOP : {3t}       
 

Jackpot! Je ne peux rêver un meilleur flop puisque je possède les nuts ultimes avec ma flush, pour le moment bien entendu, puisqu’une doublette peux changer la donne. Mais vu le spécimen, je ne méfierais même pas si une telle turn venait à tomber.

 

Mon opposant checke, et je décide de miser 18€. Face à ce type de joueur, je peux varier mes sizings en fonction de ma main et de ce que je souhaite lui faire croire, mais je ne veux pas non plus l’effrayer. Il paie rapidement et nous allons jouer une turn.

 

TURN : {3t}     -  

 

J’aime beaucoup cette carte, elle touche pas mal la range de mon adversaire, et le connaissant s’il possède une main comme T9/T8,  8x ou même 76 il ne lâchera pas le pot. Il s’agit maintenant de trouver le montant adéquat pour extraire le maximum de jetons et construire un pot pour la river. Vu son profil très calling station, je décide de miser 54€ après son check, premièrement pour les raisons évoquées, mais aussi pour jouer sur un deuxième niveau de pensée avec lui, et le laisser croire que je cherche à le sortir du coup par l’intimidation. Son côté gambleur prendra le dessus et il ne pourra s’empêcher de payer, même avec une main faible. De toute manière, s’il passe sur cette mise, je ne remporterais pas un gros pot. Mais il suit…

 

RIVER :  {3t}       -  

 

Cette carte est plutôt satisfaisante sans l’être : s’il possède un trèfle je suis certain qu’il ne pourra s’empêcher de passer et je pourrais donc placer une énorme mise de valorisation. Au contraire, s’il possède deux paires, il pourrait maintenant être enclin à passer et je manquerais une dernière street de value.

 

Sauf que l’improbable arrive : mon adversaire décide de prendre l’initiative en cliquant sur la mise ¾ pot, soit 128€. Je fais face à une situation délicate ici : bien que mon adversaire semble avoir énormément de lacunes à ce jeu, il doit certainement connaître la valeur des combinaisons des mains. Il ne faut donc pas le sortir du coup s’il possède un trèfle moyen, mais il faut extraire un maximum de jetons. J’estime qu’il passera tous ses bluffs et ne paiera qu’avec une couleur au minimum. Puisqu’il a décidé de me payer deux fois sur de grosses mises, je pense qu’il possède un trèfle haut, au moins le roi ou le valet.

 

Je décide de placer une relance à 300€, ce qui devrait l’inciter à vérifier si sa main est assez forte pour remporter l’abattage.

 

À ma grande surprise, et j’imagine à celle de tous les joueurs présents qui ont regardé le coup, mon adversaire me paie et retourne    pour une quinte touchée à la turn, qui prend le lead river sur un quatrième pique lorsqu’elle ne vaut plus grand chose, et qui en plus de ça paie la relance.

 

Il est très rare de voir ce genre de coup inattendu, toujours très drôle lorsque l’on empoche le petit pactole.

 

Je me demande encore si une relance plus forte m’aurait permis de remporter davantage ou non….

 

Deuxième main : “Fastplay” sa main

 

Contexte : cash game online

Variante : No Limit Hold’em Short-Handed

Blindes : 2€ / 4€

Mon tapis : 544€

Tapis effectif : 622€

Ma position : Middle

Ma main :   

 

 

Dans cette main, je fais face à une baleine. Le terme est réellement approprié puisque le joueur en question a pour habitude d’ouvrir toutes les mains, à hauteur d’un minraise, et de payer n’importe quelle sur-relance par la suite : il ne se couche jamais avant le flop. De plus, sur les nombreux boards qu’il a pu jouer pour le moment, il ne semble pas enclin à passer dès qu’il possède un semblant d’équité : que ce soit un tirage ventral ou l’espoir de toucher une seconde paire ou un brelan, notre ami ne se décourage pas malgré le peu de possibilités d’amélioration possible pour ses mains. Des overcards au board font également partie des mains candidates pour « pédaler ».

 

Face à ce joueur, il s’agit de « fastplay » ses mains, c’est à dire que même avec le jeu max, sans crainte d’amélioration adverse, il faut miser le maximum aussitôt que possible puisqu’il ne semble pas décidé à se coucher.

 

Suite à des miracles multiples, le joueur en question a monté un tapis supérieur au mien, et nous jouons environ 150 blindes à ce moment de la partie. Face à sa mini relance UTG, je décide de le 3-bet en position avec   , soit pas loin des nuts contre lui. Face à un joueur régulier je me serais contenté de payer et de jouer un flop en position, mais ici je cherche à faire grossir le pot avec une main capable de toucher des top paires au flop et avec lesquelles j’espère ne pas rencontrer d’accident.

 

Tous les joueurs passent, et mon client décide de compléter. Le contraire m’aurait surpris...

 

FLOP :      

 

Voilà un commencement de flop, avec deux overcards et un tirage ventral seulement. C’est aussi un board riche en tirages quintes. Je suis à peu près sûr de ne pas avoir de fold equity pour le moment, puisque mon adversaire possède deux cartes aléatoires.

 

Je vais jouer de manière très exploitante ici : si je fais face à un joueur régulier, je vais devoir choisir comment jouer ma range globale, et quels sont les sizings à adopter pour telle ou telle partie. Cependant cette stratégie n’est d’aucune utilité face à cet adversaire précis, puisqu’il ne prête aucune attention à ma manière de jouer, il ne regarde que ses cartes. N’ayant rien touché, j’ai pour objectif soit de checker et prendre une carte gratuite, soit de miser afin de faire grossir le pot sachant que même face à Jx je possède pas mal de chances de l’emporter. Et sa range contient bien plus de mains inférieures à Jx, qui vont continuer à payer jusqu’à la river.

 

Suite au check de mon adversaire, je place une mise de 24€, pour les raisons évoquées ci dessus, mais également pour garder l’initiative, puisque ce genre de joueur a pour habitude de miser instantanément « POT » lorsque l’on montre de la faiblesse, ce qui serait un désastre pour ma main si je n’améliore pas à la turn.

Il paie sans hésiter!

 

TURN :       -  

 

Bingo! Je possède la meilleure paire du tableau, même s’il affiche des quintes possibles. Bien que la probabilité ne soit pas nulle, j’exclue presque totalement les fréquences de quintes chez mon adversaire, puisque je bloque KT, mais aussi puisqu’il joue environ 90% des mains preflop et une bonne quantité jusqu’à la turn. 

 

Il s’agit maintenant de value bet aussi cher que possible, sans craindre de l’effrayer, car mon client est très collant jusqu’à la river. Il checke à nouveau et je décide d’envoyer une bonne mise de 156€, soit un overbet qui me semble justifié.

 

Apparemment, la décision est plus dure face à cette mise colossale, il faudra quelques secondes de réflexion à notre ami avant de mettre ses jetons dans le pot pour jouer la dernière street.

 

RIVER :         -  

 

Une river plutôt ok : je ne redoute que très peu les 87, et si mon adversaire possédait une meilleure main, cette river ne changerait rien. Il check à nouveau assez rapidement, et la décision me revient. 

 

Pour le moment, sur les quelques centaines de mains jouées à la table, il a été très collant preflop, flop et turn, mais ses fréquences de call river avec la main perdante étaient bien plus basses. Toujours assez sûr de posséder la meilleure main, il me faut choisir la décision qui me rapportera le plus. S’il possède une main comme JT, il ne doit pas être confiant pour l’abattage, surtout que ma forte mise a sûrement dû le décourager s’il n’a pas complété son tirage quinte + deuxième paire.

 

Une petite mise d’un quart du pot me permettrait d’obtenir de la value supplémentaire assez fréquemment, mais je choisis de la jouer de façon plus marginale en ne misant que 4 €, soit une grosse blinde… J’ai pu remarquer que mon adversaire était un joueur très agressif lorsque l’on fait preuve de faiblesse : quand on check, sa réponse était une mise immédiate à hauteur du pot, quelques soient ses cartes. J’estime interpréter de la faiblesse en misant de cette manière contre ce profil, et mon adversaire ne me fait pas mentir en relançant après quelques secondes de réflexion, en cliquant au hasard j’imagine sur le curseur de mise, pour un montant de 355€.

 

Sans grande crainte, je complète sa relance, pensant ne pas avoir de value supplémentaire.

 

Mon piège s’est refermé, et je vois ma proie retourner un {Tc} , une belle main preflop, qui possédait bottom pair et un tirage quinte bilatéral. Comme prévu, mon overbet turn m’a permis de créer le pot que je le souhaitais, et ma mini-mise river a donné envie à vilain d’effectuer un move extravagant.

 

Toute la main a été jouée de manière non optimale face à un joueur régulier, et toutes mes décisions sont basées sur le profil de cette baleine dans l’optique de l’exploiter au maximum, en passant par ses lacunes techniques, ses habitudes dans les « betting paterns », et dans mes reads et notes sur lui.

 

Par Vuong Than Trong, coach et jouer professionnel

 

Extrait du Livepoker n°108 - Janvier 2017

 

Crédit photo : Pixar

 

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