PAROLE DE CROUPIER II : savoir prendre la bonne décision
Croupier avant de devenir floor en 2013, Olivier Franceschi a partagé avec nous certaines de ses expériences.
Après Jeremie Slahdji, c'est au tour d'Olivier Franceschi de partager ses histoires. Croupier de 2009 a 2012 sur les principaux circuits europeens avant de devenir floor depuis 2013, Olivier Franceschi a partagé avec nous certaines de ses nombreuses anectodes vécues sur les plus prestigieux circuits live. Au programme aujourd'hui : une histoire de jolies filles et une embrouille d'envergure sur un HighRoller de l'EPT à Deauville. Dans les deux cas, il faudra savoir prendre la bonne décision !
Garder son sang froid...
J'ai démarré le métier de croupier en novembre 2008 réellement après une formation intensive d'un mois sur Paris en juillet. Il me faudra attendre novembre de la même année pour commencer à décrocher mes premiers jobs de croupier "freelance" dans des casinos indépendants, lors d'évènements mensuels.
Nous sommes en avril 2009, et le casino du Cap d'Agde me contacte pour venir dealer sur un de leur tournoi régulier, "le King". Pour la petite histoire, mon premier vrai job en tant que croupier, je l'ai eu au cap d'Agde, via le forum d'un club de poker de ma région. J'ai sympathisé avec Hervé Despatures, le directeur des jeux, dès le première rencontre et il me faisait travailler régulièrement sur leurs évènements du week-end.
Donc, ce jour-là Hervé me contacte: "Bonjour Olivier, tu pourrais venir dealer demain? On a notre tournoi mensuel a 1000€ de buy-in, c'est un peu notre fleuron, on offre des cadeaux a nos joueurs et on a aussi 2 hôtesses pour la soirée..."
Bien sûr je réponds par l'affirmative, sans vraiment prêter aux détails de son offre... A l'époque, tout job est bon à prendre, je dois pratiquer en situation professionnelle, je dois me "faire la main".
Le jour J, tout est prêt, on est a 15 mn du shuffle-up and deal, je suis assis en table. Les joueurs attendent patiemment de pouvoir s'asseoir, et nous voyons arriver les 2 hôtesses, 2 charmantes jeunes femmes. Elles nous disent bonjour et s'éclipsent pour se préparer. Jusqu'ici tout va bien!
Hervé est un peu déçu, il s'attendait à une plus grosse fréquentation, nous n'avons finalement que 10 joueurs, on finit en sit'n go, mais pas grave, on démarre...
Le tournoi prend sa vitesse de croisière, nos hotesses arrivent aux alentours du 3ème niveau en robe de soirée, s'installent sur des chaises hautes, l'une en face de moi, l'autre derrière. Elles font acte de présence, puis à la pause, offrent des bonbons, quelques porte-clés, discutent un peu avec tout le monde et finissent par danser sur le podium. Jusqu'ici tout va bien...
"Elles décident de sourire et de flirter avec les joueurs, mais aussi avec moi..."
Reprise du tournoi, nos demoiselles s'éclipsent, puis reviennent rapidement en ayant changé de tenue. Elles sont vêtues plus "légèrement", mais rien de grave... Ceci dit, je sens une légère agitation à la table, et je commence à être un peu distrait, mais bon on joue depuis 3h déja.
Même scénario 20mn plus tard, mais là ça commence a devenir chaud, elles sont en maillot de bain, et je peux carrément sentir une ambiance quelque peu électrique. Elles décident de sourire et de flirter avec les joueurs, mais aussi avec moi... Jusqu'ici tout va bien?
Et là c'est le drame: Sur un coup somme toute assez anodin, deux joueurs envoient tapis au flop. On fait le showdown: 2 paires contre tirage couleur, classique... Je tape sur la table pour dérouler le reste du board, et, allez savoir pourquoi, je lève les yeux vers Morgane (oui, entretemps on avait fait connaissance), et celle-ci ne trouve rien de mieux à faire que de me gratifier de son plus beau sourire et d'exhiber sa magnifique poitrine avec un clin d'oeil complice...
Je reste de marbre, tout du moins c'est ce que je crois, je sors turn... River... Et pousse le pot vers les 2 paires. Le floor arrive en hurlant "Mais qu'est-ce que tu fais? T'as pas vu la couleur max? Tu donnes le pot au perdant??!!". Oui il y a couleur max... Je me confonds en excuses, mais les 2 protagonistes n'ont pas l'air plus choqués que ça et me disent "Pas de soucis, on comprend..." et me font signe de regarder derrière moi. Vous l'avez compris, les 2 magiciennes s'étaient concertées et celle de derrière avait quant à elle complètement enlevé le haut...
Tout est rentré dans l'ordre peu après, et on a pu finir le tournoi dans des conditions plus calmes.
...et rester calme
Nous sommes à Deauville pendant le festival EPT saison 10, et l'on m'a confié la direction d'un des tournois les plus prestigieux du programme: Le fameux High-Roller au buy-in de 10.000€.
Je ne suis pas seul bien sûr sur le floor, j'ai quelques collègues pour me seconder, car nous occupons une bonne partie de la salle. C'est un tournoi vraiment particulier, que des têtes d'affiche, des joueurs très expérimentés, et qui s'attendent à une prestation irréprochable de la part du staff. Autant dire que la pression est là, mais c'est super motivant.
Tout se déroule bien, nous sommes dans les derniers niveaux de la journée et un croupier crie "time! Table 29!"
Je m'avance vers la table pour m'enquérir de la situation: le time est demandé par un joueur extérieur au coup, il implique Steve O'Dwyer au siège 8 et un autre joueur que je ne connais pas au siége 2. Nous sommes à la river, Steve a apparemment avancé une mise devant lui, et le siège 2 est visiblement le sujet du time. A la table également: Elky et Sam Trickett. Je fais mon speech habituel en expliquant au joueur qu'il dispose d'une minute pour prendre sa décision, celui-ci ne semble pas m'écouter, mais c'est monnaie courante car c'est souvent pour ne pas se laisser distraire. Donc je ne m'inquiète pas plus que ça...
Je fais le décompte des dernieres secondes et j'annonce: "main brûlée", le croupier commence a pousser les jetons vers Steve, je l'arrête et lui dis de mucker d'abord la main du siège 2. Elle s'exécute puis recommence a pousser le pot.
A ce moment précis le joueur du siège 2 se réveille et se met à hurler: "Que faites-vous? J'ai dit tapis!!!"... Stupeur générale à la table, tout le monde se regarde et semble être d'accord sur le fait qu'ils n'ont rien, mais alors rien entendu... Même Johanna, le croupier, me regarde, ébahie, et me certifie que c'est le cas, car elle aurait au moins posé le bouton all-in... Quant à Steve, son regard en dit long, je crois que c'est le plus surpris de tous...
Je résume donc: La main est muckée, j'ai un joueur en furie qui prétend être all-in, et Steve est en train de stacker le pot. J'explique au joueur qu'il était timé, que rien n'indiquait qu'il était all-in (ni jetons, ni bouton all-in), mais surtout que personne ne peut confirmer son action, car personne ne l'a entendu, encore moins le croupier. Il est de sa responsabilité de rendre ses intentions claires, et là ce n'est pas le cas. Donc, malheureusement la main est morte... Enfin quand je dis j'explique, je veux dire que j'essaie surtout de calmer ce monsieur.
"Notre homme est déja allongé sur la table en essayant d'atteindre ses cartes dans le muck"
Il commence vraiment à faire du remue-ménage, ce qui décide mes 2 supérieurs a intervenir.
Les 2 reprennent le cas depuis le début et confirment mon arbitrage, malheureusement notre homme est déja allongé sur la table en essayant d'atteindre ses cartes dans le muck, retenu par le TD tout en hurlant "Je suis max!!! j'ai quinte max!! Je voulais qu'il paye!!!". Tant bien que mal on arrive à l'écarter de la table et à le calmer et la partie peut reprendre.
Pour info il va s'entretenir avec le TD pendant pres d'une demie-heure. Je prends une pause pour aller m'aérer un peu plus tard, et je tombe nez à nez avec lui, et là il me donne sa version, que je crois volontiers avec le recul: c'était un joueur fortuné, mais peu habitué au live, il était persuadé d'avoir dit tapis, mais il était également submergé par tout un tas d'émotions à l'idée de sortir un joueur pro de la trempe de Steve O'Dwyer. Donc je pense qu'il s'est vu dire "all-in" mais que le son n'est pas sorti tout simplement. Il voulait tellement se faire payer qu'il était complètement paralysé.
Je croyais l'affaire close en revenant sur le floor, mais subitement il me reprend à partie: "Monsieur, je connais les règles, vous avez fait une grosse erreur! C'est inadmissible!". Ce nouvel éclat est de trop pour Elky, pourtant connu pour son calme, qui finit par s'adresser à notre homme de manière très ferme: "Monsieur, le coup a eu lieu 2 heures plus tôt, le floor a pris la bonne décision, il serait temps maintenant de vous demander comment vous avez pu vous mettre dans cette situation. Je vous le redis: personne n'a compris que vous vouliez faire tapis! Donc maintenant, passez à autre chose et foutez-nous la paix!"
Cette intervention aura pour effet de le calmer instantanément, l'intervention d'un joueur connu et respecté a eu plus d'effet que mille explications...
Mais de toute cette situation, il n'y a qu'une image que je garde en tête, et cette image me fait sourire à chaque fois que je me remémore la scène. C'est l'image de ce joueur en siège 3 qui, alors que notre trouble-fête annonce qu'il avait dit tapis, se prend la tête entre les deux mains et dit à voix haute "oh, merde!" en me regardant. J'ai gardé cette image en tête, car avec le recul, je crois que ce gars que je ne connaissais pas à eu un moment extrême d'empathie pour moi, comme s'il me disait "Mec, je suis de tout coeur avec toi, tu fais face à une situation difficile".
Croyez-le ou non, je crois que ce fut une aide inestimable ce jour-là.
Merci à Olivier Franceschi. Vous êtes floor ou croupiers et vous avez des anecdotes à table ? Contactez nous à [email protected]