STRATÉGIE : Maà®trisez la spirale des positions


STRATÉGIE : Maà®trisez la spirale des positions

Le consensus autour de l’importance de la position est total : par delà  même la valeur des cartes, avoir la position dans un coup est essentiel. Pourtant...

Le consensus autour de l’importance de la position est total : par delà même la valeur des cartes, avoir la position dans un coup est essentiel. Pourtant, les récentes modes et nouvelles écoles de jeu tendent à ébranler jusqu’à ces fondements. Ainsi, pour mieux s’adapter aux derniers diktats du poker, Gérôme Guitteau nous propose une tentative de remise en cause de nos certitudes, axée sur certains éléments de stratégie militaire.

 

Bien placé

 

« Les choses qui se conçoivent bien s'énoncent clairement et les mots pour le dire viennent aisément », affirme le proverbe. Mais force est de reconnaître qu’expliquer les avantages et les inconvénients de chacune des différentes positions à une table de poker peut s’apparenter à un sacerdoce tant nul les concepts sur le positionnement au poker se situent dans les limbes.

 

Commençons par le discours le plus entendu, qui se résume virtuellement à ceci : «  Plus vous êtes près du bouton, plus vous pouvez ouvrir votre main. » Un concept sûrement élaboré à l’époque où les Scandinaves préféraient encore utiliser une canne pour pêcher leur poisson plutôt qu’un paquet de 52 cartes… Car depuis le couronnement du jeu scandinave, UTG (un acronyme qui signifie, rappelons-le, Under The Gun) est devenue la position de bluff en référence au concept précédemment cité. Puisque je suis censé avoir du jeu UTG, j’ouvrirai plus souvent de cet emplacement. Ainsi, même si je perds l’avantage de parler en dernier, je pourrai jouer avec un double jeu : celui fort auquel croira mon adversaire – puisque je suis loin du bouton, je ne peux que posséder une main très forte –, et mes cartes privatives réelles. Mais comme d’habitude avec le poker, l’efficacité d’une quelconque connaissance de ce jeu doit s’allier avec une parfaite connaissance de ses adversaires, même celle qui paraît être aussi inamovible qu’un siège à une table. 

 

Cette évidence émise, elle ne nous empêche pas de développer une réflexion générale sur les positions. Une vérité transparaît de plusieurs graphes issus de parties de cash game. En low et high stakes, la grosse blinde est la position qui coûte le plus cher alors que le bouton est celle qui est la plus profitable. En middle stakes, c’est le cut-off (CO) qui remporte la palme. UTG et hi-jack (HJ) sont celles rencontrant le plus de diversité dans la réussite ou l’infortune. Toutes limites confondues, le bouton et le cut-off sont pour tous une mine d’or. Ces faits ne contredisent pas le concept de base : il est toujours plus facile de manoeuvrer quand on est proche du bouton. Bien entendu, si on multi-table, le concept de base doit rester la règle. On automatise son jeu, voire on le robotise, en prenant le moins de risques possible et en se simplifiant la tâche au maximum.

 


Une spirale aux centres multiples

 

La table de poker est presque toujours ovale ; peut-être est-ce parce qu’en réalité, elle est une spirale dont chaque position un, alternativement, l’un de ses centres. Ainsi, nous ne devons fermer aucune de nos positions. La preuve de ce raisonnement consiste dans le vol du bouton : le cut-off (CO) et le hi-jack (HJ) le tentent de façon quasi systématique. Lors de l’EPT de Deauville, plusieurs joueurs, souvent scandinaves mais pas seulement, relançaient leur HJ sur toutes les orbites : le HJ est devenu leur bouton ! Cette position est en effet idéale, car suffisamment éloignée du dealer pour qu’on croie en la légitimité de leur main, et suffisamment proche de celui-ci pour prendre le moins de risques possible. Un jour, les joueurs s’adapteront, et trouveront une autre position pour bluffer plus souvent. Laquelle ? Nul ne le sait. Comme les empires dérivant vers l’ouest, le poker est-il voué à dériver loin du bouton ? Sûrement. A mon sens, la démocratisation du Texas Hold’em et l’amélioration du niveau de jeu qui en découle devraient aboutir à un monde multipolaire, sans position-force majeure. Car au final, chaque place possède sa spécificité, ses cartes, son timing et son rapport aux différents tapis. 

 

Ceci étant dit, il est certain que la salive emplit la bouche au fur et à mesure que le bouton se rapproche. Nous savons tous que nous allons jouer quasi « any two » à partir du CO, quand nous aurons « la position », c’est-à-dire quand nous serons les derniers. Car autant les moves de position brouillent les cartes pré-flop, autant post-flop, nous pouvons voir l’ennemi venir, le voir déployer ses forces avant d’agir. En clair, les positions tardives constituent le territoire du joueur, son château fort. Sa zone d’aisance, de confort. Ces avantages rejoignent le grand principe édité par le célèbre stratège et théoricien militaire allemand Karl Von Clausewitz : « Défendre est plus facile qu’attaquer. C’est que tous les temps inemployés par l’attaquant favorisent le défenseur. Mésestimation, crainte, léthargie : toute rémission de l’attaque profite au défenseur. »

 

 « Défendre est plus facile qu’attaquer » 

 

Et oui ! L’un des grands paradoxes du poker se dégage clairement ici. Car si nous attaquons dans les dernières positions, c’est parce que nous serons meilleur en défense ; autrement dit, dans la capacité à maîtriser le pot. Nous pouvons mieux contrer les attaques de nos adversaires et sommes plus à même de « préserver notre tapis », ce qui est le but de la défense.  

 

Il en découle, notamment, que défendre sa grosse blinde constitue un contre-sens. En effet, hormis dans le cas où nous sommes attaqué par la petite blinde, nous serons premier à parler, et donc obligatoirement en attaque – et non en défense. Ainsi, si nous décidons de payer une relance en position de BB, c’est pour attaquer et non pas défendre. Cette contradiction –apparente – provoque de nombreuses pertes. Bien entendu, quand on évoque la défense, il n’est pas question de l’assimiler à un jeu passif. « La défense, c’est parer un choc. Sa caractéristique, c’est l’attente de ce choc. […] Mais pour faire vraiment la guerre, il faut rendre à l’ennemi les coups qu’il donne.  La conduite défensive de la guerre n’est pas un simple bouclier ; ce sont d’habiles coups qui font bouclier », note encore le stratège dans son ouvrage phare De la guerre (éditions Perrin, col. Tempus ; 1999, ndlr). 

 

Ces explications valent dans leurs caractères généraux. Il est évident qu’en position tardive, nous ne passons pas notre temps à défendre. Et quand nous le faisons, ce sera toujours sur les premières streets, et avec pour objectif final la contre-attaque. Une fois que l’opposant s’est dévoilé, nous pourrons l’attaquer afin de lui prendre tous ses jetons, ou au minimum le pot. Il sera à découvert quand nous serons bien ancrés sur notre position. 

Par ailleurs, nous ne pouvons pas attendre sans arrêt les dernières positions pour agir. Il nous faut aussi attaquer, c'est-à-dire jouer « hors position ».

 

« Si la défensive dans son ensemble est une passivité, les actions défensives ne le sont pas. Une guerre où les victoires ne serviraient qu’à se défendre, jamais à contre-attaquer ne serait pas moins absurde qu’une bataille où tous les mouvements seraient régis par la défensive, la passivité, la plus rigoureuse », insiste le toujours précieux Clausewitz.

 

Nous sommes tous d’accord pour affirmer que l’agressivité paye au poker et qu’il est plus facile de jouer en dernier. Alors, pourquoi dans toutes les récriminations entendues au sujet d’un opposant, la plus familière, reproche à un joueur d’avoir collé « hors position » avec une main moyenne ? Ces reproches sont vains, pour ne pas dire ineptes. En revanche, il s’agit de savoir si la personne a joué de manière passive « hors position » ou non. 

 

OOP : le jeu hors de position

 

Nous pouvons tout jouer hors position ; mais si nous le faisons, il faudra attaquer, ne jamais défendre, sauf très rares exceptions. En effet, dans ce type de situation, nous partons à la conquête du tapis adverse ; dès lors, notre préservation ne forme pas notre objectif prioritaire car nous voulons détruire l’autre. C’est pour cette raison que nous privilégierons les connecteurs assortis ou les gaps, les mains les plus à même de piéger l’adversaire. Pour ma part, je ne suis quasiment jamais un 3-bet hors position avec AQ ; soit je passe, soit je 4-bet all-in. Pour la simple et bonne raison que nous devons toujours être menaçants, toujours figurer potentiellement le jeu max. Or, avec AQ, le jeu max est une utopie, un rêve inespéré. Certes, nous savons que jouer les connecteurs de manière offensive est chose risquée mais c’est ainsi que nous gagnons les tournois. Ceci étant posé, il faut néanmoins remplir quelques conditions avant de partir à l’assaut. 

 

Premièrement, notre tapis doit comporter au moins 40 BB. N’oubliez pas : il ne s’agit pas d’une attaque suicide ! Puisque nous attaquons, et que l’attaque rencontrera plus souvent l’échec que la défense, il faut être prêt à rencontrer la défaite. Dans l’absolu, nous devons être en nombre supérieur ou égal à notre adversaire (posséder plus de jetons que lui, sans toutefois qu’il soit short stack). Il faudra aussi toujours le menacer, afin de pouvoir semi-bluffer de manière efficiente.

 

Si toutes ces conditions sont remplies, alors obtenir J9 ou 9T assortis UTG devient une opportunité qu’il convient de saisir même si nous avons essuyé un 3-bet. Dans ce cas, et sauf dynamique spécifique à la table et historique particulier avec le sur-relanceur, je privilégie le call. Ensuite, quand le flop apparaît, il sera temps de passer à l’attaque absolue, en pensant à s’adapter aux divers imprévus. Notre grand avantage dans ce cas de figure sera notre invisibilité, combinée à l’effet de surprise… qui fera immanquablement son petit effet.

 

« Si faible qu’il soit, le défenseur doit toujours menacer son adversaire »

 

Si nous venons de voir les différentes positions à la table et les différents agissements qu’elles induisent, n’oublions pas pour autant les autres positions, non plus spatiales mais numéraires. Nous n’évoquerons pas le cas du gros tapis. Le concernant, la réponse semble aussi évidente qu’universelle et se résume à un impératif unique : l’attaque. Mais être short stack implique un comportement défensif qui rejoint les tactiques de la guérilla. « Le but final d’une guerre défensive ne doit jamais être absolument négatif (préservation), et que, si faible qu’il soit, le défenseur doit toujours menacer son adversaire et chercher à le frapper. L’attaque, sans doute, [en tentant de conquérir le petit tapis] se fatigue, mais, tant que le revirement des forces ne se produit pas, elle n’a guère à s’en inquiéter, en ce que la défense s’affaiblit plus encore, d’abord parce qu’elle est habituellement la moins forte des deux et qu’à pertes égales elle souffre par conséquent davantage, » assure Clausewitz.

 

La stratégie devient plus subtile avec plus de jetons entre 20 et 40 BB. Nous devons rester en mode défensif mais : « il[Le petit tapis] peut recourir à de petites actions offensives, invasions, diversions, entreprises contre des forteresses isolées et autres opérations par lesquelles il se propose bien moins une conquête définitive qu’un avantage provisoire », confirme le théoricien des guerres napoléoniennes – oui, toujours Clausewitz. 

 

Enfin, gardez à l’esprit qu’aucune situation, si désespérée fût-elle, n’est condamnée ou perdue d’avance. Soyez combatif, inventif et faites de cette réplique de l’excellent film V pour Vendetta : « Il n’y a pas de certitudes, il n’y a que des opportunités », votre leitmotiv. 

 

Par Gérôme Guitteau

 

Extrait de Livepoker magazine.

 

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