EXCLU - Benny et Yu : ''Commenter du live, c’est juste magique''
Dans une double interview exclusive, Julien Brécard et Benjamin Bruneteaux reviennent sur leurs années passées au sein de l'entreprise PokerStars.
Commentateurs incontournables des France Poker Series et de La Maison du Bluff, Benjamin "Benny" Bruneteaux et Julien "Yu" Brécard ont incontestablement inscrit leurs noms dans l’histoire du poker français. La fin du circuit FPS et celle de l’émission LMDB marquent un tournant dans leurs carrières. Retour sur ces folles années de commentary dans une double interview exclusive.
Les France Poker Series n'existent plus. Durant cinq années, vous avez commenté ce circuit phare qui a rythmé le poker français. Quel est votre sentiment général par rapport à l'arrêt des FPS ?
Yu : Ca va globalement mieux que lors du week où ça s’est terminé (rires). Il y a plein de choses que vous n’avez pas vu. On s’est retrouvés comme des cons dans notre chambre d’hôtel avec Tapis Volant et Benny.
Benny : Et Gab (Gabriel Nassif, ndlr) qui nous a payé une bière pour sa victoire. La fin des FPS a été décidée par PokerStars, qui a changé de stratégie. Ils centralisent, standardisent tous leurs tours locaux. Au lieu d’avoir les FPS, l’UKIPT, l’Estrellas et compagnie, on aura les Pokerstars Festivals. Ça change. A l’heure actuelle, on n’a pas encore reçu les programmes. On sait simplement qu’il y en aura deux fin 2016. Est ce qu’il y aura des étapes en France ? On l’espère. En tout cas, on a plus du tout la main dessus.
Vous étiez aux commandes des streaming live de chaque événement. Selon vous, quels ont été les ingrédients de votre succès ?
Y : On avait surtout envie de mettre dans la lumière des gens qui ne l’étaient pas forcément. On ne s’est pas posé des questions du genre “Comment va-t-on organiser tout ça ? De quoi allons-nous parler ?”. Mis à part lorsqu’on a décidé de mettre quelqu’un au milieu des tables (Bendo, ndlr). On a toujours aimé les belles histoires, que ce soit la Maison du Bluff ou les FPS. Notre objectif était de savoir qui était le joueur inconnu assis à droite d’ElkY, par exemple. Très vite, on s’est débrouillés avec les casinos pour avoir la liste de tous les joueurs. On a également créé des outils qui nous permettaient de connaître telles ou telles places payées d’un joueur. Et c’est ce qui est beau dans le poker : à la fin d’un événement, lors des Day 3 ou 4, tu as un maillage complet des personnes restantes. Tu as forcément croisé tous les joueurs quelque part. Les amateurs pouvaient ainsi s’identifier à n’importe qui. Et tous les professionnels étaient probablement contents qu’on parle d’eux. On voulait également redonner des lettres de noblesse au circuit français, dire qu’il y avait une histoire.
B : L’idée, c’était de savoir comment on pouvait au mieux filmer le poker. Comment rendre un tournoi vivant, malgré toutes les heures de commentaires - Le record est de 18 heures lors d’une finale d’un PCA, avec Bendo et Gloub. Le poker est parfois trop technique pour le grand public. Notre but était donc d’avoir un commentary qui vulgarise, tout en racontant des conneries. Yu s’occupait de la partie technique. On avait une équipe très cool, notamment avec Angy, notre cameraman. Même si elle ne jouait pas au poker, elle arrivait à capter tout le jeu avec sa caméra. Le PS Live a vraiment réussi à faire exister les FPS. On essayait de rendre ce spectacle le plus accessible possible.
Y : Sur la partie technique, Gabriel Nassif était bien meilleur que moi. Mais au lieu de dire ce qu’était en train de faire un joueur, j’essayais de comprendre ce qu’il faisait. On était juste deux potes sur un canapé à commenter un live. Et là, on l’on a réussi notre objectif, puisqu’à la fin, un joueur préférait remporter un FPS plutôt qu’un tournoi Barrière. Pourtant, on jouait exactement dans les mêmes casinos... Cédric Billot, le président des FPS, était un fervent défenseur de PS Live. Il nous a apporté beaucoup de soutien en nous aidant à streamer sur chaque événement.
Vous avez également commenté de nombreuses émissions produites par PokerStars. On pense évidemment à La Maison du Bluff. En quoi ce programme se différenciait-il des autres ?
Y : C’est la seule télé-réalité ou Monsieur et Madame tout le monde peuvent participer. Tu peux rentrer sans casting, alors que n’importe quel autre jeu télé est ultra casté. On permettait à des gens sortis de nulle part d’y participer.
B : On est arrivés sur la Maison du Bluff dès la première saison. Yu était professeur et commentateur, et moi j'officiais en tant que responsable candidat. Je n’avais qu’une seule chose à faire. Un joueur internet se qualifiait chaque mardi soir. Je l’appelais et faisais en sorte qu’il soit à Marrakech le jeudi matin. Et le reste de la semaine, c’était que du bonheur (rires).
Y : Je n’avais effectivement qu’une minute hebdomadaire, vu qu’il n’y avait pas de streaming à l’époque. Il est arrivé sur la saison 2. Mais ce qu’on a vraiment découvert, c’est l’univers de la télé et son envers du décor. Comment une production fonctionnait... Ça nous fascinait déjà avec Benny. Et pour le coup, on a vraiment kiffé !
B : Puis il y avait des cadors qui travaillaient dans la production. Beaucoup de personnes ont fait partie des équipes du Loft Story ou de Koh-Lanta. Ils étaient bons dans ce qu’ils faisaient. L’année d’après, un streaming a été mis en place au dernier moment. Et c’est là qu’on s’est retrouvés à commenter pour la première fois un vendredi. Alexis (Laipsker, ndlr) n’était pas disponible puisqu’il était directeur. On a eu trois mois de folie avec Yu, c’était fin 2011. Au départ, seules 50 personnes venaient jeter un oeil à notre streaming quotidien, dont 35 de la production. Et dans les 15 autres, il y avait sûrement la mère de Yu (rires). Au bout des trois mois, on est arrivés à rassembler jusqu’à 5000 personnes en simultané. C’était génial. Puis on pouvait faire ce que l’on voulait.
Quand Benny et Yu craquent... - La Maison du... par PokerStarsFR
Justement, vos punchlines anthologiques ne passaient d'ailleurs jamais inaperçues… Aviez-vous carte blanche de la part de PokerStars ?
Y : On avait carte blanche. Lorsqu’on était trop sérieux, on se faisait quelquefois défoncer par notre boss qui était fan de nous (rires). Notre délire à nous c'était "qui aime bien châtie bien". On essayait de montrer qu’on adorait les candidats. Benny faisait les castings donc on les connaissait assez bien sur la fin. On voyait leurs bons côtés.
B : Même si on balançait beaucoup de punchlines, le but était de toujours rester dans le respect. On a jamais insulté personne. C’est quelque chose qu’on ne peut se permettre. On a un peu trashtalk de temps en temps, mais gentiment. Avec Yu, ce qui nous tenait vraiment à coeur, c’était d’introduire des gens de la communauté. Sur la dernière saison, l’année à laquelle on a vraiment participé à l’élaboration de la Maison du Bluff, on a réussi à intégrer Romain Lewis, Valentin Messina et "Jojopoker" (Joseph Carlino, ndlr). Pour que la personne qui aime le poker se dise qu’il y a deux ou trois bons clients à regarder.
Quelles sont les perspectives d'avenir pour la Maison du Bluff ? Une nouvelle saison est-elle dans les bacs ?
B : Je n’ai pas encore l’information, mais je pense qu’on était sûrement sur la dernière. Je ne peux pas le dire à 100 %.
Y : Mon contrat s’est terminé alors que j’étais très fortement lié à La Maison du Bluff, entre le commentary et mon rôle de professeur au lancement de l’émission. Je parle en mon nom, mais à mon avis c’est tendu.
Benny, Yu, quel effet ça fait de travailler aux côtés d’un ami ?
B : C’est top, génial et magnifique. Surtout qu’avec Yu, on s’est connu au lycée à 15 ou 16 ans, à Paul Lapie, à Courbevoie. On a tout de suite accroché en se rejoignant sur beaucoup de délires, dont le sport qui nous a très fortement lié. A l’époque, on commentait déjà en binôme sur des jeux vidéos, comme Football Manager - et ce pendant des nuits entières. On se créait des histoires.
Y : On avait effectivement un mode de jeu différent de nos potes. Si on se retrouvait à jouer ensemble à la console, on se mettait toujours dans la même équipe, jamais l’un contre l’autre. Ca nous est arrivé il n’y pas longtemps, c’était bizarre. Le seul sport où l’on est en compétition, c’est le tennis. Mais sinon, on a jamais été en "compète" l’un contre l’autre, que ce soit pour les filles ou pour le taff. Ça assainit tellement les relations. En ayant collaboré professionnellement avec beaucoup de personnes, je peux vous dire qu’il n’y jamais rien eu de plus simple que de travailler avec Benny. Je peux lui faire confiance à 100 %. On a toujours été comme ça. Si l’autre ne le sent pas, on le fait pas.
B : Et jamais, sur tous les événements que j’ai pu commenter, je n’ai eu envie de jouer. Ou plutôt, de faire comme Yu, à participer à des tournois et gagner de l’argent. J’étais simplement content qu’il fasse des performances. L’amitié au poker peut être compliquée, car de petites jalousies peuvent parfois se mettre en place. Chose que je n’ai jamais eu avec Yu. Le seul regret que j’ai par rapport aux FPS, c’est de ne pas avoir commenté Yu qui deeprun un Main Event. En 2012 ou 2013, il s'est hissé sur la seconde place d’un SCOOP pour un gain à six chiffres, c’était génial à commenter en direct.
Entre vos aurevoirs et la vidéo de Tapis Volant, l'ultime étape de l'histoire des FPS a été forte en émotions. Racontez-nous un peu ce moment.
B : Lors de la préparation des FPS, on savait que c’était la dernière. On a donc fait un peu de communication dessus, en essayant de faire venir le maximum de gens. On ne voulait pas l’annoncer, mais seulement le faire comprendre.
Y : On a aussi eu un peu peur de se prendre une cagoule en terme d’affluence, que ce soit l’étape de trop.
B : C’est vrai qu’on s’est dit : "Mince, deux stream auront lieu avec le WPO Dublin". Alors qu’on finissait tout de même avec un symbole, Deauville, la place forte du poker français durant de nombreuses années grâce à l’EPT notamment. On s’est donc préparé et éclaté pour cette dernière. Petite frayeur au début car le stream n’a pas attiré énormément de personnes. Les restaurants de Deauville étaient également vides, ce qui n’était pas de bonne augure.
Y : Comme disait Benny, on savait que c’était la dernière. On redoutait le moment du "au revoir", d'être contraints d’appuyer sur le bouton. C’était peut-être notre dernier commentary ensemble. Le soir du Day 1, on s’est retrouvé à jouer à la Playstation dans notre chambre. On la partage toujours ensemble d’ailleurs. On a mis de la musique, aléatoirement, sur la playlist de Benny. Puis on est tombés sur "Encore un soir" de Céline Dion, avant de se dire "Encore un soir, encore une heure, encore un flop, encore une turn..." On a en quelque sorte démystifié cette fin des FPS.
B : On a toujours été transparents et naturels, et c’est ça qui plaisait. Yu est quelqu’un qui montre ses émotions, il était très ému. Je l’étais aussi, mais il fallait rendre l’antenne. On était vraiment contents que ça se termine de cette manière, avec la victoire de Gab, une belle table finale avec Benjamin Pollak, Fabrice Casano et la 12e place d’ElkY... C’était parfait, on s’est éclatés. On espère avoir plein d’autres choses à commenter.
On ne comptait plus les messages de remerciements sur les réseaux sociaux. Cela vous fait-il chaud au cœur ?
Y : Ça faisait bien plus que chaud au cœur. D’un côté, tu te rends encore plus compte que c’est définitivement terminé. Et tu prends conscience que tu faisais bien ton travail. Les gens avaient l’impression d’être nos potes.
B : On est en quelque sorte entrés dans la vie des gens. Mais restons humbles, nous n’étions pas "Touche pas à mon poste", avec plus d’un million de téléspectateurs. Seulement quelques milliers, jusqu’à 5000, mais c’était génial. En 5 ou 6 ans de commentaires, je n’ai pas le souvenir d’avoir reçu un seul message négatif. On a toujours eu des messages très sympas de la part de tout le monde, sur le chat notamment. Commenter du live, c’est juste magique.
Y : Surtout que la communauté web, qui se veut plus dure, avec un peu de trashtalk, avait pour habitude de défoncer les commentateurs. C’était par exemple le cas avec Alexis. Durant un déplacement à Marbella, on s’est rendu compte que personne ne nous taillait, malgré notre style très décalé. Ce qu’on adorait, c’était de savoir ce qu’il se passait dans la tête d’un joueur, et c’est ça qui plaisait aux gens. Car ce sont des émotions que tout le monde peut ressentir. Lorsqu’un joueur réfléchit pendant 10 minutes, c’est porte ouverte à tous les délires.
B : On prenait surement moins de risque en délaissant quelquefois la partie technique et en s’attachant beaucoup plus à tous les détails. Mais ça rendait le truc sympa et plus digeste.
Quel a été votre meilleur souvenir ?
B : La Maison du Bluff 2 a été un moment magique. On a vraiment commencé à commenter le web, en ayant de très bons retours sur le forum Club Poker.
Y : Cette période a été incroyable. Nous n’avons pas vu passer les trois mois pendant lesquels on pleurait de rire régulièrement. C’est une chance de pleurer de rire à son travail. On avait des idées qui poppaient de partout et que l’on pouvait mettre en place rapidement. Je retiens également le week-end de ma grosse performance en avril 2012. Benny devait rentrer chez lui mais le stream s’est terminé à 8 heures du matin. Dans le chat, tout le monde lui disait de rester.
B : "Si tu te barres, tu n’es pas un vrai pote", m’écrivait-on. J’avais quelque chose de personnel à régler à Paris. Je suis parti à 7 heures du matin mais c’était génial de voir Yu "perfer". J’aurais aimé l’introduire pendant un FPS, comme on le faisait dernièrement pour tous les finalistes. Ca faisait partie du show.
Y : Pour revenir à cette fameuse TF, je me rappelle d’une main marquante. A 6 ou 7 joueurs restants, je flop un full contre un très bon joueur, un proche de Chris Moorman. A ce moment-là, je me trouvais dans le même studio que Benny et Bendo. Ils commentaient, je jouais. Je les entendais donc commenter l’action en direct. Lorsque les tapis sont partis, c’était une explosion de joie. Je jouais sur un ordinateur Kawa qui n’avait aucun logiciel d’installé. Au moment du deal, j’ai été contraint d’ouvrir un champ de réponse du Club Poker pour noter les montants puis ouvrir une calculatrice sur Google pour faire les calculs (rires). Et puis, le dernier beau souvenir sur les FPS, ça restera que de nombreuses personnes venaient nous remercier pour notre boulot.
Inversement, quel a été votre pire souvenir ?
B : Lorsque l’on perd la communauté, ce sont probablement les moments plus durs. A la fin de La Maison du Bluff 2, André, un mec adorable qui venait du fin fond de la Normandie, a été éliminé en troisième place. Il était en pleurs dans le studio, j’en avais les larmes aux yeux. Cathy et Nico, les deux finalistes, ont de suite dealé le contrat. Autrement dit, André a fait la bulle. Sauf qu’il était adoré de la communauté, ce qui n’était pas le cas de Cathy. Le chat est un peu parti en folie, jusqu’à ce que l’on rende l’antenne d'ailleurs.
Y : Une année, le stream a été coupé à trois left car NRJ12 ne voulait aucun spoil sur son programme. On a donc commenté sans chat, seulement pour nous deux. C’était dur car le tchat, sur lequel on a toujours un œil, était encore ouvert. Mais les viewers faisaient face à un replay ou un écran noir. Il y a beaucoup de côtés positifs à être commentateur. On met notre patte sur ce que l’on voit. Mais on est aussi les premiers à annoncer les mauvaises nouvelles.
PokerStars lance maintenant deux nouveaux circuits : les PokerStars Championship et Festival. Mais pour vous, c'est quoi la suite ?
Y : Lorsque j’ai arrêté le poker, je me suis lancé dans Fifa, 8 à 10 heures par jour. Mais je ne suis pas très bon, j’adore juste ça. Comme le poker. Avec Benny, nous avons un esprit entrepreneur, avec beaucoup d’idées. Aujourd’hui, nous arrivons au bout d’une réflexion. Nous avons proposé des choses à certains médias, notamment sur les jeux vidéos. Ça peut être une bonne passerelle pour l’e-sport. Nous n’avons plus de commentary prévu dans les semaines à venir. Mais notre leitmotiv est de continuer à commenter ensemble. Quelque soit le programme. Si nous on propose du sport, on sera très heureux de le faire. Idem pour du poker.
B : L’Eurovision aussi, le couronnement du futur roi d'Angleterre, n’hésitez pas (rires). Le poker est un prétexte, à la base, on adore commenter.
Y : Aujourd’hui, on ne peut plus dire qu’on ne peut pas faire. Nous avons un champ d’action très large. Mais des propositions sont déjà venues à nous. Personnellement, je suis persuadé qu’il y a quelque chose à faire dans la manière dont on commente les événements sportifs. Tout est devenu beaucoup trop conventionnel. Je pense qu’avec Benny, nous avons une value dans le sens où nous sommes ni expert, ni journaliste, mais seulement deux amis qui commentent ce qu’ils voient.
B : On a effectivement des pistes, mais nous ne pouvons rien dire à l’heure actuelle. Nous n’avons rien de concret. Le but, c’est de prendre du plaisir. Merci d’ailleurs à Pokerstars et à la communauté d’avoir cru en nous, de nous avoir suivi. C’était top. Mais nous restons surtout motivés pour continuer.
Y : Notre numéro de téléphone est en bas de cet article d’ailleurs. Dépêchez-vous, on croule sous les propositions (rires).
Propos recueillis par Grégoire Huvelin
Crédits photos : Jules Pochy, Steven Moreau
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