L'interview du mois : Charles Coppolani, de nombreux dossiers sur la table


L'interview du mois : Charles Coppolani, de nombreux dossiers sur la table

Pour cette deuxième édition de l'ITW du mois, Le président de l'Arjel a accepté de répondre à  nos questions.


Après le nouveau Top Shark Florian Decamps, c'est le président de l'ARJEL Charles Coppolani qui a accepté de répondre à nos questions pour cette nouvelle Interview du mois. Entré en fonction en février 2014 pour un mandat de six ans, Charles Coppolani tente depuis de donner un nouveau souffle à un marché du poker online de plus en plus morose.

-Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs le rôle de l'ARJEL ?

L'ARJEL est une Autorité indépendante qui a pour mission de contrôler les jeux en ligne qui sont ouverts à la concurrence comme les paris sportifs, les paris hippiques et les jeux de cercle dont pour le moment seul le poker a été autorisé. Notre rôle se situe à plusieurs niveaux : le premier niveau est d'agréer les opérateurs qui entendent proposer une offre de jeu en France, comme cela est fait depuis 2010, concernant un certain nombre d'opérateurs ayant fermé depuis. Parmi nos critères d'agréments, nous nous assurons que les opérateurs ont la capacité financière, c'est-à-dire avoir assez de liquidités, mais aussi la capacité technique de proposer une offre de jeu en ligne sécurisée pour les joueurs. L'un de nos rôles est aussi de protéger les joueurs. Concernant la fraude nous nous assurons toujours de la présence d'un générateur de cartes aléatoire mais nous surveillons également le fait qu'il n'y ait pas de collusions.

-Vous n'avez auprès des législateurs qu'un pouvoir informatif ?

Les pouvoirs de l'ARJEL sont très différents selon les types de jeu. En matière de paris sportifs nous avons une capacité qui nous permet réellement d'orienter le marché. Nous pouvons fixer les compétitions sur lesquelles il est possible de prendre les paris et le type de résultats sur lesquels on peut parier. Nous n'avons pas cette capacité dans le domaine des paris hippiques puisque le calendrier des courses est fixé par le Ministre de l'Agriculture.

Concernant le poker nous n'avons strictement aucune marge de manœuvre. C'est d'ailleurs l'une de nos revendications car nous voyons bien que le marché du poker a besoin de retrouver un souffle. C'est la raison pour laquelle nous nous battons depuis plusieurs années pour que nous puissions ouvrir des tables avec un partage des liquidités européennes comme c'est autorisé dans le domaine du pari sportif. C'est la raison aussi pour laquelle nous nous sommes battus pour que sortent les textes qui autorisent de nouvelles variantes de poker. Malheureusement ce n'est pas dans la compétence de l'Arjel de décider. Pour les variantes il suffit d'un décret, devant d'être signé par le Premier ministre puis contresigné par les Ministres du Budget et de l'intérieur. On l'attend toujours.

- Il y avait pourtant eu un colloque en octobre annonçant notamment ces nouvelles variantes ? Comment expliquer vous cet immobilisme ?

C'est vrai. J'avais même dit que ces nouvelles variantes arriveraient avant la fin de l'année. Clairement, ce n'est pas dans la priorité des différents ministères. C'est d'ailleurs pourquoi nous souhaitons reprendre la main dans ce domaine. Ces textes se trouvent encalminés dans les profondeurs des bureaux. C'est ça le problème, alors même qu'il n'y a pas de véritables oppositions aux textes. Les variantes proposées ne sont d'ailleurs pas des variantes qui vont révolutionner le marché, c'est d'ailleurs ce que pensent certains opérateurs. Les variantes les plus pratiquées sont déjà proposées aux joueurs. Pour autant, nous ne voyons pas pourquoi nous ne les autoriserions toujours pas. Ce n'est maintenant qu'une question de signatures.

- Depuis le cloisonnement du marché tricolore en 2010, la situation du poker en ligne en France est de plus plus morose. Quel regard porte l'ARJEL sur cette mesure prise il y a 6 ans maintenant ? C'était une erreur ?

Il y a plusieurs aspects à prendre en compte. D'abord le cloisonnement du marché est une mesure prise dans la plupart des Etats comme le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne ou le Portugal. Il n'y a guère que le Danemark qui assure un lien avec le .com. L'idée en 2010 était effectivement de sécuriser le marché, en le régulant et en l'ouvrant à tous les opérateurs européens. Malgré tout, il est clair que l'importance de la liquidité est un facteur du dynamisme du marché. Nous pensons donc qu'il est possible de lui redonner un nouveau dynamisme en permettant le partage de ces liquidités, mais pas dans n'importe quelles conditions. C'est pour cela que l'idée est de partager les liquidités avec des pays membres de l'UE dans un cadre défini, via des accords de coopération.

Notre sujet est très simple, et c'est un sujet qui est partagé par les autres pays : il ne faut pas que ce partage mette en péril les joueurs. Sur un marché qui n'est pas régulé il y a des risques de collusions, il y a des risques de fraudes. C'est pourquoi l'idée qui gouverne notre action c'est de s'assurer de conclure des partages de liquidité uniquement avec des autorités qui ont un système de régulation identique au nôtre, afin de permettre que les joueurs étrangers coupables de collusion soient poursuivis à l'étranger.

- Bonne ou mauvaise mesure donc ?

En 2010, l'objectif était de lutter contre l'offre illégale. Je pense que le législateur a pris la mesure qui s'adaptait mais je pense aussi que l'on peut maintenant passer à une autre étape, c'est-à-dire l'ouverture avec notamment le partage des liquidités dans un cadre défini.

"La loi sur la République numérique soulève beaucoup de discussions"

- Concernant ce passage des liquidités, l'Amendement va passer devant le Sénat. Et ensuite ?

C'est un amendement au projet de loi sur la République numérique. Si l'amendement est adopté cela suivra le processus législatif : deuxième lecture à l'Assemblée nationale, éventuellement une deuxième lecture au Sénat, voire une commission mixte paritaire si le texte n'est pas voté dans les mêmes termes. S'il y a des difficultés, cela concernera surtout le reste de la loi qui soulève beaucoup de discussions et pas spécialement cet amendement. Il y aura vraisemblablement plusieurs lectures de ce projet de loi voire certainement une saisie du Conseil constitutionnel. 

- Etes-vous optimiste pour le vote au sénat ?

Nous sommes optimistes pour deux raisons. Sur ces idées de partage des liquidités, il y a eu des convergences entre des députés de la majorité et de l'opposition. Par ailleurs, au colloque d'octobre, Christian Eckert (Secrétaire d'Etat chargé du Budget ndlr) a rappelé que le gouvernement était d'accord là-dessus. De notre côté, nous nous sommes assurés qu'il n'y aurait pas d'opposition de la part du Ministre de l'intérieur. Ça n'a pas été facile mais normalement il n'y pas de désaccord de principe, ce n'est qu'une question de procédure législative.

- L'Arjel a-t-elle déjà débuté les discussions avec ses homologues concernant la mise en place d'un marché commun?

Bien évidement. Ce fut même un préalable. Depuis plusieurs mois nous avons travaillé avec nos homologues espagnols, italiens, portugais et le Royaume-Uni qui pourrait peut être même faire lui aussi partie de ce nouveau marché.

- Si cette loi passait, combien de temps faudrait-il pour que le partage des liquidités soit réellement effectué ?

Il faudra tout d'abord signer des accords de coopération entre régulateurs, ce qui devrait être rapide. Nous avons déjà travaillé sur les processus informatisés nécessaires. Ensuite, cela dépendra des opérateurs et des accords qu'ils signeront entre eux mais je pense qu'ils s'y sont également déjà préparés..

"La taxation actuelle est clairement un handicap pour le marché du poker"

-Lors d'une intervention à Lima en octobre, vous avez personnellement souligné que le mode de taxation sur les mises se révèle beaucoup trop lourd et handicapant pour l'attractivité du marché régulé. Votre appel a-t-il été entendu ?

La taxation actuelle est clairement un handicap pour le marché du poker. Je l'ai dit, je le redis clairement, je le dis au ministre. Malheureusement le Ministre chargé du budget a été clair au colloque et a dit qu'il ne reviendrait pas sur le problème de la taxation. Toutefois le problème n'est pas Christian Eckert en lui-même, le problème c'est la décision prise en 2010 et qui devait être revue un an et demi après, ce qui n'a pas eu lieu. Du coup, pour le moment personne n'ose toucher à cela avec en tête l'idée qu'il ne faut pas faire de cadeaux aux opérateurs de poker. C'est davantage ce type de difficulté qui pose problème plutôt que la volonté d'un seul homme.

C'est un problème plus global dû au contexte politique et de crise économique avec des hausses fiscales très lourdes. Notre théorie est que si nous avions une fiscalité plus économique du poker, il y aurait sans doute un marché plus dynamique et on s'y retrouverait à la fin des fins. Une baisse de la fiscalité ne se traduirait pas forcément par une baisse des recettes de l'Etat. Je suis d'ailleurs conforté par cette idée en voyant ce qu'il se passe pour les tournois, pour lesquels la fiscalité est beaucoup plus raisonnable qu'en cashgame puisqu'on est à 2% des droits d'entrées. Les tournois, contrairement au cashgame progressent de manière constante depuis 2012, avec +14% pour les droits d'entrée sur 2015.

-Vous-même, vous avez été nommé en février 2014 pour un mandat de Six ans. Arrivé au 1er tiers de votre mandat, que souhaitez-vous encore voir accompli dans le domaine du poker online avant la fin de votre mandat ?

Deux choses. La première est ce fameux partage des liquidités. Je le souhaite pour plusieurs raisons. D'abord pour redonner du dynamise au marché du poker, qui est un jeu qui mérite de progresser. Je souhaite également que la fiscalité évolue. Et peut-être un 3ème point également, je souhaite que les pouvoirs de l'ARJEL soient redéfinis afin que pour le poker nous ayons la possibilité de nous adapter à l'évolution du marché. Je suis assez optimiste, je pense que pour la fiscalité, la raison l'emportera. S'agissant de nos pouvoirs en la matière, une étude sur la régulation du jeu en France, menée par la Cour des Comptes, va être présentée à l'Assemblée nationale. J'espère qu'elle nous permettra d'être entendu.

- A un an de la prochaine élection présidentielle, un changement de gouvernement pourrait-il anéantir toutes les avancées dans le domaine ?

Non, puisque sur l'amendement sur les liquidités, des propositions ont été faites par des députés de l'opposition actuelle et de la majorité. Je ne pense pas qu'il y ait de position idéologique sur cette question. Je pense que s'il y a des évolutions importantes, ce sera non pas une question de couleur politique mais plutôt de temps pour le Parlement. Il est sans doute très difficile de faire évoluer des questions de fiscalité à quelques mois d'une élection.

- Dernière question, Etes-vous vous-même un joueur de poker online ?

Mon mandat m'interdit de jouer à tout jeu en ligne y compris au poker, comme tous les membres de l'ARJEL, et ceci pour des questions évidentes de déontologie. En revanche j'ai de bonnes relations avec les clubs de poker comme le Club des Clubs que j'ai reçu récemment. Je trouve que ce qu'ils font est très intéressant. Ce qui m'intéresse dans le poker c'est la diversité de ses joueurs. Ce que je constate c'est que beaucoup de joueurs cherchent une expérience de jeu la plus longue possible. Ils sont là pour s'amuser, passer le temps, comme le prouvent les mises sur le poker qui sont assez faibles comparées aux mises des paris sportifs ou des paris hippiques. C'est la raison pour laquelle une réforme de la fiscalité est importante, puisque la fiscalité telle qu'elle est conçue actuellement a pour conséquence de réduire l'expérience de jeu. Elle ne va pas dans le sens de ce que je souhaite, c'est-à-dire un jeu récréatif. Je pense d'ailleurs que le poker doit rester un jeu récréatif.

Dans cette idée nous souhaitons que tous les opérateurs mettent en place un modérateur de temps, qui serait rempli de façon volontaire par le joueur. Rien ne serait imposé. L'objectif serait de lui donner conscience du temps qu'il passe à jouer. La question du surendettement se pose moins chez les joueurs de poker que chez les autres joueurs. En revanche on constate que certains joueurs de poker, pris dans leurs parties, jouent trop longtemps et que cela les coupe de la réalité. Il n y' aurait pas de coupure avec le modérateur de temps mais espère-t-on, une prise de conscience.

C'est un projet ?

Dans ce domaine nous sommes très contraints par la loi mais c'est l'un des amendements que nous souhaitons faire passer. Il y a d'ailleurs un autre amendement que nous souhaitons faire passer qui est celui de la médiation. Nous pensons qu'il serait utile qu'il y ait un médiateur qui puisse intervenir pour régler à l'amiable les différends entre un joueur et un opérateur. En effet la plupart du temps, les conflits portent sur des petites sommes or les joueurs ne vont pas saisir les tribunaux pour des petites sommes. Malheureusement, à l'heure actuelle, nous n'avons aucun pouvoir pour intervenir.

(Propos recueillis par B.B)


En aparté

Alors que l'interview touchait à sa fin, le président de l'ARJEL a souligné son inquiétude concernant "la campagne menée par le syndicat des éditeurs de logiciels de loisir". Cette campagne consisterait à fournir un cadre législatif concernant l'organisation de jeux d'argent dans l'univers du jeu vidéo. En clair, deux joueurs sur une partie de Fifa pourraient payer un buy-in avant de jouer, le gagnant empochant la cagnotte mise en jeu. Une offre qui serait irrégulée et qui pourrait tuer le poker online selon le président de l'ARJEL.









 

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