ITW Jonathan Abdellatif : « Le poker est le jeu qui représente le plus l’idée du capitalisme »


ITW Jonathan Abdellatif : « Le poker est le jeu qui représente le plus l’idée du capitalisme »

Interview exclusive de l'un des meilleurs espoirs du poker belge.


Il fait partie de la nouvelle vague du poker belge : après avoir fait ses armes en cash-game, Jonathan Abdellatif est en train de s’affirmer sur la scène des tournois live, comme le prouve sa 3ème place au Marrakech Poker Open en février vite suivie par une victoire aux Namur Poker Classic’s en avril. Le discret belgo-tunisien, actuellement à Vegas pour les WSOP, nous explique qu’il connait les mêmes problèmes que les joueurs français. Interview d’un joueur pour qui l’argent gagné est plus important que les titres et la gloire.

Bonjour Jonathan, peux-tu revenir sur les différentes étapes de ton parcours dans le poker ?

J’ai commencé de façon très amateur quand j’étais dans les dernières années de mon Master à l’université en 2007, dans la période « Casino Royale ». Je jouais une ou deux fois par mois, c’est un jeu qui me faisait plaisir. Et lors de ma dernière année, je faisais beaucoup de perfs’ mais j’ai eu un accident et j'ai dû rester chez moi sans bouger… Alors je me suis mis un peu plus au poker. Un pote grinder de ma classe m’a montré la voie du poker « classique », au café, dans les maisons de jeunesse. Online, je ne jouais que des tournois sur un peu tous les réseaux. Je jouais aussi en cash-game live et sur les petits tournois en Belgique. Il n’y avait pas encore une grande offre. En cash-game online, je jouais en 0,25/0,50.

En 2008-2009, je commençais à avoir une bonne bankroll pour jouer les Unibet Open et les Sides EPT ainsi que les belles parties de cash-game. A cette période, j’ai décidé de m’intéresser à l’Omaha. Début 2009, j’ai déménagé quelques mois à Barcelone pour ne jouer qu’en Omaha, et ça m’a bien réussi. J’avais fini mes études, je me suis dit que j’allais jouer au poker pendant un ou deux ans. J’ai toujours aimé faire les tournois en ligne pour le kiff, mais le PLO était mon gagne-pain. En 2011, j’ai décidé de me mettre au sit’& gos turbos sur Full Tilt car le niveau en PLO augmentait énormément et j’avais trop investi : je n’avais plus la bankroll suffisante pour absorber la variance. Les sit & go étaient très softs et j’ai remonté ma bankroll. Puis le niveau a augmenté là aussi et c’est devenu lassant, avec tous les regs des autres sites qui venaient vers PokerStars, donc je suis repassé au PLO. Je continue comme ça depuis 2013, je suis à l’aise avec mes cash-game live et je fais quelques beaux tournois sur le circuit.

Depuis six mois, tu as réussi quelques perfs à cinq chiffres sur les tournois live. As-tu l’impression d’avoir franchi un palier ?

Pendant quelques années, je n’ai pas joué trop de live mais je m’y suis remis depuis l’été 2013. Je pense que c’est à cause de mes fréquentations. En PLO, j’ai toujours eu les bons coachs, mais pas en tournois live. Je ne m’étais pas amélioré depuis 2010 mais depuis un an, j’ai rencontré d’autres grinders belges qui sont vraiment au top au niveau tournoi, et qui m’ont donné de nouveaux edges. Oui, cela m’a fait franchir un palier.

Cette progression ne te pousse t-elle pas à te concentrer sur les tournois ?

Non, car la variance y est considérable. Il faut en faire beaucoup, car tu es dans les places payées 1 fois sur 10 et ensuite une fois sur 10 dans le top 3… Question confort de vie, ce n’est pas le top. Je me suis tellement pris de coups de pied dans la gueule avec des gros swings au niveau de ma bankroll… J’ai presque 30 ans, je me suis dit fini la vie « swingy », où tu prends 100.000 € avant de les larguer en deux mois… Pour faire le circuit live, il faut une belle bankroll, alors je préfère sélectionner mes tournois et grinder des cash-games. Je mets 10.000 € pour les beaux festivals, c'est-à-dire ce que je peux gagner en quelques parties de cash, ou alors je me qualifie. Les tournois sont plutôt de shots pour moi. Mon gagne-pain, c’est le cash-game.

Voyagerais-tu sur le circuit si tu ne faisais pas les déplacements avec tes potes, comme Bart Lybaert avec qui tu deeprun tous les tournois que vous jouez ensemble ?

Je voyage souvent avec Bart, qui est mon pote et mon compagnon de route. Si j’étais seul, je bougerai moins. Je connais toujours quelques personnes sur le circuit mais c’est sûr que tout seul c’est moins agréable.

Comment se porte le poker en Belgique ?

C’est en développement, mais j’ai l’impression que le boom est passé, et qu’il y a une générationvde jeunes qui préfèrent grinder en ligne. Les gens ne fréquentent plus trop les casinos et se regroupent dans les parties privées. Le grand succès du poker belge à Namur et à Bruxelles est quand même un peu dépassé, l’activité est même sur la pente descendante. Avant il y avait beaucoup de Sides sur les festivals, maintenant les joueurs viennent juste faire un tournoi à 500 € ou 1000 € puis partent. Avant la crise, ils jouaient tous les tournois puis allaient lâcher 2000 € en cash… Ces temps dorés sont un peu révolus.

« Des joueurs belges cartonnent en High-Stakes »

Arrives-tu à trouver ton bonheur avec l’offre online sur le territoire ?

On joue sur le .be, c’est la même chose que le .com, sauf qu’il y a certains sites sur lesquels on ne peut plus jouer, excepté ceux qui ont une licence belge comme PokerStars et Unibet. Mais on ne peut pas jouer sur Full Tilt ou Winamax. L’offre est réduite. Bizarrement, on peut jouer sur le .fr en faisant quelques démarches. Plusieurs joueurs belges sont d’ailleurs en train de faire le nécessaire. Mais depuis un an, le fisc belge nous prend un peu à la gorge, on ne sait pas trop ce qu’il va se passer. Certains joueurs ont eu des contrôles, les autres sont en attente. Les grinders quittent la Belgique.

Quel est le niveau du poker online en .be ?

Je pense qu’on a un noyau de joueurs qui s’est bien amélioré. Il y a cinq ou six ans, on était à l’arrière du train européen. Mais plusieurs belges se sont regroupés pour travailler leur jeu, et maintenant il y a un panel de joueurs belges qui cartonnent. On s’est bien rattrapés. Online, il existe de gros joueurs belges comme "Smitjesmee" (Full Tilt)/"Jackovski" (PS)  et "tyme2gamb0l111" (Full Tilt)/"n0d1ceb4by" (PS), deux joueurs pro High-Stakes PLO. En NLHE, sur les High-Stakes PS, il y a « OtB_RedBaron » et « Flufferd ». En tournoi, on a quatre ou cinq très bons belges online comme 'Lol_u_91', 'nherrego', 'tupac_srj' et 'zen mec' qui cartonnent et qui s'aventurent de temps en temps sur le circuit live.

Vois-tu certains joueurs belges percer prochainement sur le circuit international ?

Les joueurs cités plus haut peuvent créer la surprise, mais je pense à Bart Lybaert, qui a déjà gagné un Eureka Poker Tour et a fait finaliste au MPO. Il n’a pas encore réussi la grosse perf’, mais je le vois faire quelque chose c’est sûr (Bart a ensuite terminé 20e du Millionaire Maker des WSOP 2014, ndlr). Et ce n’est pas parce que je le stake que je dis ça ! Il a le mental, il lui manque encore un peu de consistance car il a tendance à être encore un peu nonchalant. Il doit apprendre à être un peu plus zen dans sa tête, mais il est jeune, il n’a que 21 ans. Il y a aussi Niels Herregodts, c’est un tueur en ligne, et son stakeur va le mettre sur des tournois en live...

Le n°1 belge Davidi Kitai est-il considéré comme un exemple à suivre en Belgique ?

Je pense qu’il est davantage considéré dans le milieu francophone, car il est en contact avec le monde francophone du poker en général grâce à Winamax. Pour les gens de ce milieu, c’est l’exemple à suivre, l’homme à battre. Si je dois nommer un joueur en live, il y a Davidi au top c’est sûr... Mais dans les Flandres, on suit plus Kevin Vandersmissen car en Belgique il y a un côté communautaire.

Il y a aussi d’autres exemples à suivre en ligne avec tous les joueurs qui cartonnent en Super High-Stakes online, qui font beaucoup plus que Davidi et Kevin, et on suit constamment leur threads sur 2+2. Mais attention, je ne vais pas minimaliser mon respect pour Davidi par rapport à ses performances. Je ne le connais pas trop mais c’est un type très sympa qui a su rester très simple. C’est le prototype du joueur belge, pas comme un Français qui se la pète tout de suite ! J’ai joué avec lui, il a un style de jeu très « chiant ». Mais c’est intéressant de jouer contre Davidi pour se remettre en question, et de se dire qu’on peut faire comme lui.

Les Belges sont-ils motivés par tous les classements poker ?

En ce qui me concerne, je suis totalement non-intéressé par tous les rankings. S’il y a un sponsoring à gagner, je suis motivé. Mais à la base, les listes sont basées sur les résultats, qui sont eux déjà liés à ta bankroll, et c’est elle qui te permet de faire des résultats.

« L’honneur, l’orgueil, c’est quoi ? Il y a des joueurs qui gagnent des tournois tous les jours, ça ne prouve rien du tout »

Tu n’as donc pas vraiment d’esprit de compétition par rapport aux autres joueurs ?

Avant j’étais ingénieur commercial et j’ai suivi beaucoup de cours d’économie. Je pourrais dire que le poker est le jeu qui représente le plus au monde l’idée du capitalisme : « Je m’enrichis vis-à-vis d’autrui ». Il n’y a pas de « je t’aide » ou quoi que ce soit. Moi je suis motivé par mon intérêt, qui est de gagner de l’argent avec ce jeu. L’honneur, l’orgueil, c’est quoi ? Il y a des gens qui gagnent des tournois tous les jours, ça ne prouve rien du tout. J’espère ne pas avoir détruit l’idéal olympique de sportivité, mais je ne vais pas mentir (rires). Et j’ai aussi d’autres intérêts en dehors du poker.
Quels sont tes objectifs au poker pour cette fin d’année ?

J’aimerai grimper de limite en ligne. Je suis reg en PLO 100 et PLO 200 et j’aimerai bien m'installer en PLO 400. J’ai la bankroll pour le faire mais pas encore les connaissances pour détruire mes adversaires, et je suis vraiment motivé pour travailler mon jeu avec mon coach pour monter à terme jusqu’en PLO 1000. Après pour les tournois... Là je vais à Vegas pour les WSOP, et je vais jouer chaque tournoi pour le gagner. Il ne faut pas se dire qu’on veut finir deuxième ou troisième.

As-tu un programme précis pour les WSOP ?

Je vais d’abord passer un mois là-bas et jouer jusqu’au 5000 $ Pot Limit Omaha 6-Max le 20 juin (interview réalisée en mai, ndlr), puis je vais retourner en Belgique pour suivre l’équipe nationale belge durant la Coupe du Monde avec mes amis. Après je reviendrai juste pour le Main. Si évidemment je fais une perf’ de dingue, j'inviterai peut-être quelque potes pour aller regarder les matchs sur place au Brésil, ça me paraît plus sympa encore ! Je ne ferai plus rien en live à partir d'octobre, à part aux Etats-Unis.

Les joueurs français connaissent de nombreux problèmes avec le fisc. Quelle est la situation en Belgique ?

Le gouvernement a décidé que le poker pouvait être taxé, mais il est toujours considéré comme un jeu de hasard. Il y a une contradiction, puisque les jeux de hasard ne peuvent pas être taxés ! Si ce n’est plus le cas, ils pourront taxer les joueurs qui jouent au loto…

Le deuxième problème est qu’il n’y a pas de commission paritaire pour déterminer qui est joueur professionnel ou occasionnel, pour connaitre le pourcentage des gains taxés. Le top 10 des plus gros gagnants belges en tournois a reçu une lettre - et d’ailleurs ce ne sont que des Flamands et pas des Wallons - avec une note du service des impôts qui disait : voilà, vous nous devez tant d'argent. Ils ont évidemment réagi en prenant des avocats, ils ont fait des procès. Mais plein de choses sont en train de se passer et personne ne sait vraiment où on va aller. C'est très flou.

Propos recueillis par Maxime Arnou

Photo : Fabien Richard 
 
 

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