ITW Erwann Pécheux : « Les gens disaient que j’allais me broke »


ITW Erwann Pécheux : « Les gens disaient que j’allais me broke »

Interview exclusive de l'un des plus talentueux espoirs français.


Alors qu’il vient de terminer à une très honorable 19ème place lors de l’Event 53 des WSOP pour un gain de 19.046 $, Erwann Pécheux nous avait accordé un long entretien avant son départ pour Las Vegas. Le grinder, devenu un adepte des tournois live, revient notamment sur sa deuxième place au WPT National Series Cannes en avril dernier qui a exacerbé son esprit de compétiteur et qui le fait jouer encore et encore. Rencontre avec un passionné.

Bonjour Erwann, on commence par la question classique : quel est ton parcours de joueur de poker ?

J’ai commencé en play money sur Internet, puis j’ai fait des freerolls. Euro par euro, je suis passé de 10 € à 1000 €, puis de 1000 € à 10.000 €… J’ai commencé le live en 2011 sur les petits tournois à 50 € des cercles parisiens, car je viens de Paris. Je me suis mis sérieusement au live en 2012 et maintenant je fais quasiment tous les lives en France. Je grinde beaucoup moins qu’avant le online, pas plus de trois soirs par semaine.

Aujourd’hui, tu peux être considéré comme un joueur pro. Qu’est ce qui t’a décidé à franchir le pas ?

On ne sait même pas si c’est une profession ou pas… Je ne suis pas là pour garder des sous comme un joueur de cash-game. Pour moi, c’est une compétition, je joue pour gagner des tournois et me faire plaisir. A Cannes je fais deuxième, il y a toujours un petit manque… Après je suis pro MyPokerSquad, donc je peux me considérer comme un pro. A côté, je suis étudiant en fac de mathématiques. Mais ça ne m’aide pas trop pour le poker, c’est beaucoup plus compliqué…

Tu te concentres sur le live depuis 2012. Pourquoi ?

En live, je pense avoir un meilleur edge au niveau technique, acquis sur le online. Puis le live c’est plus convivial, on rencontre des gens. Le nombre de gens que j’ai rencontré en un an est impressionnant ! On fait des soirées entre croupiers, personnel organisateur, je voyage aussi pour revoir tout ce monde. C’est toujours un kiff.

Il y a trois mois, tu as donc réussi ta première perf’ d’envergure lors du WPT National Cannes en terminant runner-up derrière Guillaume Darcourt. Te sens-tu au niveau des meilleurs joueurs français en live ?

Honnêtement, oui. Après je pense que j’avais déjà le niveau avant, sinon je n’aurai pas joué les tournois. Depuis mi-2012, je fais tous les tournois à 1000-2000 € sans avoir la bonne bankroll. Je n’aurai jamais pris ce risque si je ne pensais pas être à la hauteur. Suite à ma deuxième place à Cannes, ça a tourné dans le bon sens : j’ai eu ma perf’. J’ai plus peur des joueurs online que des joueurs de live, même en live. Ils ne rentrent pas dans des pots trop compliqués préflop. Des joueurs comme Roger Hairabedian ou Alain Roy, je les ai joué et ils ne me font pas plus peur que ça. Enfin Roger plus que les autres quand même…

Ton quotidien de joueur a-t-il changé après ce tournoi ?

Mon jeu est le même depuis trois mois. Mais on me reconnait plus à table, on me respecte un peu plus. J’avais aussi gagné deux 300 € à deux semaines d’intervalle à Cannes.

« Il y en a qui pensent que je whine vraiment, mais c’est plus pour tourner ça à la rigolade »

Comment as-tu géré ton bad run en 2012 ?

J’ai rencontré beaucoup de joueurs français qui m’ont rassuré, Je pense notamment à Flavien Guenan qui m’a dit "c’est normal ne t’en fait pas, tu joues bien, ça va finir par passer". Il n’y avait pas grand-chose à faire. La question à se poser, la plus importante, c'est : "Est-ce que j‘ai bien joué le coup, est-ce que j‘aurai pu l’éviter, est-ce que j’ai pris la bonne décision?" C’est ce que répètent sans arrêt les bons joueurs français. Après les joueurs de live vont avoir des raisonnement plus result oriented et vont te dire « J’aurai du folder les As »... Niveau bankroll, les gens disaient que j’allais me broke à faire autant de live, car je sors du online et je n’ai pas gagné des millions aux WSOP.

Si tu n’avais pas obtenu de résultats en live depuis que tu t’es lancé, aurais-tu tout de même continué à parcourir le circuit ?

Je serais forcément retourné sur le online. Après, je n’ai pris que des petits risques pour le live. Le plus gros risque que j’ai pris, c’était au WPT National Paris en mars 2012 où j‘ai buy-in 1,5k de ma poche avec 15k de bankroll. Ça ne m’a pas empêché de continuer ensuite.

Penses-tu avoir le mental pour accepter toutes les déceptions liées au poker de tournoi ?

La variance négative, je l’ai subie pendant un an en live, et j’ai continué jusqu’à obtenir ma perf'. J’ai pas mal encaissé et j’ai été récompensé. Grâce au online, j’ai plus de 10.000 tournois joués, les bad beats j’en ai vu des tonnes et au bout d’un moment on sait les encaisser. Après quand je perds A-A contre A-K à tapis préflop dans de gros tournois, c’est sûr que ça fait un peu mal. Mais bon j’encaisse et voilà. Après j’ai une tendance à whine, sur Facebook notamment… Il y en a qui pensent que je whine vraiment, mais c’est plus pour tourner ça à la rigolade, je ne suis pas là à pleurer devant mon écran.

Penses-tu que ton surnom, "Erwhine", est tout de même justifié ?

Sur certains coups, oui. Des joueurs réputés français qui ont eu leur One Time et qui ont gagné des tonnes trouvent aussi le moyen de whine encore aujourd'hui, ce n'est pas très professionnel... Il y a des joueurs que je connais et qui témoigneront de ce que j’ai subi pendant un an en live. On me disait : « T’es noirot… » Par contre à Cannes, je reconnais que j’ai chatté, c’était impressionnant. Si je gagne trois 20/80 et que je perds trois 80/20 ensuite, je ne vais pas whine. Quand je chatte, je le crie haut et fort, je le cache pas. Ça marche dans les deux sens. C’est aussi une manière d’évacuer. J’ai une tendance à écrire aussi quand je suis chez moi, à partager. Mais j’ai discuté avec des joueurs et un badrun en live d’un an, c’est ridicule à l’échelle du online.

Quelles différences as-tu pu observer entre le jeu online et le jeu live ?

J’ai un gros problème et j’y travaille, c’est la taille des pots. J’ai remarqué qu’en live les gens misent toujours petit, un tiers, un quart, un cinquième voire un sixième du pot alors qu’online ça sacoche ! En live, je ne sais pas si les gens ont peur de miser... Le online est également vraiment crevant. Si on joue le même nombre d'heures en live, on ne va être crevé qu’au bout de deux ou trois jours.

« Pour moi, le poker est un milieu qui reste très sain »

Qu’est-ce que tu préfères dans le poker live ?

L’ambiance. Les gens qui ne connaissent pas le poker disent que quand il y a de l’argent en jeu c’est toujours sale, qu’il y a des embrouilles et des problèmes, mais pas du tout. Je n'ai rencontré quasiment que des gens réglos qui sont là pour jouer, pour kiffer. Des fois je leur prête de l’argent, ils me le rendent, et inversement. Je n’ai jamais eu de problème. Pour moi c’est un milieu qui reste très sain contrairement à ce que l'on dit. C’est vraiment dommage que les fields se réduisent et qu’on annonce la mort du poker en France.

A contrario, y-a-t-il un aspect du live que tu as détesté ?

Ce que je n’aime pas, c’est l’attitude de certains joueurs vis-à-vis des croupiers. Quand ils jouent online, ils disent que le site est truqué et quand ils sont en live, ils disent que le croupier est noirot. Je ne supporte pas ce comportement. C’est le gros point négatif.

Comment définirais-tu ton jeu ?

Je n’aime pas trop dévoiler mon jeu en public, j’aimerai garder ça pour moi…. Mais disons que globalement, je ne prends pas de risques. En live, je fais 1000 kilomètres pour faire un tournoi, ce n’est pas pour partir all-in avec 7 et 5 suités. Je n’ai aucune tendance au tilt. Enfin je peux être en tilt, mais ça n’influe pas sur mon jeu. Je n’ai jamais fait n’importe quoi à cause du tilt, car je sais que mon jeu est carré. Sinon, je ne me suis jamais vraiment fait coacher. Je n’ai même pas regardé de vidéos sur le net, j’ai vraiment appris sur le tas, à force de regarder les gros réguliers jouer sur les rooms. J’aimerai bien que quelqu’un me donne la motivation pour y jouer car je n’y arrive pas. En plus je perds et ça ne me motive pas car je ne retrouve pas l’aspect compétition. J’ai quand même un coach actuellement, faudra que je le recontacte (rires). C’est un joueur français qui joue en cash-game haute limite sur le Net.

A ton âge (22 ans), fais-tu attention à ton hygiène de vie ?

Malheureusement pas trop. Je sais qu’il faut que je fasse du sport, mais je n’en fait pas assez. Au niveau de la bouffe, je n'aime pas mal manger et à chaque fois que je voyage, c’est une bonne occasion d’aller dans les restos et de bien manger. Même si ça me coûte cher ça fait plaisir... Quand je suis chez moi c’est plus la galère mais j’essaie de me faire une salade de temps en temps. Je suis assez gourmand en chocolat et sucreries, j’adore ça ! Après je ne grossis pas. J’aimerai bien, mais je n'y arrive pas ! Je m’en sors bien par rapport à quelques joueurs du circuit. Sur les tournois live, ça m’arrive aussi de ne pas avoir trop dormi, je fais aussi du live pour les à-côtés… Ça ne change pas trop mon jeu, mais ça peut changer mon attention. Des fois je dors beaucoup, et du coup je ne mange pas avant le tournoi, c’est un problème !

As-tu encore besoin de staking aujourd’hui ?

C’est là que MyPokerSquad intervient. Ça fait un an que je suis chez eux et s’ils n’avaient pas été là, effectivement je serai broke. Le staking m’a permis de limiter la variance et aujourd’hui ça va très bien niveau bankroll. J’utilise énormément le staking mais je vends beaucoup moins de parts qu’avant. Pour un 2000 €, je ne vais pas vendre plus de 40% alors qu’avant j’aurais volontiers vendu 60%. Maintenant je donne aussi des cotes car j’ai fait mes preuves en live, je vends mes parts un peu plus cher. Mais je ne prends pas trop de parts aux autres joueurs. Dès qu’il y a un joueur que je connais et qui est très bon, avec une bonne cote, je vais mettre un bon billet, comme Benjamin Dadon. Je pense que c’était un bon investissement.

Tu abordes parfois plusieurs logos sur des tournois. N’as-tu pas peur que ce côté marketing t’éloigne du jeu où te déconcentre ?

Aujourd’hui, je représente juste MyPokerSquad. Le logo ISPT, c’était juste pour l’EPT Deauville : on avait une réduction sur notre buy-in si on portait le logo, et comme l’ISPT était partenaire avec MyPokerSquad… Il y a eu aussi les last longers à Cannes, où il fallait porter le logo. Les gens avaient craché sur l'ISPT alors que tout le monde espérait que ce soit une réussite pour le bien du monde du poker, mais je n’ai rien à voir avec eux. Pour Barrière, j’ai porté les logos parce que j’étais qualifié et une fois celui des amis de Barrière car je suis régulier de la room et que je m’entends très bien avec les joueurs et le staff Barrière. Mais il n’y a pas d’échanges financiers. Ça ne me dérange pas de porter des logos tout le temps, si c'est pour la promotion et le bien d'une communauté. Mais je ne porte pas des logos à tout va, avant d’accepter je demande pourquoi.

Fais-tu actuellement partie d’une agence de joueurs ?

Non.

Cela pourrait-il t’intéresser ?

Je ne sais pas, dans le sens où je n’ai rien de fixé au niveau carrière à cause du fisc, qui fait peur. Moi je suis encore en France et je n’ai pas envie de bouger de France, où alors juste à côté pour pouvoir venir souvent. Je n'ai pas envie d’aller m’enfermer à Malte pour grinder devant mon PC. Je vais voir comment ça va se passer à Vegas, et on verra au retour selon mes perfs. J’ai déjà été contacté indirectement par des rooms, un poil, sans plus. Rien de sérieux…

« Ne plus jouer des MTT, c’est une manière de s’avouer vaincu face au fisc »

L'avenir du poker français s'annonce incertain... Comptes-tu cependant continuer encore longtemps ? Ça ne te décourage pas ?

Je vais en discuter pas mal à Vegas car je pars avec Paul-François Tedeschi qui a le même problème et qui joue plus que moi en live. Clairement, si je gagne pas mal, je pense qu’il faudra que je parte. Si je me prends une cagoule, je vais gentiment faire quelques tournois et me préparer à une autre activité. Je me vois mal faire 5-6 ans de poker de toute façon. Pour moi, c’est comme une carrière sportive, ça va durer quatre ans pas plus. Si je gagne beaucoup, la tournure sera différente. D’un point de vue fiscal, je ne déclare rien, car mon activité principale c’est étudiant et je joue pour la compèt'… Après les gens me croient ou pas, certains croient que je joue pour l’argent, mais non. Quand je démarre un tournoi, j’y vais pour le trophée. L’argent me sert à buy-in d’autres tournois plus chers et plus prestigieux. Ma vie de tous les jours n’a pas changé, je m’habille toujours en Celio, je n'ai pas de montre de luxe. Ce que je gagne au poker retourne dans le poker. Quand j‘en profite, c’est pour me payer le voyage, pour aller en boîte parfois. L’argent je le garde.

Le fisc français s’est-il intéressé à ton cas ?

Pas pour le moment. Mais c’est du racket. L’année dernière, j’ai beaucoup perdu en live et j’ai lâché 34.000 € de rake sur Internet, la moitié va à l’Etat. Le poker est un jeu de hasard qui n’est psychologiquement pas toujours facile, on ne gagne pas autant que ce que les gens pensent. Si je calcule mes gains par mois depuis que je joue, ce n’est pas un nombre à cinq chiffres. Ça me permet de vivre, mais je ne m’achète pas des Rolex. C’est dommage que la future imposition ampute le poker de tournoi, on a perdu la moitié des fields en France. Les joueurs ne se battent pas assez contre ce problème et je suis prêt à me lancer là-dedans. Il y a des joueurs de cash-game qui ne veulent plus faire un seul MTT. C’est une manière de lâcher le morceau, de s’avouer vaincu.

Comme tu continues actuellement des études, que compte-tu faire après le poker ?

Je n’ai pas d’idée précise, je pense à la finance ou à l’enseignement.

D’ailleurs, n’es-tu pas tenté de dispenser des leçons de poker ?

Non, pas pour l'instant. Mais avant, je faisais parti d’une association étudiante de poker et j'avais donné quelques cours. J’étais assez pédagogue donc ça peut me tenter.

Toi qui ne joues donc que pour la compétition, le classement LivePoker doit te tenir à cœur...

A chaque fois qu’il y a un tournoi, je le regarde. Tout ce qui est leaderboard, ça me motive. J’avais d’ailleurs posté un petit whine sur le leaderboard des FPS, ou je me retrouvais 51e après avoir fini deuxième du high-roller pour mes premiers FPS... Je viens aussi de gagner le leaderboard WPT National France, qui était mal foutu mais qui était à mon avantage. Les points de participation sont tellement importants que j’aurai gagné même sans même une performance à Cannes. J’ai gagné un package complet pour un Event de la prochaine saison.

Quel est ton programme pour les mois à venir ?

Je jouerai tous les FPS, je n’aime pas les manquer, c’est le circuit que j‘affectionne. Je ferai donc tout le circuit FPS, en commençant par les FPS Cannes et certainement quelques Sides Events à Enghien pour les WSOPE. En juillet-août je pars en vacances durant un mois et demi ! Je ne veux pas partir au bout du monde pour le poker, vivre uniquement pour cela ne me plaît pas.

Qu'attends-tu de tes premières WSOP ?

Je suis très excité, j’ai un programme assez chargé. Je veux mon one time, ma grosse perf'. Je vais faire pas mal de 1500 $, un Shootout, deux Six-Max, un Mixed-Max 3000 $, le Main Event et d’autres tournois au Venetian. J’ai des guides qui me conseilleront pour ma première fois sur place. Je vais avant tout aux WSOP pour le bracelet. Mon enveloppe tournois est clairement hors bankroll. J’en ai investi un tiers, et si je fais une grosse perf' je m’exile...

Propos recueillis par Maxime Arnou

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